Oros est un projet vertueux, qui aspire à valoriser le bois, ses essences et ses savoir-faire, imaginé par Laure Amoros sur les traces de son père, passionné par ce matériau. Sa maison d’édition marseillaise a d’emblée fait de l’artisanat son crédo et de la sauvegarde des techniques traditionnelles sa bataille. Et bien qu’elle ait fait l’ellipse des deux premières lettres de son patronyme pour baptiser son label, la créatrice et directrice artistique ne sacrifie en rien son engagement pour les belles choses, ni son enthousiasme contagieux.
L’ambition du label Oros est de tisser des liens entre différents métiers, d’imaginer une pluridisciplinarité accordée autour d’un seul et unique matériau noble, le bois, pour concevoir une forme de langage aussi originale qu’universelle. Des collaborations viennent nourrir ces échanges, comme l’invitation faite à la talentueuse artiste et designer Sarah Espeute, qui a imaginé plusieurs pièces textiles pour Oros, dont un chemin de table traversé d’un réseau de lignes noires qui rappelle le veinage du bois. Ou bien avec Jules Lobgeois, sculpteur qui s’est laissé guider par le duramen, la partie interne du bois, aussi dure que du métal, pour réaliser des sculptures en noyer qui font aussi office de tables d’appoint. Une projection de l’âme de l’arbre, parée d’une pièce d’acier inoxydable ciselée, qui prouve que le bois peut servir d’inspiration autant que de matière première. Laure, elle aussi multi-talentueuse, édite également des pièces qu’elle dessine. Ces liens tissés entre sa fibre créative et son amour pour le bois font naître, au fil des épisodes et des rencontres produites par Oros, une histoire riche de personnalités et de connivences créatrices.
Tu as grandi avec une mère adepte de la céramique et un père qui travaillait le bois, as-tu toujours eu la fibre créative ? Ou tu l’as senti venir en grandissant ?
Écoute, c’est une très bonne question (rires). Je pense que non, je l’ai vraiment senti venir. Elle s’est dévoilée plus tard. Ma mère avait une pièce dédiée pour faire de la poterie, mon père de même pour la menuiserie, donc je les ai toujours vus faire. Avec ma sœur, ils nous ont toujours poussées à développer des pratiques artistiques correspondant à nos âges. Mais je crois que je n’en n’avais jamais eu conscience, et que cela s’est développé et dévoilé au fil des années. J’ai fait des études en communication, qui te poussent à être dans l’image et à y réfléchir, j’ai travaillé pour des marques de mode, des architectes… enfin toujours des environnements créatifs. Et pendant que j’étais à Paris pour mes études, j’ai eu l’envie de créer quelque chose avec mon père, pour garder ce lien familial autour de l’artisanat. Mais ce n’est qu’en me posant la question « quel sujet tu as envie de traiter ? » que je me suis rendu compte que le bois était une évidence. Une prise de conscience graduelle en somme.
Comment as-tu eu l’idée d’OROS ? Et quel était le projet premier derrière sa création ?
Au départ, Oros était plus un média sur lequel on écrivait des articles. D’ailleurs cette partie existe toujours en ligne, elle nous permet de mettre en avant des projets liés aux industries créatives. J’utilise ce terme parce que c’est assez large, cela peut être le design, l’architecture, la gastronomie, ou même la création olfactive. Pendant mes études en communication et publicité, j’écrivais déjà dans une sorte de média qui traitait de l’univers du marketing et j’avais envie de m’exprimer sur une thématique qui m’intéressait. Je partageais déjà beaucoup avec mon père sur les différents sujets ou les techniques à approfondir par exemple. Quand j’ai lancé ce projet, ma seule base à propos du travail du bois, c’était mes yeux d’enfant qui regarde son père travailler le bois, c’est tout. En me renseignant, j’ai découvert qu’il y avait une diversité d’essences vraiment incroyable, que l’on pouvait faire énormément de choses avec énormément de techniques. Au tout début, j’ai appris un peu comme ça, en montrant des projets à mon père sur lesquels je voulais écrire et lui me disait quoi creuser, qui contacter. Pour justement parvenir à expliciter le savoir-faire derrière.
Comment choisis-tu les artisans et designers avec qui tu travailles main dans la main pour perpétuer cet amour du bois et des savoir-faire ?
Souvent, ils me contactent directement, c’est le cas de Sacha Parent, une designer avec qui on va présenter du mobilier. Elle est venue me voir, m’a présenté son projet d’étagère qui m’a beaucoup plu et de là ont découlé d’autres typologies de mobilier. Je marche beaucoup au feeling. Pour les artisans, on commence à avoir une petite communauté qui ont entendu parler d’Oros et qui vont venir vers moi. Ou alors c’est moi qui recherche une maîtrise bien spécifique et qui les contacte. Mais en tenant toujours compte de ma sensibilité.
Quelles sont les personnes les plus sensibles au travail d’Oros ? Et pourquoi ? En clair, penses-tu qu’il existe un engouement croissant pour des objets de caractère, des achats réhumanisés, et une pensée vraiment plus éco-responsable ?
Le projet Oros parle à différents publics mais pour des raisons différentes. Déjà, il parle aux artisans parce qu’en effet, on essaie de valoriser leur travail, de valoriser la matière. En termes de clientèle, on va avoir des personnes plus sensibles à des pièces uniques qui ont du coup un budget peut-être un peu plus important. En parlant avec des gens qui s’intéressent à Oros, je me rends compte qu’il y a quand même cette volonté de trouver des objets de caractère, de réhumaniser un peu la démarche d’achat oui, en respectant le fait main. C’est vraiment la démarche dans laquelle s’inscrit notre clientèle, cette recherche d’artisanat français, de proximité, d’essences locales. On ne travaille pas du tout d’essence exotique et j’associe toujours un artisan aux ressources qu’il trouvera près de lui. Si je travaille avec un artisan dans le Sud de la France, il va pouvoir faire des pièces en olivier, en buis, des essences endémiques de ce territoire. Si je travaille avec un artisan en Champagne, je ne vais jamais lui demander de travailler de l’olivier. Je tiens à respecter avant tout les matières premières et l’artisanat particulier qui s’inscrivent dans chaque endroit de France.
Tu cherches à valoriser le bois en imaginant des objets innovants et chargés d’histoire. C’est important pour toi de redonner une âme aux objets du quotidien ?
Ma démarche est transparente et je mets toujours les artisans en avant. Les éditions Oros, qui sont les pièces que je dessine, ou qu’on imagine en collaboration avec des designers, sont des pièces exclusives à Oros. Chaque création permet de valoriser un savoir-faire et de raconter des techniques particulières. On a un dessous de plat tout noir, qui va parler par exemple de l’ébonisation du bois. Une réaction chimique entre les tanins du bois et un mélange d’acétate de fer et de vinaigre. Moi, je voulais un dessous de plat noir pour pour pas que la poêle laisse de trace dessus et, plutôt que d’appliquer une teinte noire classique, on y a ajouté un petit plus. Derrière chaque élément, il y a une essence, une technique, il raconte toujours quelque chose. Et il faut les faire vivre dans nos quotidiens. Comme notre fumoir de table imaginé par Guillaume Bloget, que l’on peut sortir dans des dîners. Le caractère commun de toutes ces pièces, c’est d’avoir leur place dans nos vies en étant fonctionnelles.
Il y a des pièces surprenantes parmi tes créations. Comme le sac à main Modulo Olivier, entièrement en bois. La démarche d’OROS, c’est aussi de réintroduire du bois dans notre vie, mais surtout à des endroits où on ne l’attend pas ? Finalement, le bois connaît t-il des limites ?
Pour moi il n’a pas de limite. Peut-être qu’on lui en trouvera un jour, mais déjà, on sait que le bois est un matériau vivant, que tu ne peux pas contrôler à 1000%. Tu pourras avoir des limites peut-être sur l’imperméabilité, mais tu vois, j’ai découvert des artisans qui travaillent avec de la laque Urushi, une technique ancestrale japonaise qui utilise la sève d’un arbre et, en vulgarisant bien sûr, quand on l’applique en couche fine que tu laisses sécher progressivement, ton bois devient complètement imperméable. Donc une tasse en bois dans laquelle on peut boire, c’est possible. Quand tu me demandes s’il y a des limites, en fait, c’est plutôt moi qui ne me fixe pas de limites avec le bois. Au fur et à mesure des échanges, des rencontres, j’en apprends toujours plus et c’est vaste.
Tu as collaboré avec Sarah Espeute pour imaginer des sets de table à empiècement “papillon”, qui font écho à l’assemblage de bois “clé à queue d’aronde”, traditionnellement utilisé pour consolider le bois fissuré. Le bois peut-il être source d’inspiration, voire avoir valeur de symbole, au-delà d’être matière première ?
C’est pour ça que j’ai sollicité Sarah sur ces pièces-là, elles sont issues d’une sélection de différents créateurs que j’avais faite, qui s’appelait On the Table. Il y avait aussi le travail de Moe Redish, qui avait imaginé une carafe et des verres en verre soufflé dans des moules en chêne. Et avec la chaleur, la texture du chêne s’est imprimée sur le verre. On peut parler du matériau bois autrement, et c’est intéressant de l’appliquer à d’autres médiums.
Le bois est de nature irrégulier, dans sa couleur, sa densité, sa forme, ses motifs. Tu célèbres ses imperfections comme l’enseigne le Wabi Sabi venu du Japon ?
Alors oui en effet, et c’est quelque chose qu’on essaie de mettre en avant. Par contre, je ne dirais pas que mes pièces s’inscrivent dans le courant Wabi Sabi, parce que c’est vraiment un courant bien spécifique. Il y a une quête perpétuelle de l’imperfection tellement spécifique que c’est difficile d’être réellement dans ce courant. En revanche, on a des pièces en petites séries, et même si tu connais la forme, tu ne sais jamais vraiment comment l’objet final va rendre. L’artisan fait en fonction de la ressource qu’il a, il va aussi ajouter sa patte, parce qu’il peut être touché par un nœud, une imperfection, un grain particulier, et c’est ce qu’il a envie de montrer au final. On conjugue avec l’imperfection et chaque pièce est unique, avec ses spécificités.
Toutes les créations d’Oros se distinguent par leur simplicité formelle, comme un retour à l’essentiel. C’est ce que tu souhaites, épurer le quotidien ?
À vrai dire, j’essaie juste de faire des choses qui me plaisent. Comment l’expliquer… concernant mes sources d’inspiration, j’ai toujours beaucoup de mal à expliquer. (rires) C’est plus une sensibilité personnelle, même dans mon travail de curation. Je crois qu’Oros correspond à une certaine esthétique, et ça doit probablement venir de plusieurs influences, comme mes souvenirs, le travail de mon père et de ma mère, les études que j’ai faites, mon premier boulot en architecture où j’ai découvert des grands noms, qui a aussi lancé mon intérêt pour le design, de nombreux courants artistiques, le monde organique. J’avoue que c’est énormément d’influences. Je suis inspirée par ce qui existe aussi, une poignée de portes d’une certaine forme peut me parler et je vais en faire une étagère. En tout cas, quand je choisis des pièces ou que j’en imagine, je n’ai pas forcément la volonté d’épurer, mais c’est vrai que, comme le studio doit mettre en valeur la matière, si je privilégiais des formes trop complexes, peut-être qu’on s’y perdrait. J’ai des lignes très droites, franches, minimalistes, inconsciemment, cela doit être pour que la matière reste au premier plan.
1. Grande étagère Amas Frêne, d’Oros Design, imaginée par la designer Sacha Parent. Faisant partie des dernières créations proposées par Oros. 2. Laure et Roger Amoros. 3. Rencontre entre Sarah Espeute et Oros, avec ces sets et un chemin de table inspirés par le bois.