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Les beaux desseins militants d’Anna Uru 

Installée à Marseille, Anna Uru ou plutôt Clara Chauvin est une illustratrice qui n’a pas froid aux yeux. À grands aplats de couleurs néons sans demi-ton, elle trace les contours d’une nouvelle liberté d’expression où la sexualité est sans tabou et les corps sans complexe. Un univers pop-érotique inspiré des années 80 qu’elle cultive précieusement et au travers duquel elle traite de sujets essentiels comme la discrimination ou les inégalités. 

Lassée de son travail de DA en agence de pub à Paris, Clara devient un jour Anna Uru pour s’inventer une seconde vie profession. Sous son pseudonyme stellaire, Clara dessine librement les rapports amoureux, avec humour et sans détour, pour sensibiliser au passage son public sur des sujets bien réels. Dans ses illustrations aux couleurs saturées, elle associe inclusivité et haute visibilité sans mettre de gants loin de l’idée d’enjoliver la réalité. Elle s’applique plutôt à la montrer crue, franche et diverse, telle que nous la devrions la voir. 

Depuis son installation à Marseille, dessiner est devenu, le métier à plein temps de Clara, qu’elle exerce sous le soleil, nourrie par l’esprit d’une ville aussi libre qu’elle. Son style est une bouffée d’air frais qui a déjà séduit la presse, les organisateurs d’événements culturels et même l’OM. Un monde unique, drôle, décomplexé, parfois absurde, qui vous interpelle sans doute au premier coup d’œil ou vous fait détourner la tête, le rouge aux joues. C’est selon.

Anna Uru est ton pseudonyme. Pourquoi as-tu souhaité en utiliser un et comment l’as-tu choisi ? 

Quand je me suis lancée dans l’illustration en 2016, je travaillais en parallèle comme directrice artistique en agence de publicité et j’ai souhaité dissocier ces deux activités, j’ai donc choisi d’utiliser un pseudonyme pour la seconde. Anna Uru vient de « Uru-anna » qui est le nom d’origine de la constellation Orion, ma préférée. J’ai trouvé la sonorité jolie et inversé les deux mots afin que cela évoque plus un prénom et un nom. 

D’où te vient ta pratique du dessin ? 

Quand j’étais petite, nous n’avions pas la télé à la maison et mes parents avaient pris l’habitude de me faire faire des dessins le soir pour m’occuper. Cela me plaisait beaucoup et ça m’est resté. J’ai continué à pratiquer le dessin comme passe-temps tout au long de mon enfance et de mon adolescence, jusqu’à entreprendre des études en design graphique et en faire mon métier. 

Tu es revenue à Marseille après avoir travaillé à Paris. Quels changements as-tu constatés dans la ville et sur toi-même ? 

Je suis revenue dans le Sud après 5 années passées à Paris en effet, mais je suis en fait originaire d’Aix-en-Provence. Aussi, je n’ai réellement découvert Marseille que lors de mon installation ici en 2020. J’ai quitté Paris car je ne m’y sentais plus bien, tant professionnellement que personnellement, et ce depuis un certain temps. Le fait de revenir dans le Sud, dans une ville aussi incroyable que Marseille, a provoqué beaucoup de changements positifs sur mon moral et sur ma manière de vivre. Je prends bien plus le temps qu’avant, mais je constate que je suis également beaucoup plus productive. Je passe énormément de temps à l’extérieur, cela stimule ma créativité et ma concentration. Vivre à proximité directe de la campagne et de la mer m’a également incitée à me remettre au sport, ce qui est idéal pour moi qui travaille assise à un bureau toute la journée. 

Tu représentes tous les corps et tous les genres dans tes dessins, ton style est affirmé et traite sans complexe de sexualité. Trouves-tu que la représentation dans le monde de l’illustration est encore trop peu diversifiée ? Et, par ailleurs, est-il plus facile de parler de ces sujets en dessin ? 

Je trouve en effet que la représentation de tous types de corps et de genres est encore trop peu diversifiée et je m’attache à être aussi inclusive que possible dans les personnages que je dessine. Le fait d’avoir des commandes qui vont dans ce sens aide beaucoup également, c’est un cercle vertueux. Les clients semblent de plus en plus sensibles à l’importance de ne plus représenter une seule typologie dominante de personnes et prennent soin de le notifier dans leur brief, ce que j’apprécie beaucoup. C’est le cas par exemple du magazine Les Inrockuptibles, avec lequel j’ai collaboré il y a peu de temps, le Lieu Unique à Nantes pour lequel j’ai réalisé une série de flyers, ou encore le festival Avec le Temps dont j’ai réalisé l’affiche de la prochaine édition. 

Je crois qu’il est effectivement plus facile de parler de ces sujets en dessin car il est incroyablement maniable selon la forme qu’on souhaite lui donner, je trouve qu’il est l’outil d’expression idéal pour interpeller les gens et faire passer des messages. Il attire toujours l’œil et se démarque par l’infinité des concepts qu’il permet d’explorer. 

As-tu des choses personnelles à exprimer ou as-tu le sentiment de représenter une sensibilité partagée par d’autres femmes ? Y a-t-il une forme de militantisme dans tes dessins ? 

Il y a totalement une forme de militantisme dans mes dessins, que je retranscris par les sujets que je choisis de traiter, les personnages que je mets en scène et également au travers de l’humour que j’essaie d’insuffler dans mes compositions. Je trouve que celui-ci permet de toucher plus largement le public, en ce qu’il propose généralement une approche moins frontale et offre du relief aux sujets dont il s’empare. En faisant péter certaines barrières, l’humour rend les gens plus ouverts et plus disponibles à la discussion, ou à la réflexion, il a ainsi vocation à faire passer des messages militants.

Quand je me suis lancée dans l’illustration, je représentais essentiellement des scènes détournant des événements qui m’étaient arrivés, en général des mésaventures avec des garçons, revisitées sur le ton de la plaisanterie, j’avais pas mal de choses personnelles à exprimer. C’est le cas encore aujourd’hui, sur un registre moins intime et plus porté sur des questions de sexualité au sens large, et de représentation des femmes. Je remarque que beaucoup de femmes, amies ou inconnues, me font des retours très enthousiastes et encourageants sur mes dessins traitant de sexualité, j’ai donc le sentiment que nous partageons une même sensibilité quant à ces manières-là de voir les choses, oui, ce qui est très plaisant ! 

Ton passé dans la publicité t’ a-t-il donné le goût des images à messages ? 

Absolument. Au-delà du simple aspect esthétique, j’aime par-dessus tout les images qui racontent des histoires. A fortiori dans une société où l’on vit saturé par les images, en permanence. Travailler dans la publicité m’a appris à aller plus loin dans la construction et la portée d’une image, c’est un challenge qui me passionne et me permet de ne jamais me lasser. 

Tu as travaillé pour la presse, sur des affiches de festival, des flyers, des couvertures de livres, des carnets de jeux et même collaboré avec l’OM pour une affiche de match, quel est ton exercice préféré ? 

Je réalise en effet des illustrations pour tous types de commandes, qui ne se ressemblent pas forcément. Certains sujets, légers et illustratifs, comme c’est le cas du carnet de jeux de Matthieu Vergote (illustration réalisée pour la couverture d’un carnet de jeux (f)léchés érotiques, ndlr) ou de l’affiche de match pour l’OM permettent de s’approprier une atmosphère via des enjeux graphiques, tout en laissant la part belle à son imaginaire. D’autres, dont la portée est avant tout conceptuelle, nécessitent un gros travail de réflexion et de documentation préalable, pour inviter efficacement les gens à réfléchir sur un sujet donné : c’est le cas des illustrations pour la presse, qui sont sans aucun doute mon exercice préféré. 

Tes personnages n’ont quasiment jamais de bouche, de nez ou même d’œil. Pourquoi ? 

L’idée de ne pas représenter de visage vient d’une volonté de laisser le public imaginer ce qu’il veut dedans. Il peut ainsi se projeter, personnellement ou non, et faire vivre à sa manière les personnages tout en rejouant les scènes suivant diverses interprétations. Les visages lisses attirent, voire percutent l’œil, l’identification qu’ils encouragent a tendance à les rendre d’autant plus animés, je trouve. 

Et puis, comme l’essentiel de mes illustrations personnelles recèlent des messages plus ou moins sous-jacents et engagés, ce processus d’identification est plus à même de sensibiliser et impliquer le public. 

Sur la couleur, on ressent une influence années 80 et même une esthétique des débuts du web, est-ce ta culture, tes influences ? 

Oui, totalement. Je suis née dans les années 90, mais j’ai souvent l’impression de m’être trompée d’époque. Je suis passionnée par l’esthétique des années 80 depuis toute petite, qu’il s’agisse de graphisme, de mode, de musique… J’ai toujours été attirée par les couleurs vives, les drames amoureux et l’excentricité décomplexée et c’est une influence qui ne m’a jamais quittée. À 8 ans, j’avais réalisé un carnet de dessins de « stylisme » où sur chaque page j’avais inventé et détaillé une tenue à connotation très très disco. Je suis retombée dessus par hasard il y a pas longtemps et me suis fait la réflexion que j’étais restée très cohérente dans mes choix graphiques. 

La couleur est omniprésente dans ton travail. T’aide-t-elle à t’exprimer ? Il y a d’ailleurs assez peu de demi-tons, de nuances, de dégradés dans tes illustrations, est-ce un trait de ta personnalité ? 

J’aime énormément travailler les palettes de couleurs et j’accorde encore plus d’importance à celles-ci qu’au trait de mes dessins eux-mêmes, en général. La couleur m’aide en effet à m’exprimer et au-delà de la pratique du dessin, je m’efforce de mettre autant de couleurs que possible dans ma vie, que ce soit avec mes habits, chez moi, et même dans les plats que je cuisine. Niveau personnalité, je suis effectivement très peu portée sur la demi-mesure. Dans la vie, je suis un peu « tout ou rien », je vis et ressens les choses avec intensité et la nuance ne fait pas vraiment partie de mes aptitudes. 

Les couleurs que tu utilises sont très flashy, les scènes souvent explicites, peut-on y lire une influence de l’esprit marseillais, direct et décomplexé ? 

Oui, absolument. J’ai toujours eu un goût prononcé pour les sujets explicites et les couleurs flash et vivre à Marseille encourage chaque jour un peu plus cette tendance chez moi. Je me sens en totale adéquation avec cette ville, et elle nourrit agréablement ma créativité et ma personnalité. 

Photo gauche : Yakoi, © Anna Uru. Photo centre : portrait de l'artiste, © DR. Photo droite : Échec, © Anna Uru.