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Vincent Schoepfer. Less is maure

Vincent Schoepfer a d’abord été un talent de la mode, où il s’est investi des années corps et âme avant d’atteindre un point de non retour. Guidé par son instinct créatif, inspiré par ses figures tutélaires familiales, grand-père gardian, mère mordue de céramique, il a alors choisi de quitter Paris pour retrouver la Provence de son enfance et les rêves qui vont avec, où il est question d’art, de fascination pour l’Antiquité et de vie plus humaine. 

Comment passe-t-on de la mode pour hommes à la céramique ?

Ce parcours vient de ma lassitude pour le métier de styliste. À 38 ans, je me suis rendu compte que je m’étais éloigné du sens premier qui m’avait fait choisir ce métier. Je n’avais plus de satisfaction à créer, je n’en pouvais plus, c’était un rythme effréné de collections suivant une logique imposée par la fast-fashion, au niveau écologie, ça ne me correspondait pas plus. J’ai continué sur ce rythme un moment, mais il fallait que je m’aère l’esprit, que je retrouve quelque chose de plus créatif qui me fasse à nouveau vibrer. 

La céramique est venue à moi parce que ma maman, qui est à la retraite, en faisait et je la voyais s’éclater. Alors je me suis dit, pourquoi pas moi ? J’ai cherché un atelier à Paris et j’ai commencé en 2019, avec un stage de trois semaines à l’atelier Melting Pot dans le 20ème arrondissement. Mais j’y suis allé avec une idée très précise, non pas pour voir comment ça se pratique, je ne suis pas un comptable qui s’est mis à la céramique par exemple, enfin j’étais déjà dans la création. Quand je suis arrivé dans le cours, j’ai tout de suite voulu réaliser une tête, dans l’esprit des têtes siciliennes que j’ai découvertes et adorées lors d’un voyage là-bas. 

Ma première tête était un vase avec un bandeau Gucci, des grosses boucles d’oreilles or, c’était à l’époque d’Alessandro Michele, il était encore en pleine ascension. Et puis voilà, j’ai mis le doigt dans l’engrenage de la céramique. Je me suis inscrit au cours à l’année puis j’ai voulu en faire plus mais le Covid est arrivé. Du coup, j’ai acheté de la terre et je me suis mis à en faire vraiment chez moi. À la fin de la pandémie, je me suis inscrit dans un atelier libre, j’ai pris de l’assurance et un jour, on m’a demandé de remplacer une prof qui n’était pas disponible pour une initiation. C’est là que je me suis rendu compte que j’aimais donner des cours, transmettre. Et c’est pour ça que je continue encore, en plus de mes créations, d’enseigner la céramique.

Tu parlais des têtes maures siciliennes qui ont été une source d’inspiration pour toi. Qu’est-ce qui t’a parlé chez elles ?

En tant que styliste, c’est d’abord l’esthétique. J’ai aimé le style de ces têtes avant même d’en connaître l’histoire. Il y a une mythologie autour du couple amoureux qui raconte que pour garder son amour, la jeune fille coupe la tête de son compagnon, ça ne paraît pas très sympa, mais elle l’expose et en fait une coupe pour y déposer des fleurs. Ce n’est pas le mythe qui m’avait fasciné en premier lieu mais leur côté baroque, qui se retrouvait dans mon travail pour la mode et les ornements généreux qui me correspondent bien, je pense que tu as vu que je ne suis pas dans le minimalisme.

Qu’est-ce qui t’attire dans la céramique ? Que t’apporte-t-elle que la mode ne te donnait plus ?

Je voulais transmettre des émotions et une esthétique qui m’était propre. J’avais une grand-mère, toujours très apprêtée, qui était couturière à l’époque de Christian Dior et ça me faisait fantasmer. J’avais une image idéalisée de la femme et de la mode, qui m’a poussé à m’intéresser aux couturiers des années 90. Ma référence, c’est Christian Lacroix, pour ce côté très coloré, mais aussi Yves Saint-Laurent. C’est tout ça qui, en grandissant, m’a fait choisir la mode. Mais quand on travaille, on prend des couloirs et plus on en prend, moins on peut s’en échapper. En travaillant par exemple pour la grande distribution, on tue un peu son côté créatif, on passe ses journées à faire des dossiers techniques, on va en Chine en constatant les conditions de travail, et forcément on perd ce côté magique qui m’avait tant attiré au début. On suit des modes, des tendances, on a des directeurs marketing et des chefs de produits qui nous parlent de chiffres et je ne m’y retrouvais plus. J’avais besoin de me nourrir d’art, de culture et je ne pouvais malheureusement pas en infuser mon travail. J’avais l’esprit d’entreprise dans le sens où j’aime être maître de mes décisions, mais pas d’entreprise commerciale. Quand on est créatif, c’est dur de savoir vendre ce que l’on fait. 

Le statut d’artiste m’apporte une liberté totale. Un styliste, ce n’est pas un artiste. Il peut avoir un esprit créatif, être autonome mais même en ayant sa marque comme moi, alors que je pensais pouvoir être plus libre, on est quand même régi par des acheteurs, par des salons professionnels. On va nous dire « si vous vendiez votre pull en rouge, je l’aurais acheté », donc on va le faire, mais la saison d’après, ils n’en voudront plus. Dans mon nouveau travail, je m’extrais de toutes ces considérations. On peut aimer ou non mon art mais personne ne peut m’imposer quoi que ce soit. Je suis maître de ce que je fais. Je peux explorer plein de pistes, découvrir et approfondir mes techniques, au quotidien, c’est extraordinaire. 

Le travail de la terre est une entreprise assez solitaire. Tu sentais que tu en avais besoin ? 

J’ai eu une période de salariat où je travaillais en équipe et pour ma marque, j’ai eu jusqu’à 5 personnes, avec deux salariés que j’employais. Mais j’avais besoin de me retrouver seul, je ne suis pas quelqu’un de timide, mais plutôt introverti. Je n’ai pas de mal à m’exprimer en public, à parler aux gens mais je ne suis pas expansif, ni le roi de la fête et j’ai besoin de ce temps d’introspection et de contemplation au quotidien. Pour ce qui est de la sociabilité, trois fois par semaine, je donne des cours. J’échange avec mes élèves et ça ramène de la vie dans mon atelier. J’entretiens cet équilibre car il est devenu nécessaire. 

Tu es retourné chez toi, en Provence, après avoir travaillé à Paris. Quel impact ce retour a-t-il eu sur toi ?

C’était un nouveau souffle, un ralentissement. Je suis retourné à Paris depuis et je me suis demandé comment j’avais pu vivre 20 ans dans cette ville. Elle est très anxiogène, on pense toujours à ce qu’on va devoir faire pour supporter sa semaine, à ce que l’on va acheter, à ce que l’on doit consommer. Alors qu’ici, on redescend. Mon souci aujourd’hui c’est de savoir quelle plante je vais mettre dans mon jardin et d’aller à l’AMAP chercher mes légumes. Je sais, ça fait très caricature, je remplis toutes les cases du bobo qui a quitté Paris pour la campagne, après le Covid. Mais c’est une réalité, j’ai une vie totalement différente. On n’a plus les mêmes besoins, je ne m’habille plus pareil, physiquement j’ai changé. Mes cheveux sont longs, c’est comme un lâcher-prise, impossible pour moi avant, dans un monde où l’esthétique comptait beaucoup. Dans la mode, je devais refléter une certaine image, maintenant, honnêtement, je m’en fous. 

Ma vie en quittant Paris a été complètement bouleversée. J’ai l’impression d’être une personne différente. Je suis plus investi, je fais partie de l’association des commerçants de mon village (La Roque d’Anthéron, ndlr) et j’aide à mettre en place un projet culturel pour le dynamiser. L’idée, c’est d’inviter une artiste et d’exposer ses œuvres à ciel ouvert pendant 6 mois. J’aime prendre part à cette vie associative, ça me permet, en dehors de mes fameux temps d’introspection, d’échanger et de me nourrir de ces interactions. On construit quelque chose tous ensemble, dans ce village de 6 000 habitants.

Parle-moi de ton grand-père, gardian et poète. Quelle influence a-t-il eue sur toi ?

Ça, c’est mon attachement à ma région d’origine. Même si j’ai été formaté en parisien pendant 20 ans, je ne viens pas de Paris. Ce retour aux sources tient à mes racines provençales, même si mon nom n’inspire pas le Sud, car il est d’origine suisse-allemande du côté de mon père, qui est pourtant né à Avignon, comme ses parents. 

Mon grand-père maternel était gardian. Quand j’étais petit, il avait son cheval, on faisait les fêtes, les Arlésiennes, la marche aux Saintes-Maries-de-la-Mer pour la Vierge Noire, enfin toute cette mythologie de la Provence qui a nourri aussi mes créations. Tout ce côté méditerranéen et antique me parle énormément. À côté de Saint-Rémy-de-Provence, il y a un village gallo-romain qui s’appelle Glanum et c’est là-bas qu’on allait faire des sorties avec l’école quand j’étais jeune. Dans ce village, il y a des antiques, comme des portiques, et ça me passionnait. Je voulais être archéologue, j’avais même fait mon stage de troisième avec un archéologue. 

Mes vacances en Italie m’ont inspiré parce que ce pays est un peu la quintessence de tout ce que l’on peut trouver en Europe en termes de ruines. La Grèce me parle, bien évidemment, l’Égypte aussi, que l’on peut retrouver également dans mon travail. J’ai voulu mettre en avant mon grand-père parce que je trouvais intéressant de mêler ses mots, qui décrivent si bien les sensations de la Provence, à l’art de la céramique. Afin de signifier mon appartenance à cette région et clamer mon amour pour le bassin méditerranéen.

Tu dessines aussi. Quelle place cela occupe dans ta pratique artistique ? 

Je dessine aussi, car je voudrais sortir un peu de l’approche artisanale. J’aimerais proposer un univers plus global, qui inclut la céramique, la peinture, des objets de design. J’ai déjà créé une table, des fauteuils et j’ai envie d’aller au-delà de la céramique. 

Dans le dessin, on va retrouver Cocteau, Picasso, Matisse, ce ne sont pas des choses que je me dis en dessinant, ce sont les retours des gens qui voient ce que je fais. Mais forcément, ce sont des artistes que j’aime, que j’ai pu étudier même quand je travaillais dans la mode, donc ça m’a nourri.

Contrairement aux céramiques siciliennes traditionnelles, tes pièces ne sont pas émaillées. C’est une façon de te les approprier en les modernisant, de les rapprocher de la statuaire antique qui t’intéresse ?

Moi je fais du modelage et non pas du tournage avec un tour de potier électrique et la plupart du temps, je ne fais pas de dessin avant de travailler la terre. Je suis devant mon bloc et je façonne, j’ajoute, je ne réfléchis pas trop en amont. C’est beaucoup de hasard, je teste, j’expérimente. 

Il y a des céramistes qui adorent utiliser l’émail, qui est de la chimie. Ils vont fabriquer leur propre émail en mélangeant des trucs, pour émailler des assiettes et des bols. Moi, mes émaux, je les achète tout prêts, parce que je ne suis pas chimiste et que ça ne m’intéresse pas plus que ça. L’antique, la terre brute, c’est ça qui me plait. 

Cet été j’ai moins produit, mais j’avais des pièces depuis un moment qui n’étaient pas émaillées et j’ai testé. Je les ai émaillées. Trois jours après, elles étaient vendues. Donc je vais voir si j’émaille un peu plus, si ça provoque des choses chez les gens qui regardent mon travail, sans jamais laisser de côté l’aspect brut que j’aime tant.

Quel statut ont tes céramiques ? Pièces utilitaires ? Sculptures ? Objets fétiches ?

Elles ne sont pas utilitaires. Je veux sortir de ça justement parce que malheureusement faire de la céramique utilitaire aujourd’hui, c’est très compliqué. Les gens n’ont pas la valeur du travail et ils ne vont pas comprendre pourquoi une assiette coûte 45 euros alors qu’ils en ont vu une faite à la main au Portugal chez Monoprix à 12 euros. Quand on fait des créations artistiques, on n’a pas à justifier du prix.

En revanche, j’ai du mal à me séparer de mes œuvres, j’ai du mal à les vendre et j’ai aussi du mal à fixer les prix. Heureusement que j’ai mon coach de vie, mon compagnon, qui m’aide à estimer correctement mon travail. Et je suis content qu’il le fasse car, récemment, j’ai fait une grosse vente grâce au cabinet Humbert et Poyet, qui a suggéré mon travail à un hôtel de Dubaï, qui m’a acheté cinq sculptures d’un coup. 

© Vincent Schoepfer