Son expérience de designer de mode et ses souvenirs de fille d’un tourneur d’argile ont conduit Lola Mayeras à inventer un univers créatif qui ne ressemble qu’à elle. Un monde coloré de céramiques décalées, infusées de Sud et teintées d’humour à mi-chemin d’une esthétique pop vintage acidulée et d’une urbanité haute en couleur.
C’est votre père, je crois, qui vous a menée à la céramique. Pouvez-vous me parler de son parcours et de l’influence qu’il a eu sur votre carrière?
À l’âge de 19 ans, après une école de tournage, mon père a débuté dans le monde de la céramique en décrochant une place à Vallauris. Il était très doué et a enchaîné ensuite les emplois dans plusieurs ateliers là-bas durant des années. Mes parents ont décidé de s’y installer par la suite, et cela a permis à mon père d’avoir son propre atelier, en dessous de notre appartement. Il a aussi ouvert en même temps, à proximité de Saint-Tropez, une boutique de céramique avec son frère. Un véritable trésor de merveilles provençales.
Nous avons ensuite déménagé dans un petit village de l’arrière-pays varois, où mon père s’est offert un atelier plus spacieux, presque attenant à notre maison. Il y passait ses hivers à créer des céramiques colorées typiquement provençales. J’ai donc naturellement été initiée à l’art de la céramique dès mon plus jeune âge.
Mes parents ont toujours été de fervents soutiens pour moi, ils m’ont encouragée à suivre ma voie quand j’ai voulu intégrer une école de mode à Paris. Pendant plusieurs années, j’ai travaillé en tant que designer de mode pour une marque parisienne, où j’ai pu exprimer ma vision artistique à travers les collections. Le premier confinement en 2020 a marqué un tournant décisif dans ma carrière. J’ai eu l’opportunité de revenir dans ma maison d’enfance, où mon père venait tout juste de prendre sa retraite. Au beau milieu de l’atelier, témoin de tant de créations, j’ai redécouvert l’art de travailler avec l’argile. C’était comme si un nouvel univers de possibilités s’ouvrait à moi et j’ai progressivement compris tout le potentiel que la céramique offrait.
Pouvoir transposer le processus créatif que j’avais si bien connu dans la conception de vêtements en une toute nouvelle expression artistique que serait une collection de céramiques. Cette fusion de mon amour pour la mode et de mon héritage familial est apparue comme une évidence et c’est comme ça que je me suis lancée dans cette nouvelle aventure.
On retrouve parmi vos créations des vases-chemises ou des céramiques ceinturées. Comment la mode vous influence-t-elle ? Et, à l’inverse, que trouvez-vous dans la céramique que vous n’aviez pas dans la mode ?
Mon passage dans le monde de la mode a eu un impact énorme sur mon travail en céramique. Pendant cinq ans, j’ai travaillé en tant que designer pour une marque de mode pionnière dans l’upcycling, avec des collections présentées lors de la Fashion Week de Paris. Durant ces années, j’ai appris à accomplir une grande variété de tâches à un rythme effréné, sans pour autant perdre mon identité créative.
La mode m’a également apporté une perspective globale dans la création d’une collection avec une identité forte. J’ai compris comment chaque pièce était un maillon essentiel d’un ensemble cohérent, contribuant à raconter une histoire. Ce processus m’a donné une vision plus large sur la façon de développer une idée initiale jusqu’à la concrétisation d’un univers final et abouti.
À présent, avoir accès à un atelier et être capable de produire des pièces sans contrainte ni intervenant extérieur m’a donné une liberté d’expression qui dépasse les limites du textile.
Vous étiez à Paris, désormais vous puisez votre inspiration et façonnez vos pièces dans le Sud, dont vous êtes originaire. Qu’est-ce qui vous inspire ici ?
Revenir dans le Sud pour me consacrer à ce projet correspond plus à une opportunité que j’ai saisie avec joie qu’une envie particulière de quitter Paris. J’aime mon village du Sud autant que Paris et je m’épanouis en jonglant entre les deux, entre les périodes de production effrénées dans le Sud et les moments de créativité à Paris.
Ce qui m’inspire, c’est l’univers magique de mon enfance, qui a laissé une empreinte indélébile sur mon imaginaire. Je me souviens avec nostalgie du magasin familial près de Saint-Tropez où j’ai grandi, joué enfant et travaillé adolescente. J’adorais vivre auprès des corps qui se prélassent au soleil, des tenues vestimentaires légères et des magasins de jouets gonflables du bord de plage.
Je me suis amusée des rythmes opposés de la Côte d’Azur selon les saisons, entre les hivers calmes et les côtés excentriques et amusants de l’été où les touristes affluent, les plages se surchargent et les terrasses débordent.
La couleur occupe une place centrale dans mon travail, je la choisis instinctivement, mais elle représente une part essentielle de mon univers. Je souhaite que mes pièces égayent les espaces et laissent une impression positive à ceux qui les regardent. J’ai aussi l’impression que les couleurs que j’ai choisies permettent de rehausser le travail de mes formes.
Ces couleurs un peu rétro sont-elles liées à une forme de nostalgie des années 60 ? Un temps où le design était plus naïf, moins formaté ?
Mes couleurs ainsi que certaines de mes formes font écho aux années 60-70 et particulièrement à l’univers Space Age. J’apprécie cette époque où le design était très libre, sans contrainte rigide. Enfant, l’une de mes premières obsessions a été le travail de Quasar Khanh, le pionnier du mobilier gonflable. J’ai adulé ses canapés gonflables translucides et pop et tant rêvé d’en posséder un dans ma chambre.
On voit que vous vous amusez dans votre travail. Vous aviez envie de rendre la céramique plus ludique ? De casser son côté fragile et précieux, pour jouer avec ses formes et ses usages, tout en injectant un peu d’humour dans le monde du design ?
Je prends énormément de plaisir dans mon travail et l’humour joue un rôle important dans mon univers. Je n’ai pas intentionnellement voulu rendre la céramique plus ludique mais j’aime l’idée de démystifier sa perception conventionnelle. Plutôt que de la considérer comme fragile et précieuse, j’ai exploré des façons de jouer avec les formes et les utilisations, tout en ajoutant une touche d’humour au design.
Vous avez imaginé des lampes en forme de flacon de lessive, des porte-manteaux en forme d’oreilles, des vases inspirés de la forme des produits vaisselle … Comment en êtes-vous arrivée là ?
L’inspiration derrière ces idées vient souvent de ma curiosité pour le quotidien et de mon envie d’explorer les objets et les formes sous un nouvel angle. Mon processus créatif débute en observant les détails et les éléments qui m’entourent, puis en les réinterprétant avec une touche de fantaisie et de jeu. Les lampes en forme de bouteille de lessive, par exemple, naissent d’une manière ludique de célébrer des objets simples et de les transformer en pièces décoratives.
Le pop art vous a-t-il inspiré ? Vos détournements ont-ils une portée critique ? Ou débouchent-ils simplement sur des objets fonctionnels et fun ?
Le pop art a certainement inspiré ma démarche et montré comment les objets du quotidien peuvent devenir source de créativité, mais aussi, comment l’art peut refléter la culture de consommation. Tout en m’inspirant de cette esthétique, mon intention n’est pas nécessairement de critiquer, mais plutôt de jouer avec les notions de familiarité et de surprise. Je veux que mes créations soient à la fois fonctionnelles et joyeuses et qu’elles conduisent à réfléchir différemment sur les objets qui nous entourent.
Dans votre travail, le côté traditionnel provençal se mêle à un design très actuel. Vous aimez jouer sur cette dualité ?
Absolument, j’aime jouer avec l’équilibre entre tradition et modernité. En m’inspirant de mes racines provençales, je rends hommage à ma culture, tout en la fusionnant avec un design actuel. Cette combinaison m’apporte une richesse créative et m’offre une nouvelle vision des formes et des motifs classiques. Cette dualité trouve une résonance dans mon approche contemporaine. Mon inspiration provient de mon héritage familial, de mon environnement actuel et des émotions que tout cela suscite. Même si mon univers est décalé, je cherche à garder une familiarité dans mes pièces.
J’ai lu que vous commenciez la journée dans votre studio en écoutant de la musique. Vous écoutez quoi pour produire des formes comme ça ?
Chaque jour débute en musique, que ce soit dans mon appartement ou dans mon atelier, et mes choix musicaux évoluent constamment. En ce moment, j’apprécie particulièrement les albums de James Blake, Nils Frahm et Flavien Berger.
Vous n’apparaissez que très peu sur vos réseaux sociaux et toujours très sobrement. Vos céramiques sont-elles la part déjantée que vous montrez au monde ? Un moyen de vous exprimer ?
Je ne suis pas très à l’aise à l’idée de me mettre en scène, aussi, j’ai le sentiment de ne pas en avoir besoin. Mes pièces incarnent le côté ludique et imaginatif de ma personnalité, que je souhaite partager. Mes réseaux sociaux se concentrent principalement sur mon travail artistique. Ils me permettent d’élaborer un espace où mes créations peuvent parler d’elles-mêmes tout en laissant aux autres la liberté de les interpréter.