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Louis Sicard, la plus belle des faïences

Derrière l’inventeur authentifié de la cigale en céramique polychrome se cache la plus ancienne manufacture d’Aubagne et un pan entier de l’histoire populaire de Provence. Un patrimoine vivant que deux femmes, Marianne et Florence, s’emploient avec brio à perpétuer, entre tradition formelle et design contemporain, art décoratif et plaisirs de la table.

Wikipédia nous dira-t-il quel génie septentrional inventa un jour la boule à neige ? Ou quel bâtisseur suburbain, les nains de jardins pavillonnaires ? Il semble que non, et c’est contrariant. Mais réjouissons-nous car entre ici Louis Marius Sicard, au panthéon des hameaux et villages provençaux depuis ce jour de 1895 où sortit de son four aubagnais la première cigale en faïence polychrome. Toute évocation de la cigale melba de feu Pierre Desproges serait ici hors de propos puisqu’il ne s’agit pas de parler cuisine mais bien de la naissance historique d’une icône décorative qui, depuis, brille sans faillir au fronton d’innombrables foyers de Provence.   

Comme toujours, un chef-d’œuvre, même reproduit à des millions d’exemplaires, ne saurait masquer l’ensemble de l’œuvre, ni le talent de l’artiste. Un talent que la Reine Victoria, rencontrée par hasard à Menton quelques années plus tôt, aurait salué dit-on par cette exclamation : “tu fais danser l’argile.”, en souveraine proche du peuple, fut-il étranger, et en experte avertie de la fine bone china à l’heure du five o’clock tea. La poétesse Anna de Noailles l’honora, à son tour d’un : “Monsieur, vous avez du printemps dans les mains.” Multipliant les créations – objets de décoration ou d’art de la table – dont certaines sont entrées au musée ou demeurent des pièces emblématiques du patrimoine provençal, Louis Sicard connut le succès, vit sa réputation dépasser les frontières et enseigna son art aux Beaux-Arts de Marseille. Les anciens (finalement plus prolixes que Wikipédia) racontent qu’à son décès, les cigales chantèrent au diapason, comme pour honorer leur père de céramique.

Théo et Georges, ses fils, formés par lui aux arts du feu, reprirent donc le flambeau et firent fructifier la manufacture familiale jusqu’à l’orée des années 1970 où le dernier représentant des Sicard en confia les rênes au couple ami Amy mais toujours à Aubagne. Raymond Amy, santonnier de son état, et sa femme Sylvette surent en magnifier l’aura, exposant les créations maison au Japon et aux Etats-Unis (peut-être même Miami finalement ?). Une famille succédant à une autre, ce sera au tour des enfants de Raymond et Sylvette d’entretenir la flamme de Louis Sicard, ce que Marianne et Florence font aujourd’hui avec brio, dirigeant l’entreprise cent-trentenaire, membre des Centaures d’Aix-Marseille, dans la modernité d’un nouveau millénaire.

Modernité traduite pour les 120 ans de la maison par la création d’un avatar design de l’iconique cicadidé, disponible en 38 couleurs et 5 tailles, du repose-couteau au trophée de 30 cm d’envergure. Ou encore, au travers du projet de Clément Rosenberg, lauréat du Grand Prix Van Cleef and Arpels à Design Parade Toulon 2023, qui fit de l’icône zoomorphe la matière d’une héraldique fictionnelle de Provence. Et comme il n’y a pas que les cigales dans la vie, les services Sicard décorés de rameaux d’olivier, d’envolées d’olives ou de l’historique semis d’aubépine feront chanter vos tables avec autant de chaleur provençale.

À gauche : cigale Évocation Louis Sicard, design Emmanuel Agnel © T. Sebban
À droite : trio assiettes Brin D'olives Louis Sicard © DR