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Léa Laborie. Sublimer l’imparfait.

Léa Laborie exerce la profession de menuisière. Son rapport très organique à la matière, dont elle aime la diversité jusqu’aux plus infimes imperfections, l’a conduite à imaginer une démarche peu commune, choisissant pour matière première de ses objets des chutes de bois dont personne ne veut ou que son frère, élagueur, lui procure. Un minutieux travail de réemploi et d’ennoblissement qui produit des pièces étonnamment vivantes et modernes, comme autant d’histoires à lire à fleur de fibre. 

Depuis 4 ans, Léa Laborie exerce la noble profession de menuisière à son compte. L’artisanat d’art, elle l’a découvert après son bac, en suivant une formation dédiée à la facture d’orgues. Un parcours qui la laisse insatisfaite mais qui fait germer dans son esprit l’envie d’un métier dans lequel elle continuerait de créer de ses mains. Déjà éprise de la matière, Léa ne veut pas quitter le bois trop vite. Elle décide alors de travailler, d’expérimenter et se perfectionner, gouge en main, en utilisant des chutes de bois pour façonner des objets du quotidien qui lui ressemblent. De l’expérimentation initiale, elle a fait une pratique au long cours. Chaque jour, dans son atelier marseillais, elle continue d’explorer toutes les possibilités du bois et de lui déclarer son amour : « Le bois est une matière incroyable qui est différente selon chaque essence utilisée, chaque morceau est unique. C’est un matériau vivant, que j’aime manipuler, on ne l’appréhende jamais de la même manière. Je suis toujours surprise par le bois et le savoir-faire autour de lui est infini. »

Son matériau de prédilection, elle continue de le récupérer dans les chutes inutilisées par les professionnels, ou auprès de son frère élagueur qui taille le bois. Cette démarche lui impose une créativité sans relâche, devant jouer de contraintes sans pouvoir prévoir à l’avance avec quelle essence ou quelle pièce de bois elle devra composer. Pourtant, la tâche est loin d’effrayer Léa. « C’est un défi à chaque fois, car les chutes sont souvent des pièces que les autres ne veulent pas. Elles comportent des défauts, des imperfections, quelque chose qui fait qu’elles ne conviennent pas et moi, je dois trouver un moyen de travailler avec. Je n’ai jamais un bois parfait et, au-delà de la démarche de réemploi, cela me permet de toujours innover, de trouver des solutions. » 

Quand on l’interroge sur ces solutions, la menuisière répond simplement qu’elle les trouve en tirant justement parti des imperfections. « Les mettre en avant, cela ajoute du charme à mes yeux, j’exploite ce que l’on veut généralement cacher. » Une philosophie qui, au-delà de sa dimension éco-responsable, évoque le courant japonais du wabi sabi.  Cette esthétique de l’imparfait donne à Léa la liberté d’imaginer une multitude de formes et d’objets, des soliflores, des planches ou, plus singuliers encore, des moules à raviolis, avec un supplément d’âme et de cachet. La créatrice s’intéresse tout particulièrement à l’art de la table, en commençant par les cuillères qu’elle affectionne particulièrement pour leur volumes et leurs courbes, même si lors de notre échange, elle avoue qu’elle « adore manger mais ne cuisine que très peu ». Elle aime imaginer qu’un objet de table ait une vie propre, lorsque que l’on voit « le bois changer, évoluer au fil des usages ». Sa collaboration avec Touillet, le projet de la cheffe Justine Pruvot, pour lequel elle a imaginé un rouleau à dessiner sur les pâtes pour un plat de lasagnes poétique, un moule à raviole géante et des cuillères à amuse-bouches sucrés, l’a aidée à s’affirmer plus encore dans cette optique : « Je suis réellement sortie de ma zone de confort et cela m’a permis d’avoir de nouvelles perspectives sur ce que je pouvais créer. C’était vraiment génial, parce que ça m’a aidée à aller plus loin et ma démarche créative a vraiment été impactée par cette collaboration. »

Lorsqu’on demande à Léa si elle sait toujours ce qu’elle va créer en se mettant au travail, elle se confie sur le caractère imprévisible et le protocole inhérents à sa démarche. « Cela dépend car certains morceaux sont déjà calibrés, donc je sais ce que je vais faire et il y en a que je regarde longtemps avant de savoir comment les appréhender. Je me pose la question lorsqu’ils sont dans l’atelier, j’essaie d’imaginer mais c’est au feeling dans ces moments-là. Il y a des morceaux de bois que j’aime particulièrement et je ne veux pas les utiliser pour un projet trop classique. Alors ceux-là, je les regarde longtemps. » Par-delà ce face-à-face avec la matière, ce qui ne change pas pour Léa, c’est son attention au travail de la main. À ses yeux, le passage de la gouge sur le bois est un aspect qu’elle ne cherche pas forcément à gommer, car c’est ce qui rend son travail « plus organique ».

Léa la menuisière s’épanouit dans sa pratique. Quant à savoir si elle se voit travailler le bois longtemps, Léa répond qu’elle a trouvé la matière qu’il lui faut et qu’elle ne s’en lasse pas. Elle ajoute même qu’elle ne « connaît pas encore tout du métier » et que c’est précisément ce qui la pousse à « être extrêmement curieuse pour aller plus loin », avant de confier qu’elle espère faire cela toute sa vie. 

Photo gauche et centre © Stéphanie Davilma. Photo droite : © Léa Laborie