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Amandine Gachet, l’épure céramique

Architecte formée à la céramique, Amandine Gachet traduit dans chacune de ses créations son goût particulier pour les lignes épurées et le minimalisme. C’est dans son atelier à Marseille, sa terre natale, qu’elle cultive et transmet sa passion de la terre et de la précision. Et bien qu’elle soit tentée par la froideur scandinave, le feu pour la céramique qui brûle en elle semble inextinguible.

Comment passe t-on d’architecte à céramiste ?

C’est un changement qui s’est fait sur le long terme. À la base, je suis architecte spécialisée en reconstruction parasismique et paracyclonique, ce qui m’a amenée à voyager pas mal à l’étranger. Je travaillais beaucoup en mission humanitaire sur de longs mois. Puis j’ai eu envie de me poser, de revenir à Marseille où je suis née. J’avais envie de voir plus loin et ne plus courir à droite et à gauche. J’ai commencé à travailler en agence d’architecture à Marseille, ce qui me stimulait un peu moins que mon passé où je bougeais beaucoup. 

En parallèle, j’ai découvert la céramique, complètement par hasard. C’est une amie à moi qui m’a amenée à un cours du soir, j’y suis allée vraiment sans conviction. C’était un cours de tournage où l’on n’était que deux, ce qui était assez génial pour pouvoir découvrir avec la prof. Et là, dès cette première séance, je suis tombée complètement amoureuse c’était impressionnant. J’ai trouvé avec la céramique une pratique qui m’alignait le corps et l’esprit, où je pouvais enfin me poser. Avant même de me satisfaire de ce que je pouvais créer, c’était la pratique en elle-même qui me faisait du bien. D’être concentrée, de ne penser à rien d’autre, ça me correspondait. 

J’ai pratiqué quasiment pendant un an avec cette prof, qui m’a enseigné toutes ses techniques, mais je n’avais encore pas l’impulsion de me professionnaliser. C’était un loisir que je pratiquais de manière très régulière, ma soupape pour lâcher la pression. Je ne me projetais pas. Après le Covid, le chômage, j’ai retrouvé un travail en agence, mais à mi-temps. Pile à ce moment-là, ma prof de céramique m’a proposé de partager son atelier. Cela me permettait de mettre un pied dans la discipline tout en étant à moitié dans l’agence, c’était la configuration rêvée pour que je trouve mes marques. J’ai pris ce temps pour expérimenter jusqu’à ce que cet équilibre penche doucement vers la céramique. Puis mon travail s’est arrêté et c’est là que je me suis posé la question : suis-je apte à me lancer dans ce qui me passionne. C’était le moment charnière de ce crescendo, où j’ai décidé de m’investir dans la céramique à 100%.

Ton ancien métier influence-t-il ta pratique actuelle ? 

Au début, je ne le percevais pas forcément, mais plusieurs personnes m’ont fait remarquer qu’ils percevaient mon travail d’architecte dans ma pratique de la céramique. J’aime ces lignes droites, ces formes géométriques, précises, avec une certaine rigueur. J’aime aussi l’épure et travailler les détails, je pense que tout cela vient de ma manière de concevoir l’architecture. 

Justement, le terme qui revient souvent concernant tes réalisations est précis. À l’inverse des céramistes qui cultivent l’imprévu comme l’imperfection, la précision est-elle ta marque de fabrique ?

Complètement. Aujourd’hui, ce qui plaît, ce sont les traces de la main. Je suis à contre-courant de ce qui fonctionne en céramique, on aime voir le modelage, lire dans les imperfections ce retour aux sources presque ancestral. J’aime beaucoup ce genre de pièces mais ce n’est pas ce que je cherche à exprimer. J’ai ce besoin de précision, j’ai peut-être d’ailleurs quelques tocs, mais je suis assez maniaque et ça transparaît clairement dans ma production. C’est viscéral et c’est d’ailleurs pour cela que je travaille au tour et pas au modelage, pour que je puisse obtenir le niveau de précision que j’ai en tête. Quand je recherche des lignes particulières, je vais travailler jusqu’à les atteindre, parce que j’aime le faire et le rendu que j’obtiens.

Tu partages un atelier pluridisciplinaire à Marseille. Travailler à plusieurs c’est important pour toi ? 

Je loue cet espace à Marseille pour pouvoir sous-louer des espaces à d’autres personnes créatives. Actuellement il y a deux fleuristes qui se sont installés et un autre céramiste, qui travaille plus la sculpture. On se nourrit du travail de chacun sans être dans une démarche collective. La pratique de la céramique, cela reste un travail très solitaire, du coup, ça fait du bien de pouvoir échanger, de prendre un peu du recul sur ce que l’on a imaginé. Et puis, comme ils ne sont pas là tous les jours, cela me permet quand même d’avoir des temps calmes pour me concentrer. C’est un véritable équilibre que j’ai pu atteindre dans cet atelier. 

Tu donnes aussi des cours dans cet atelier, tu transmets une technique et un savoir-faire traditionnel en partageant une expérience humaine. Est-ce que tu as le sentiment d’apprendre et de progresser dans cet échange ? 

Donner des cours m’a permis de préciser ma pratique et de mettre des mots sur des gestes que j’intériorise. Ce qui était clair dans ma tête ne l’était pas forcément pour tout le monde, alors j’ai dû trouver la façon de caractériser ce que je faisais. C’est en organisant mes premiers cours que je me suis rendu compte que j’adorais en donner. Transmettre c’est essentiel et je pense que j’ai eu moi-même une mentor qui m’a tellement donné de sa personne et communiqué l’envie de faire comme elle que je voulais donner la même chose en retour. 

J’aime décortiquer le geste, ça nous fait apprendre de notre côté et de voir l’évolution des personnes qui viennent apprendre, c’est gratifiant. Je donnais également des cours collectifs chez Clay Atelier et certains de mes élèves se sont inscrits en CAP tournage par exemple. Si j’initie des vocations, c’est vraiment une belle reconnaissance. 

Tu as collaboré avec Touillet, une marque dédiée aux arts de la table, notamment pour imaginer un plat de service et des assiettes. Tu réalises en ce moment de la vaisselle pour un nouveau restaurant. Depuis quelques années, la céramique est redevenue moderne, comment l’expliquer ? 

La céramique et les céramistes sont tellement différents d’il y a cinq ans, quand j’ai commencé. Il y a de plus en plus de personnes qui travaillent leurs pièces de manière plus naturelle, en élaborant leurs propres recettes d’émaux, leur propre terre. Je pense que s’il y a de plus en plus de céramistes, c’est aussi parce que la demande grandit, les gens sont plus avertis sur la pratique, sur le fait main et les pièces uniques. Pour les restaurants comme pour les particuliers, il y a vraiment un nouveau regard, moins ringard, Il y a une scène plus contemporaine de la céramique qui s’installe petit à petit. 

Je pense que c’est devenu plus important pour tout le monde de travailler avec des artisans locaux, de savoir qui est derrière ce que l’on met sur nos tables. Je suis en train de créer toute la vaisselle pour ce restaurant et c’est super parce que l’on a pu faire plusieurs rendez-vous à l’atelier pour confronter nos visions et nos envies. Cela permet de sélectionner des formes, des couleurs, des matières qui reflèteront ce que l’on veut transmettre. Cette rencontre qui permet de raconter des histoires, c’est une nouvelle union qui prend plus d’importance aux yeux des gens, je pense.

Cela tombe bien, j’allais parler de l’accord met-plat. Comment, selon toi, la forme peut-elle améliorer le fond, à savoir, la qualité du plat ou le plaisir de le savourer ?

Le fait d’accorder le plat au contenu change l’expérience de dégustation, c’est certain. Sans prétention, je pense que cela complète une dégustation. Quand j’ai travaillé avec Touillet sur ce plat de service à pot-au-feu, je l’ai pensé comme un plat de partage, que tu mets au milieu de la table. C’est dans le service que cela va changer les choses. C’est un processus plus réconfortant que j’ai cherché à créer. 

Les assiettes que je peux imaginer vont amener certaines sonorités, quand on passe sa cuillère au fond, il y a quelque chose qui se produit. Même visuellement, si l’assiette est complètement lisse, si l’on travaille un grès chamotté qui amène de la texture, cela renverra une autre identité. On est encore aux prémices de la rencontre entre le contenu et le contenant et je suis persuadée que l’on pourra aller très loin. Creuser dans des choses expérimentales, peut-être moins confortables. Cela me plairait d’imaginer des pièces qui déstabiliseraient dans les textures et les formes. Quitte à imaginer des pièces moins pratiques mais qui provoquent une réaction immédiate quand on les amène sur table. 

Tu parlais de ta création de plat à pot-au-feu. J’ai lu à propos de ce projet, qu’il avait été pensé « pour être fonctionnel mais également comme un objet design épuré ». Comment définis-tu ton travail ? Te sens-tu plus proche du design ou de l’artisanat ?

Je me sens définitivement plus proche de l’artisanat. Je ne pense même pas m’être posé la question tellement je me sens artisan. Quand Justine (la créatrice de Touillet, ndlr) dit que c’est un objet de design, elle parle sûrement de sa forme qui est très épurée et du processus pour le développer qui a été long. Il comporte un système d’emboîtement qui est très technique à réaliser et même si cela peut rentrer dans la case du design, je me sens dans l’artisanat avant tout. 

Ce que j’aime et là où je me retrouve dans l’artisanat, c’est ce truc fort dans le lien avec la terre, entre le geste et la matière. Cela a sur moi le pouvoir d’équilibrer le corps et l’esprit. Avec le tournage, il y a un ancrage dans l’instant présent, où tu n’as pas le choix, tu dois rester concentrée sur ce que tu fais. Cela me transporte complètement

Qu’est-ce qui t’inspire pour tes créations ? 

C’est sûr qu’inconsciemment l’architecture nourrit mon travail. Il y a des architectes que j’aime beaucoup, par exemple, mon atelier s’appelle AALTO en référence à Alvar Aalto, un architecte finlandais, il a une manière de traiter le fonctionnalisme qui me parle énormément. Le mouvement Bauhaus me parle aussi beaucoup, entre art et artisanat. Tout ce qui est architecture minimaliste et fonctionnelle, comme Mies van der Rohe, me plaît également et m’inspire beaucoup. Le style épuré scandinave, cette froideur presque, fait aussi partie de mes inspirations.

À gauche : plat festin couvert d’hiver de Touillet, collections Les Potièr.e.s par Amandine Gachet. Photo, Aurore Bonami, set design, Séverine Pierre. À droite : portrait d’Amandine par Victor Vaïsse.