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Maison Mani, de Oaxaca à Nice en un tour de mains

Entre clichés réducteurs et appropriation culturelle, le Mexique peine à préserver son authenticité, de ce côté-ci de l’Atlantique, c’est-à-dire chez vous (et moi). Pourtant, ses traditions ancestrales, l’infinie richesse de sa culture précolombienne (c’est-à-dire d’avant le cyclone Christophe), son humanité, qui habite la moindre de ses créations artisanales, tombent à point nommé pour nous réchauffer le cœur. Avec l’aide d’un e-shop bien inspiré et de sa bonne étoile nommée Paulina.

Si votre vision du Mexique tient dans un sombrero, un poncho multicolore et des mariachis pétaradants, on pourrait bien vous mettre dans le même sac (bariolé) que, par exemple, ces deux éminents labels français de mode, pourtant de bon ton, qui se sont fait épinglés pour avoir récemment détourné sans aucun tact (et s’en sont platement excusés depuis) quelques archétypes culturels amérindiens. Alors, entre clichés réducteurs et appropriation culturelle, que faire lorsque l’on rêve de chaleur venue d’ailleurs pour réchauffer notre quotidien ? Demandez donc à Paulina Meléndez Caballero, la souriante créatrice et âme fervente de Maison Mani, e-shop sensible et réjouissant. Et, puisqu’on y est, traversons donc l’écran avec elle pour un tour de back office magique, qui nous conduit tout droit à Oaxaca

Paulina Meléndez Caballero n’est pas vraiment niçoise.

Vous l’aurez deviné. Elle est née un beau jour pas si lointain dans le sud-ouest du Mexique, dans une ville qui n’a pas la chance de se prononcer aussi facilement que Vera Cruz, Acapulco ou Tulum. On essaiera donc de la nommer Wah-Ra-Kah et surtout de chercher à en savoir plus sur la capitale de l’état éponyme (5e plus grand de la fédération mexicaine), terre autrefois des peuples Mixtèques et Zapotèques, largement ignorée des hordes touristiques en quête d’exotisme caribéen, voire pacifique à bon marché. Et pourtant, Oaxaca s’avère riche d’une tradition artisanale et décorative unique, source apparemment inépuisable d’inspiration pour de pâles copies destinées à égayer depuis des lustres nos espaces de vie urbains calibrés. Amoureuse de son pays natal, désireuse d’en partager l’essence et la créativité, Paulina a décidé de mettre à profit ses compétence dans le monde digital pour créer une ambassade modeste et géniale de l’art décoratif et du savoir-faire vernaculaires de ses racines. Maison Mani, e-shop et vitrine prosélyte de quelques artisans aussi talentueux que touchants. Maison, parce que l’objet est résolument familial, au sens où la seule industrie dont il est question est celle de l’amitié, du partage et de la transmission. Mani, non pas en hommage plus qu’improbable au bassiste qui fit les belles heures des Stones Roses et de Primal Scream (qui ça ?) mais tout simplement une traduction en ancienne langue mixtèque de ce qui nous intéresse ici : avec respect et amour (la traduction est de Paulina qui sait de quoi elle parle).

Les mains de Oaxaca

Si les lecteurs attentifs de Malcolm Lowry (et les amateurs de films séries B) se souviennent des Mains d’Orlac, celles qui façonnent les objets d’art que l’on déniche depuis des siècles avec bonheur dans les ateliers obscurs d’Oaxaca racontent des histoires parfois tout aussi étonnantes (mais nettement moins inquiétantes). En ambassadrice dévouée corps et âme à faire découvrir l’authenticité du registre créatif mexicain et voir reconnaître à leur juste valeur les métiers d’art de son pays, Paulina nous a conté trois histoires parmi les plus édifiantes qui ont jalonné sa quête de l’excellence du Mexique.

Les mains qui voient, une histoire d’amour et d’espoir

Manos que ven, les mains qui voient. Un nom d’une poésie surréaliste qui pourtant prend tout son sens quand on connait l’histoire de cet atelier de céramique.

Niché dans le village de San Antonino Castillo Velasco, dans la région d’Oaxaca, l’atelier a été fondé par Don José. Dès son plus jeune âge, notre homme travaille pour subvenir aux besoins de sa famille. Son père, lui-même potier, l’a initié à cette pratique et lui a transmis son savoir-faire. Pris de passion pour le travail de l’argile, José ne va cesser au fil des années de développer son art, même s’il s’avère bien peu rémunérateur. Longtemps, l’artisanat au Mexique (comme du reste pas si loin de chez nous) a été sous-estimé et rarement reconnu. Pour faire vivre sa famille, José multiplie donc les petits métiers, sans pouvoir se consacrer entièrement à sa passion. À 20 ans, professionnel déjà aguerri, il rencontre Teresita qu’il épouse quelques années plus tard. Indissociables durant de longues années, tous deux travaillent la terre cuite et produisent des pièces uniques, inspirées des objets d’art mythiques de Oaxaca, gagnant en maîtrise, développant peu à peu un style bien à eux. Quand, à 55 ans, Don José est diagnostiqué pour un glaucome qui lui fait perdre la vue. Un choc qui va changer à jamais le cours de sa vie et celui de sa famille. Frappé de cécité, il doit, pour la première fois de sa vie, abandonner son travail et pendant quelques mois, n’est plus en mesure d’aider sa famille. « Mes yeux ont perdu la lumière mais ma vie ne s’est pas éteinte. Je continue de respirer, je suis vivant », comprend un jour José García Antonio. Encouragé par Teresita, il décide de reprendre du service. D’autres sens s’offrent alors à lui pour l’aider à renouer avec son passé de sculpteur. L’amour pour la matière reprend le dessus et Don José modèle de nouveau la terre, accompagné par sa femme qui, non contente d’être sa moitié, devient aussi ses yeux.

Ella es mis ojos (elle est mes yeux) s’émerveille Don José. Plus sensible que jamais à la forme sculpturale, il façonne les pièces tandis que sa femme soigne les détails méticuleux des fameuses « sirènes » qui ont rendu l’atelier populaire (du moins, de ce côté-ci du Rio Grande). Il faut écouter Sara, leur fille, raconter à Paulina à quel point cette épreuve fut comme une révélation car les nouvelles pièces créées par le couple fusionnel sont plus belles encore. À l’aune de sa nouvelle condition, José s’est mis à créer des pièces avec l’image qu’il garde de Doña Teresita, son visage paré de longues tresses, son port naturel des robes typiques de Oaxaca. Il sculpte aussi la mémoire des hommes de l’ancien Mexique, « ceux, dit-il, qui me ressemblent, des artisans, des agriculteurs, portant pantalon, huaraches et couvre-chef ». Bien sûr, l’histoire n’est pas finie puisque les trois enfants de Teresita et José ont appris dans l’atelier familial les valeurs de l’artisanat, celles de l’excellence, du courage et du cœur.

La palme du tressage pour Doña Juana

San Pedro Jocotipac est un pueblo sans doute charmant mais définitivement escarpé, dans la région de Cuicatlan, Oaxaca. Fort peu peuplé et particulièrement enclavé, il est perché à 2 040 m d’altitude ce qui le met à distance de toute civilisation, pour le meilleur et pour le pire. C’est ici qu’est née Doña Juana, femme de tête et artisane. Autour d’elle, d’aussi loin qu’elle s’en souvienne, les habitants ont pratiqué l’agriculture et le tressage de palme. Traditionnellement, les femmes tressent la palme mais participent aussi à l’activité agricole (comme d’habitude, qui c’est qui fait tout ?). Pourquoi tresser les palmes ? Pour créer des contenants, pardi, qui serviront à conserver dans les meilleurs conditions le fruit des récoltes agricoles. Au passage, il faut noter que la vannerie de palme permet d’obtenir un tressage plus souple, plus noble, plus sain et durable que d’autres matériaux issus de la pétrochimie par exemple (testé et approuvé par nous-mêmes auprès de Paulina). Malgré son patronyme chantant, le village est au cœur d’un paysage plutôt aride, où l’on ne trouve guère que des palmiers, des cactus, et autres figuiers de Barbarie, et à part la culture de graines, les activités se font rares. Faut-il le préciser, Doña Juana est une femme de courage. Respectant les us et coutumes à l’époque, elle se marie très jeune et doit rapidement fonder une famille. Elle donne naissance à deux filles qui vont devenir sa raison d’être. Mais Juana vit dans le dénuement car elle n’a pas de travail rémunéré. Son mari a du mal, lui aussi, à subvenir aux besoins de sa famille. Rêvant d’un avenir meilleur pour ses filles, elle décide un jour de prendre le destin par les cornes (ou son taureau en main, comme vous voulez). Ses filles feront des études, fût-elle pour cela obligée d’aller jusqu’à la ville vendre ses créations. Le tressage de palme sera son projet quoi qu’il en coûte (tiens) et malgré l’hostilité de son mari. Pour vendre ses premières tenates (panier tressés), elle se rend au marché du village le plus proche (soit au cul du loup), la seule façon de s’y rendre étant à pied. Au terme d’un chemin long et difficile, elle expose ses paniers au marché où elle rencontre un succès inespéré. Le retour sera plus léger, point de départ d’un rêve d’indépendance. Dès lors, chaque semaine, elle accomplit le trajet avec toujours plus de paniers, et toujours plus de succès. Durant de longues années, elle va arpenter ce chemin de gloire entre son village et Cuicatlan aka le cul du loup. Par fierté sans doute, son homme refuse longtemps de l’aider mais la détermination de Juana a raison de son obstination et finalement il la rejoint dans ses efforts. À lui, la culture de graines, à elle, le tressage de palme. En plus de ses paniers (qu’elle ne fait pas piano), elle réalise avec dextérité de jolis chapeaux, des sacs et s’autorise à accepter des demandes sur mesure et commandes privées. Peu à peu, le succès aidant, la famille se rapproche de la capitale Oaxaca ce qui leur permet de garnir encore leur carnet de commandes et, surtout, d’obtenir l’admission de l’ainée dans une école de la ville. Accomplissement ultime.

Aujourd’hui, le business familial est florissant et la méthode de tressage de Doña Juana fait naître des objets déco, du mobilier et se voit sollicitée pour l’aménagement intérieur de maisons. Quant aux graines, que monsieur cultive désormais de manière biologique, elles font le bonheur des restaurants réputés de Oaxaca. Sa victoire féministe, Juana a décidé de la mettre à profit pour soutenir un groupe de femmes, souvent en charge exclusive de leurs enfants, à qui elle offre non seulement des opportunités de travail mais aussi une formation à son art du tressage ainsi qu’une dignité retrouvée. Plus qu’une success story, la palme de la sororité.

Telar de Pedal, cent fois sur le métier d’Alvaro

À San Pablo, Oaxaca, la quête du Graal artisanal mexicain a conduit les pas de Paulina au seuil d’une famille d’artisans tisserands, pour une rencontre en mode instant crush (comme dirait Daft Punk). Alvaro et sa famille multifonctionnelle excellent dans l’art dit du telar de pedal. N’éloignez pas les enfants car cette technique, pratiquée sur métiers à tisser en bois immémoriaux, est de toute noblesse, transmise, semble-t-il, à l’âge d’or hispano-mauresque par les artisans d’art Arabes aux Espagnols, qui, une fois devenus conquistadors, l’imposèrent à leur tour aux peuples améridiens et notamment au Mexique. Un savoir-faire dont le déplacement à travers plusieurs continents et cultures, contrairement à son nom, ne s’est pas fait en vélo, mais a certainement offert à la région de Oaxaca l’une de ses plus fières productions. Fidèles à la tradition transmise de génération en génération, Alvaro et ses tisserands utilisent des fils de coton ou de laine, qu’ils teignent eux-mêmes à partir de couleurs 100% naturelles, obtenues à base de fruits, de plantes et parfois d’insectes. Non pas parce qu’ils sont éthiques, particulièrement éco-responsables ou green friendly mais parce que c’est comme ça qu’ils ont toujours fait, et leurs ancêtres aussi, et qu’il n’y a absolument aucune raison de changer, vous ne trouvez pas ? Des serviettes de table jusqu’aux dessus de lit, l’atelier sait tout faire, y compris des vêtements dont on rêve déjà. Pour les hommes, des chemises aux motifs traditionnels (garantis 100% authentiques). Pour les femmes, des huipiles – robes chasubles chatoyantes – et autres robes traditionnelles de Oaxaca, tissées dans les coloris souhaités. Leur dernière création ? Des chapeaux en tissu, plus structurés que leurs alter ego en palme (sauf peut-être ceux de Doña Juana ?).

Pour le reste, dépêchez-vous d’aller faire un tour (du Mexique) sur maisonmani.com