À Marseille, le duo d’ébénistes Romain Carlès et Paul Demarquet puise autant dans les fonds marins méditerranéens que dans les rêves antiques matière à réinventer la sculpture sur bois. Chacune de leurs pièces est un sujet d’étonnement, tout comme la civilisation imaginaire dont les deux créateurs sont les singuliers bâtisseurs.
Le premier a appris l’ébénisterie chez les Compagnons du Tour de France, le second, à l’Ecole Boulle, deux prestigieuses formations au terme desquelles Romain Carlès et Paul Demarquet se rencontrent à Marseille où ils décident d’installer leur atelier d’ébénisterie commun. Là, ils imaginent des objets vraiment pas communs, que l’on dirait presque polis et patinés par le temps et les éléments. Des créations comme fossilisées qui se voudraient vestiges d’une époque où le réel et l’imaginaire ne faisaient qu’un. Les récits créatifs qui irriguent le travail des deux jeunes hommes sont portés par une même volonté de donner au bois les apparences déroutantes d’un matériau organique ou minéral. Car l’approche de Carlès et Demarquet consiste à jouer avec les frontières entre les matières tout en respectant les traditions de l’ébénisterie, pour pousser leurs recherches de formes vers cette ambiguïté fascinante qui caractérise leurs créations.
De leur vision novatrice, qui hybride les expérimentations de plasticiens et le savoir-faire de maîtres artisans, naissent des créations originales d’objets et pièces de mobilier, entièrement réalisées à la main en séries très limitées qui font voyager l’esprit tout en habillant nos intérieurs d’un charme à l’épreuve du temps. La bibliothèque Anémone en érable Sycomore, par exemple, se distingue par sa forme presque vivante et sa couleur rose poudré, très douce, propres à l’animal marin dont elle porte le nom. Aussi curieuse que l’espèce marine, cette pièce évoque un ensemble en bois flotté fraîchement repêché et dont la technicité n’est pas sans rappeler les univers visionnaires de Jules Verne, voire les machines célibataires de Raymond Roussel. Les objets que réalisent les deux jeunes hommes, naissent de ce dialogue minutieux entre récit de fiction et réalité technique, respectant le savoir-faire et la maîtrise requis par la pratique de ce métier ancestral. Une somme de traditions qu’ils s’appliquent tout même à révolutionner. C’est en échangeant constamment et en nourrissant leur créativité d’inspirations multiples qu’ils conçoivent ces artefacts venus de civilisations rêvées, dont ils nous ouvrent joyeusement les portes. Des vestiges modernes que l’on devine par exemple dans la collection Corail, qui associe des objets de déco insolites tels que des soliflores en peuplier et tilleul, et des pièces de mobilier comme une console en érable sycomore, dont le plateau reproduit poétiquement l’ondulation des vagues. Cette collection recrée à la perfection un squelette de calcaire corallien, poreux et irrégulier, et arbore, pour la plupart des pièces décoratives ou fonctionnelles, une teinte d’un bleu profond proche de celui des abysses. Quant à la table basse Rascasse, parée de pointes taillées dans du frêne, elle rappelle avec un esprit piquant la rugosité du poisson de roche, bien connu de Méditerranée.
S’ils s’évertuent à le rendre méconnaissable, Romain et Paul restent pourtant viscéralement attachés au bois et à son ennoblissement. Romain l’a découvert à la fin de son adolescence, avec un oncle tourneur sur bois qui lui a transmis sa passion. Un matériau qui ne cesse depuis de l’étonner et qu’il aime redécouvrir sous toutes ses formes. Pour Paul, cela n’a pas toujours été une évidence. C’est en commençant à le travailler qu’il s’est rendu compte des horizons que pouvait lui offrir le bois et qu’il n’a de cesse d’explorer depuis. L’attachement du duo pour l’ébénisterie de tradition et l’artisanat d’art se manifeste aussi dans ses choix d’essences de bois, qui proviennent toutes d’exploitations françaises. Parmi elles, on retrouve principalement de l’érable Sycomore, privilégié pour son aspect très blanc une fois travaillé, qui permet à la coloration appliquée sur le bois de ne pas être altérée. Il est ainsi plus facile de jouer sur les nuances. L’autre avantage de l’érable, c’est son grain fin et homogène qui en fait un parfait matériau sculptural. Les objets à part de l’atelier Carlès et Demarquet sont nés de fantasmes sur l’imaginaire maritime, semblables aux créations d’un artiste composant des œuvres sensibles comme dotées d’une vie propre. Leurs jeux de matières, textures et couleurs esquissent un nouveau monde étrange et réjouissant. Une Atlantide méditerranéenne nous offrant la vision désirable d’un futur à redécouvrir.