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Brun de Vian Tiran, d’amour et de laine

Il faut une Manufacture riche de deux siècles d’histoire pour nous rappeler que la laine est une matière extraordinaire. Voyage chez Brun de Vian Tiran, à la recherche du mérinos d’Arles antique et d’une maison de famille admirable de savoir-faire et d’humanité.

De l’origine à la révélation

Les nobles mérinos d’Arles antique fournissent, une fois l’an, la matière première qui, par la grâce de la Manufacture Brun de Vian Tiran, deviendra plaids et couvertures, châles ou écharpes pour réchauffer nos jours et nos nuits. Les Cours d’Europe au XVIIIe maîtrisaient déjà le soft power du luxe. Parmi les étoffes précieuses qui faisaient le prestige d’un artisanat d’art national, la laine – par le talent et le savoir-faire partagés des Flandres et de l’Espagne – figurait au sommet. Usant de diplomatie auprès du souverain espagnol, son cousin, Louis XVI, jaloux et soucieux de l’influence de la France, obtient 80 béliers mérinos d’Espagne pour les implanter en France. On les installe alors à la bergerie nationale de Rambouillet en vue de développer la race par croisement avec des brebis françaises. La Révolution en décidera autrement. L’Empire proclamé, Napoléon entreprend de moderniser le pays et relance l’expérience de cette nouvelle race. Partout, c’est un échec.

Partout ? Sauf dans la plaine de la Crau et le pays d’Arles où l’animal semble trouver sa terre d’accueil. Il fera les grandes heures des manufactures lainières de la région, des moulins paroirs – les fameux paradous – où l’on venait fouler les étoffes, après l’avoir fait aux pieds, pour les dégraisser et les assouplir. Puis vient le déclin. Peu à peu supplanté par d’autres fibres, toujours plus à la mode, toujours moins naturelles, la laine est laissée pour compte et le cheptel, réduit au commerce de sa viande. L’extinction menace…
Pierre Brun, héritier de l’une des toutes dernières grandes manufactures lainières s’interroge sur l’avenir de ce patrimoine familial. Pour résister, il faut produire plus que du beau, de l’exceptionnel. Seule la laine la plus fine peut lui permettre de réaliser les prouesses dont il rêve. Plus qu’un esthète, Pierre est un inventeur. Il a bien remarqué parmi les troupeaux qui lui fournissent sa matière première des bêtes plus petites que les autres et qui semblent offrir une fibre plus soyeuse et douce. « C’est la race d’Espagne. » lui dit-on. Il a retrouvé sa trace. S’ensuivent alors 7 années de quête pour repérer, parmi les quelque 2 000 éleveurs que compte la région, les meilleures bêtes.

Le défi : passer sous le seuil fatidique des 20 microns pour un fil de laine et réunir suffisamment de bêtes pour une production significative. L’opiniâtreté de Pierre contre le sort, le scepticisme et à contre-courant du marché porte enfin ses fruits : le mérinos d’Arles antique est de retour.
Née en 1808, l’entreprise Brun de Vian Tiran doit s’adapter. Puisant dans le génie familial – ses ancêtres ont bâti une partie de L’Isle-sur-la-Sorgue, fief de la maison – Pierre Brun entreprend de modifier les machines de l’entreprise, comme son père avant lui, redoublant d’ingéniosité et de persévérance. Ceux qui ont la chance de visiter l’usine historique s’offrent un voyage à mi-chemin de Jean Tinguely et Tim Burton. Et pourtant, elle tourne. 150 000 colis en sortent chaque année.

Il faut quinze étapes pour faire une couverture BVT, dont chacune ressemble à un rituel zen

Quand l’essence même des choses tient à un fil

À l’intérieur, une couverture, un plaid ou une couette en pure laine, le tout fait main, du début à la fin, entre ces murs qui abritent une société humaine exemplaire. « Monsieur Brun, c’est le meilleur des patrons.” s’exclame Ute, qui pilote d’une main sûre l’ourdissoir. Jean-Louis, le fils de Pierre, qui veille désormais au futur de l’entreprise, connaît chaque personne que nous croisons.
« J’étais à l’école avec sa sœur… Sa fille nous a rejoint… Lui souffre d’un handicap mental mais, regarde, qui le dirait ?… » Un parfum de capitalisme social où l’entreprise démontre responsabilité et bienveillance envers ses salariés. À l’ancienne. « Autrefois, quand on commandait jusqu’en Nouvelle Zélande parfois un an à l’avance, la parole seule suffisait. Le jour dit, la laine était là et réglée en retour rubis sur l’ongle. » se souvient Pierre.
Œnologue de formation, Jean-Louis quitta l’Amérique du sud pour revenir au pays retrouver la fibre familiale. La quarantaine passée, karateka accompli, il n’est pas sans évoquer, aux côtés de son père, le padawan de Star Wars, chevalier jedi en passe d’achever sa formation. En réalité, Jean-Louis s’est initié à tous les rouages du métier, des métiers même puisqu’on en trouve encore de toutes sortes à la Manufacture, comme ce métier jacquard ancestral sur lequel on tisse le tapis d’Avignon, solide tapis de laine de nouveau prisé par les maisons de luxe. Nous suivons la chronologie des 15 étapes qui conditionnent la naissance d’une couverture. Toutes sont fascinantes, certaines quasi-surréalistes. L’assemblage, où les balles de laine de différentes couleurs et origine se mélangent en un spectaculaire ballet mécanique aérien. La filature, où les fibres sont isolées puis assemblées en un sublime voile transparent avant d’être affinées en un fil qui sera torsadé, sur une toupie lancée à toute allure, pour garantir sa solidité. Le cardage, qui consiste à gratter le mohair pour créer une surface douce et mousseuse à l’aide d’une myriade de petits chardons naturels (une magnifique pièce de collection). Chaque opération illustre un savoir-faire scrupuleusement perpétué et un amour du travail bien fait. Ainsi, le rentrayage – contrôle qualité – s’effectue à la pince à épiler, au millimètre près, sur un plateau à coussin d’air ou table lumineuse géante conçus par – devinez qui ? L’œil pétille et scrute, traquant comme une gourmandise le défaut à effacer. La main coupe et assemble avec la précision d’une caresse amoureuse. Le visage traduit une attention jamais blasée que souligne l’arc d’un sourire : encore un client de satisfait. Est-ce la clarté de l’atmosphère – « aucun ouvrier n’a jamais développé d’allergie au travail, la laine est une fibre organique, naturelle. » précise Jean-Louis – la gentillesse palpable, le spectacle émouvant d’une manufacture bi-centenaire ? Nous flottons hors du temps portés par la magie de la laine comme le nuage des rêves. « Vous savez, c’est incroyable ce qu’on peut faire avec la laine. Elle possède un pouvoir d’absorption très supérieur au coton, elle respire et favorise la perspiration, on ne transpire pas, pas de pesticide, pas de pollution et pourtant, elle ne compte que pour 1% de la production textile mondiale. » Qu’importe. Brun de Vian Tiran poursuit sa route à dos d’alpaca ou de chameau, de lama ou de chèvre cachemire, produisant des pièces qui traverseront le temps, transmettant inlassablement à l’homme comme aux premiers jours la chaleur vitale de l’animal.

Belle aventure humaine, voici la dernière manufacture lainière

La qualité la plus pure

Une affaire de caractères bien trempés

Jean-Jacques Exbrayat, berger au sens le plus noble du terme. Philosophe de la terre, l’homme qui parle à l’oreille des brebis et montre le chemin, celui d’une vie dure mais essentielle, pétrie d’amour, de combats et d’espoir.
Pierre Brun, qui dédie sa vie – avec bonheur – à sa Manufacture, et Jean-Louis, son fils, le regard tourné vers l’avenir d’une maison dont il lui importe désormais de porter le patrimoine et la mémoire vers d’autres horizons.

Informations et boutique en ligne sur brundeviantiran.com

Initialement publié dans Marie Claire Maison Méditerranée