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Viva Alentejo ! Le nouveau visage du Portugal

De la frontière espagnole à sa façade atlantique, cette région sud du Portugal était connue pour être l’une des plus pauvres, écrasée de soleil. Inventifs, généreux, opiniâtres, les gens du pays ont pourtant su faire de l’attachement à leur terre le manifeste d’un nouvel art de vivre en harmonie.

90 minutes, la route mène tout droit de Lisbonne à Evora. Premiers paysages de campagne, palette d’automne, 13 novembre 2018, soleil radieux. Direction Convento do Espinheiro dans la campagne. Tour d’Evora, belle place, ruelles commerçantes, l’ancien ghetto juif, cathédrale basilique, la plus grande du Portugal, boutiques qui sourcent les productions locales, huile, textile, céramique et surtout liège, éco-responsable à défaut d’être trendy. Jouxtant le temple romain étonnamment conservé, c’est une vraie pause de fraîcheur au cœur de la ville. Retour au Couvent do Espinheiro, et voici l’heure de rejoindre le restaurant. Perspective de colonnes et arcs en ogive, tables feutrées. Dans l’assiette, belle alliance terre et mer et, dans les verres, vins du cru, édition spéciale Trincadeira et Cabernet Sauvignon, et un certain Esporão, réserve 2014. À suivre.

Lever tôt, petit déjeuner pantagruélique, tour du Couvent, visite de la chapelle très richement décorée. Route tranquille pour Monsaraz, circonvolutions du GPS à travers chemins et villages. Déserts mais tous impeccables. Bel automne, décidément, rayonnant, calme, parfait. Village blanc fortifié sur un promontoire, vue époustouflante sur l’un des plus grands lacs artificiels d’Europe, le lac Alqueva, plage et activités, mis en eau il y a une quinzaine d’années. Village mystique, l’air est sonore. On dit qu’une énergie particulière tourne ici, voilà un site pour les esprits et les artistes.

Cap sur Herdade do Esporão. Au bout de la route, posé parmi les vignes, un bâtiment moderne, bel espace lumineux. Café, explications. Le domaine a mis 45 ans pour se construire, devenir emblématique des vins portugais et fer de lance de l’Alentejo. Créé en 1973 par José Roquette, homme d’affaires et visionnaire, nationalisé au lendemain de la révolution des œillets, la propriété revient dans la famille en 84. Le rêve redémarre en mode pionnier : réimplantation de cépages endémiques, maîtrise de l’eau, zéro déchet. Développement durable et quête de l’excellence dans le naturel, remarquable de qualité et d’engagement. Dans ce vaste espace cohabitent une tour du XIIe, un site archéologique actif, une réserve ornithologique, des équipements de vinification ultra-modernes et des amphores traditionnelles dont les experts maison étudient le savoir-faire jusqu’en Arménie. Partout, design et architecture sont pensés et maîtrisés. Les fûts de chêne deviennent paravents et faux plafonds spectaculaires, les étiquettes sont commandées à des artistes, illustrateurs, graphistes. Conformisme branché ? Não! Soin du détail et respect pour le client final. Démonstration au restaurant. Une table conviviale, accessible et pourtant, une cuisine à décrocher les étoiles. Le jeune chef maison a choisi de rester au pays travailler le bon, le naturel et le généreux pour tous. Business case exemplaire. Bluffé.

L’étape suivante s’appelle Mizette Nielsen, pas prévue au programme, mais incontournable. Si profondément en phase avec ce pays que son visage évoque la terre craquelée par le soleil de l’Alentejo. Beauté intérieure, sagesse piquante, tissage de couvertures, motifs traditionnels. Quand les designers viennent, ils me disent : pourquoi ces couleurs pas terribles ? Sors, regarde, comprends. Nature forte et essentielle qui impose le respect. Direction São Lourenço do Barrocal, ancienne exploitation agricole, hameau 5 étoiles intelligemment réhabilité dans un esprit shaker, artisans et matériaux nobles oblige. Dîner, feu de bois, déco chaleureuse, l’âme se réchauffe à cette table irréprochable et toujours le vin, celui de la maison, Alicante Bouschet, Touriga Nacional, Aragonez, grappes autochtones. Dernier tour sous les étoiles, ciel hallucinant, chemin qui mène aux mégalithes vers Monsaraz, les esprits sont là.

Route pour Elvas, arrivée au Forte da Graça, drôle de lieu en forme d’étoile, fort, prison, hôpital – à l’époque, les pauvres se bourraient d’ail pour élever leur température corporelle et se faire admettre, histoire de boire, manger et être au chaud. Ail ! Tour rapide d’Elvas, ruelles typiques, grand aqueduc, arrivée au Santa Luzia Hotel, pousada classique. Live cooking, selon la recette traditionnelle de la maison, bain d’huile d’olive, morue émiettée, pommes de terre du pays râpées, sel, poivre et 6 œufs. Le chef et son maître d’hôtel, canoniques, même geste depuis 1947, fier et précis. Place à sericaia, dessert typique d’Elvas, cannelle, citron, farine, beaucoup d’œufs, encore, et prune au sirop.

Route digestive vers Torre de Palma en pleine nature, presque à la fin du chemin. Ferme fortifiée, tour panoramique, réhabilitation modèle 2014 bien sentie. Dans l’enceinte, petite chapelle, corps de ferme transformés en restaurant, boutique avec sélection locale soignée, chambres et spa. Apéro rituel sur la tour au couchant, puis visite des lieux, histoire, images, celle des braseros dans la cour qualifie parfaitement cette retraite nature, le feu, l’humanité. Dîner au Basilii, restaurant dont le patronyme évoque la famille romaine qui laissa quelques vestiges tout près de là. Savoureux pain maison et huile de l’Alentejo, classique désormais, porc noir en nigiri sushi, moins classique tout aussi savoureux, soupe de morue de Norvège, bouillon à la coriandre et menthe pouliot, œuf à 65°, olives noires, suivie d’une longe de sanglier marinée dans un moût de raisin Alicante Bouschet, légumes du jardin et coulis de fruits d’été. Félicitations au chef Filipe Ramalho qui avoue son excitation d’aller bientôt à Paris.

Lever du soleil flamboyant, départ pour Portalegre, Musée de la Tapisserie. Des artisans aux artistes, de Jean Lurcat à Joana Vasconcelos, un patrimoine magnifique, caché au détour d’une ruelle escarpée. Une clé pour comprendre l’Alentejo. Amour de la terre et conscience de sa fragilité, humilité et respect mais aussi peu à peu, confiance dans le génie du pays et de ses belles personnes. Merveilleuse rencontre.

visitalentejo.pt

Guide pratique

  • Convento do Espinheiro, couvent historique, chapelle, restaurant, caveau de dégustation, Evora
    conventodoespinheiro.com
  • Herdade do Esporão, domaine vinicole, complexe archéologique et ampélographique, espace naturel, restaurant, bar et boutique
    esporao.com
  • São Lourenço do Barrocal, membre des Small Luxury Hotels of the World, hameau 5 étoiles, restaurant, spa, haras
    barrocal.pt
  • Dark Sky Alqueva, pour scruter les étoiles et le cœur de l’Alentejo
    darkskyalqueva.com
  • Elvas, village de charme et sa sentinelle, l’étonnant Forte da Graça
    cm-elvas.pt
    Côté cuisine, l’immanquable Bacalhau Dourado du Santa Luzia
    slhotel-elvas.pt
  • Torre de Palma, ferme hôtel, membre des Design Hotels, restaurant, spa, entre Vaiamonte et Monforte
    torredepalma.com
  • Musée de la Tapisserie, Portalegre
    mtportalegre.pt

Légendes 1. Sandra Alves, l’une des oenologues qui veille sur Herdade do Esporão. 2. Le village perché de Monsaraz. 3. L’heure de la dégustation à São Lourenço do Barrocal. 4. L’Alentejo se découvre à cheval, depuis Torre de Palma. 5. Le feu qui réchauffe l’âme dans l’ancienne ferme fortifiée de Torre de Palma. 6. Emergent des vignes, le très beau complexe vinicole de Herdade do Esporão.
Initialement publié dans Marie Claire Maison Méditerranée