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Agathe Marty, la fille qui habitait en vacances 

Aussi solaire que ses illustrations, Agathe Marty a bien voulu me laisser entrer dans son univers aux couleurs de ses voyages et de son amour pour la mer. Embarquons donc pour un tour de son monde, qu’elle s’applique à faire vivre en dessins, traits d’un esprit libre, qui s’y entend à stimuler l’imagination comme réchauffer le cœur.

Photo portrait de Agathe Marty souriante dans son univers au nord de la Provence.

Parle-moi de ton aventure personnelle. Comment t’es-tu retrouvée en Australie, et surtout pourquoi y es-tu restée aussi longtemps ?

Je suis née dans le sud de la France, à côté de Toulouse. J’ai eu un cursus scolaire très classique et ensuite, j’ai enchaîné avec des études en communication et relations presse. Au bout de de ma troisième année d’études, il a été question de faire une année de césure et de prendre 8 mois pour voyager avec ma meilleure amie. On voulait partir loin, découvrir un pays qu’on ne connaissait pas et apprendre l’anglais. Donc, on a choisi l’Australie. C’était cool, dans un seul et même pays, il y a plein de choses à voir, toutes les saisons, tous les paysages, on est donc parti là-bas, c’était en 2014. Au bout de quelques mois, je me suis rendu compte que c’était un pays qui me correspondait beaucoup, je m’y sentais vraiment très bien. Du coup, quand la question s’est posée de prendre ce fameux vol retour pour la France, j’ai laissé ma copine rentrer et je me suis offert la chance d’y rester une année de plus. Une année en entraînant une autre, j’y suis restée 4 ans et demi. Je me suis dit : « Je suis en train de vivre une expérience que je n’ai pas envie d’arrêter maintenant ». Il fallait que je vive le truc jusqu’au bout, jusqu’au moment où j’ai senti qu’il était temps de rentrer. La distance devenait dure à supporter, c’était très compliqué pour organiser des vacances, voir ma famille, alors je suis rentrée et je me suis installée au nord de la Provence. C’était un endroit que je ne connaissais pas du tout, à la campagne, au milieu des lavandes. J’ai commencé à dessiner à ce moment-là, quelques mois après mon retour. 

Pourquoi et comment tu t’es mise au dessin ? Tu as trouvé un sens dans cette pratique, qui est devenue ton métier ? 

Avant de commencer à dessiner sur iPad quand je suis rentrée d’Australie, je n’avais sincèrement jamais tenu un pinceau ou un crayon. J’ai appris à faire du dessin digital en autodidacte, j’ai trouvé que ça fonctionnait bien et que c’était un médium qui me correspondait. Avant les illustrations, je faisais un peu de graphisme quand même, ça me plaisait mais ce n’était pas pareil que ce que je ressens maintenant. Je le faisais pour moi ou pour des copains qui avaient besoin d’un petit logo. Donc j’avais un peu cet attrait pour le graphisme. Quand j’ai commencé à dessiner, je n’y pensais pas vraiment, j’ai juste constaté « ah ben je crois que je suis en train de faire des illustrations ». C’est venu naturellement. Et puis, j’ai commencé à publier sur Instagram pour montrer à mes amis et ma famille. C’est là que des gens que je ne connaissais pas ont commencé à me suivre et que j’ai eu la demande pour mon premier devis. Je me suis dit « je crois qu’on tient un truc » alors que rien n’était prévu. À l’époque où j’ai commencé à dessiner, j’avais un job à côté qui n’avait rien à voir. J’ai donc commencé dans l’idée que si mes dessins plaisaient ce serait sympa, sinon au pire, ça me ferait un hobby. (rires) Mais j’ai vite compris que je pouvais aller plus loin. J’ai toujours eu envie de travailler pour moi, d’être indépendante, je ne savais juste pas comment. Et au premier devis, j’avais trouvé. Depuis ce jour-là, je travaille dur et je continue de faire ce qui me plaît. 

Comme un prolongement de ton expérience australienne, tu t’es retrouvée dans le Sud. Le soleil, les bords de mer ou d’océan, récurrents dans ton travail, que représentent-ils pour toi ? Est-ce un état d’esprit que tu exprimes dans tes dessins ? Une sorte d’apaisement venu de l’idée « d’habiter en vacances » comme tu le dis ? 

Habiter en vacances, c’est une phrase qui m’est venue naturellement, quand j’ai réfléchi à mon expérience en Australie C’était un état d’esprit qui me convenait très bien, où je me sentais très heureuse. Donc, naturellement, en revenant, il fallait que je sois dans le Sud. Voilà, c’était impossible autrement. Il fallait que je sois sous le soleil. J’y ai toujours vécu, même pendant les vacances, j’allais dans les Landes, le Pays Basque, vers Nice, la Corse. J’aime les paysages, l’approche des gens, c’est pas la course, on vit un peu avec le soleil, et c’est quelque chose qui me parle. Voilà mon inspiration principale quand il a été question de commencer à dessiner et de savoir ce que je voulais transmettre dans mes illustrations. Il me semble que beaucoup de personnes se reconnaissent dans mes dessins et partagent cette façon de penser.  

Au-delà du Sud, quelles sont tes sources d’inspiration ? Les artistes qui font écho à ton parcours, t’ont influencée, t’influencent toujours, ou qui t’ont donné envie de te lancer dans l’illustration ? 

Ma maman est artiste peintre et elle a toujours peint à la maison. Jusqu’à ce que je commence à dessiner, je ne m’étais pas vraiment posé la question. Mais bon, je me rends compte que, forcément, le foyer dans lequel j’ai grandi, qui était très artistique et très ouvert, m’a forcément inspirée. Quelques artistes m’ont inspirée, je pense notamment aux collages de Matisse. J’ai vu une expo à Paris juste après être rentrée d’Australie et ces formes très organiques, avec beaucoup de jaune, orange, rouge, sont des créations qui me parlent toujours. Après, je suis autodidacte, dans ma bulle, et tout se passe dans mon cerveau avec mes références et mes aspirations qui sont partout, dans mes voyages, dans les expos, je suis beaucoup d’artistes ou d’illustratrices sur les réseaux et le méli-mélo de tout ça fait que quand je me retrouve devant mon iPad, je prends des influences de partout, en me servant du mélange de tout ce stock que j’ai en tête. 

Ta palette de couleurs est très identifiable, le vert, le bleu et le jaune, c’est ce qui symbolise ta personnalité ?

Toute ma gamme de couleurs, dans les jaunes, oranges et beiges, c’est vraiment l’inspiration solaire que j’adore. Ça a été pendant un moment ma palette de référence. Puis il me semble que j’ai commencé à utiliser le bleu, alors que ce n’était pas une couleur qui me parlait dès le début. Mais comme le bleu retrace ce rapport à la mer, j’ai commencé à dessiner des vagues assez abstraites, puis j’ai trouvé que le beige, qui revient sur toutes mes illustrations, et le bleu marchaient très bien ensemble. Ensuite, le vert est arrivé parce que j’aime beaucoup l’univers tropical. Je me suis mise à dessiner un peu plus de feuillage, des choses un peu plus organiques. Et j’ai trouvé que ce trio de couleur bleu/vert/jaune fonctionnait bien et représentait mes principales inspirations. 

Tu parlais de ta maman. Il y a souvent des femmes dans tes travaux, les femmes du quotidien sont-elles des muses pour toi  ?

Oui clairement. Je ne me suis jamais posé la question de dessiner un homme, ça ne m’a jamais vraiment inspirée. J’aime la représentation générale de la femme, mais aussi les courbes, j’aime la représenter fière avec un port de tête assez identifiable. Les personnes qui m’inspirent le plus donc sont les femmes, à commencer par ma mère.

Tu as dernièrement collaboré avec The Simones. C’est important pour toi d’utiliser ta pratique pour soutenir la cause féministe ? 

Absolument. Je suis bien sûr féministe, mais je trouve que je transmets mieux mon engagement par mes dessins que par les mots. On le voit sur mon Instagram, je n’ai pas beaucoup de légendes, je ne parle pas forcément de mes inspirations dans mes publications, mais je pense que j’arrive à exprimer quand même mon soutien dans cette lutte qui me tient à cœur. Mes dessins parlent pour moi. Quand The Simones m’ont contactée pour cette collaboration (une collection capsule de T-shirts et sweats, ndlr), je ne me suis pas posé la question deux secondes. C’est ce genre de projets qui me plaisent parce qu’ils ont du sens. 

Comme tu préfères l’image aux mots, l’illustration est clairement ton mode d’expression. J’ai lu que tu étais très observatrice du monde qui t’entoure, cela te permet-il d’envisager différemment la vie ?

Oui carrément. C’est vrai que quand j’ai imaginé mes toutes premières illustrations, sur le thème des vacances, du soleil, de la plage, c’était une manière pour moi de dire « ok bon, je sais qu’on est en plein hiver, mais moi, je ne le suis pas du tout ». Je dessine des endroits qui me donnent envie d’y être. Je transmets des émotions en visualisant des situations, des moments. Ça me fait voyager le temps de mon illustration. Les gens repartagent beaucoup, notamment en hiver, parce que je continue à dessiner l’été même en hiver (rires) et ça permet à tout le monde de s’évader un peu. Dans tous les cas, l’hiver m’inspire autant que les hommes, donc je ne les dessinerai pas. (rires x2)

Justement, tu travailles depuis chez toi, pour donner à voir l’extérieur. Comment se déroule ton processus créatif ?

J’essaye de bouger le plus possible. Surtout, dans les villes du bord de mer parce qu’elles me font décrocher, tout en me nourrissant créativement. C’est super d’être indépendante mais quand on travaille et vit au même endroit, c’est dur de prendre l’air et d’aller chercher l’inspiration ailleurs. J’ai eu de la chance pendant toutes ces années en Australie car j’ai pu voyager. J’ai eu un vrai coup de cœur pour l’Indonésie par exemple qui m’a beaucoup parlé, Hawaii aussi. Ces voyages me stimulent toujours parce que j’ai pris des milliers de photos, que j’adore re(re-re-re)garder et dont je me sers pour dessiner.

Tes dessins sont très minimalistes, est-ce une réaction à un monde saturé ? Une tentative pour épurer ton quotidien ?

Oui, mais je pense aussi que j’ai un œil plus sensible aux choses minimalistes, mais qui en disent toujours beaucoup. Quand je dessine juste un soleil et que je mets une petite citation ou un petit mot sous mon illustration, je trouve qu’elle se suffit à elle-même. C’est une part de mon esthétique ,le peu suffit.. Je n’ai jamais vraiment fait d’illustration trop chargée, même en termes de couleurs, il y en a au plus deux ou trois, maximum quatre. C’est volontaire parce que je trouve que ça me ressemble. Même chez moi, c’est très épuré.

Et ça plaît car tu as une grande communauté en ligne. Tu penses que les gens se retrouvent dans ton travail ? Sait-on vraiment ce qui fait son succès sur les réseaux ?

Au début, ce n’était pas volontaire. Ma communauté sur Instagram a évolué rapidement parce que j’ai eu beaucoup de partages sur mes posts. Mais ça représente un énorme travail derrière. Quand j’ai commencé, il y a eu des périodes où j’ai publié tous les jours parce qu’Instagram, c’est un peu la jungle et il faut y aller franco si on veut se démarquer et trouver des clients. C’est bien joli de dessiner mais l’idée, c’est d’en vivre aussi donc il fallait que je garde ça en tête. Ça a donc fonctionné comme ça, en me focalisant sur ma page et son développement pendant un moment. Et j’en suis très contente. 

Ta tablette graphique est ton objet fétiche ?

Un café, mon canapé, mon iPad et voilà. Je me fais toujours couler un café et je m’installe. Je ne suis quasiment jamais à mon bureau. J’y suis uniquement pour l’administratif et les trucs un peu un peu chiants, à faire sur l’ordi. Mais sinon pour dessiner, je me mets confortable. Mon bureau c’est mon canapé et, oui, je mesure la chance que j’ai. Mon rituel créatif me pousse et m’aide à dessiner tous les jours. Je dois être confort, au calme, avec un peu de musique. C’est comme ça que ça se passe quasiment tous les jours chez moi quoi (rires). Quand même, c’est très très cool de pouvoir dire ça. 

Tu as fait beaucoup de collabs’. C’est quoi ton support préféré ? 

J’ai commencé par faire beaucoup d’illustrations pour des projets d’affiches, de la décoration ou des étiquettes. Mon premier contrat dans le textile, c’était avec une marque que j’adore et qui s’appelle Tajine Banane. La première fois que j’ai vu mes illustrations sur du tissu, je me suis rendu compte que ça leur donnait une tout autre dimension. Elles prenaient vie. C’est à ce moment là que j’ai réalisé que je voulais développer au maximum ce côté-là du métier d’illustratrice. J’aime tous mes projets parce qu’ils sont tous différents et challengeant. J’ai de supers clients mais j’ai toujours une petite préférence pour le textile. 

On pourrait imaginer des objets déco, du papier peint… stylisés par Agathe Marty ? 

La chance que j’ai avec le digital, c’est que pour le coup mes illustrations ou les motifs peuvent s’appliquer sur n’importe quel support à partir du moment où on peut imprimer dessus. Le papier peint, je n’ai jamais eu l’opportunité mais c’est vrai que j’y ai souvent pensé. C’est pour ça que je ne m’ennuie pas et que j’adore ce que je fais, tous les projets sont tellement différents. J’ai hâte de tester et de voir les résultats sur plein de supports.

Tu choisis tes projets seulement quand la marque matche avec ta personnalité et tes convictions ?  

Entre ma première et deuxième année d’activité, j’ai eu pas mal de projets où les marques me consultaient en tant qu’exécutante. Ils avaient une idée bien précise et me disaient « voilà on veut ça, ça et ça ». C’était très bien parce que très formateur et ça m’a permis de démarrer, d’avoir des premiers clients. Maintenant, avec quelques années d’expérience et les collaborations que j’ai faites, les clients ou les marques me contactent pour ma patte artistique et j’ai rarement des briefs ultra précis de ce que le client veut. En général, il me donne un thème ou une idée et moi j’écoute mes inspirations.

Que te réserve le futur professionnellement ?

Alors, je réfléchis aux projets dont je peux parler. (rires) Je ne vais pas pouvoir nommer de marques mais je peux confirmer qu’il va y avoir des chemises cet été. L’histoire est un peu drôle, je sais pas si tu as remarqué sur mon Insta, je fais beaucoup de montages de mes dessins sur des chemises qui n’existent pas. Et finalement, à force de les poster, il y deux marques qui sont venues vers moi pour me dire « hey, si on sortait tes chemises pour de vrai ? ». Donc voilà, des fois ça arrive, les rêves se réalisent. J’attends avec impatience que ça sorte. Du côté plus perso, j’essaye de me dégager un peu de temps parce que j’ai un projet depuis quelques années. J’aime les beaux livres et comme j’ai pris beaucoup de photos pendant mes précédents voyages, j’aimerais pouvoir sortir un livre qui allie la photo et l’illustration. Sans trop de texte, un livre très visuel, qui fasse un peu objet de déco. C’est quelque chose que j’ai dans la tête depuis un moment. Il faut trouver du temps et un éditeur donc c’est pour ça que ça prend du temps mais j’en parle tellement que ça va finir par se réaliser je crois. (encore des rires)

Retrouvez son travail sur agathemarty.com