Art de vivre

Histoires et rencontres sur les villages perchés du Pays de Fayence

Enclave provençale en terre d’azur, à moins que ce ne soit l’inverse, le Pays de Fayence, sept villages suspendus au-dessus de la vallée et du temps, mêlant le charme et la force que confèrent les vieilles pierres et le caractère bien trempé d’artisans et producteurs qui revitalisent ce terroir avec passion.

Route départementale 37, circulation fluide bien qu’encore dense à cette heure avancée de la matinée. Traverser le Pont du Pré-Claou, vue magnifique sur le lac de Saint-Cassien. On apprendra plus tard qu’il est la base d’entraînement de quelques-uns des meilleurs rameurs français. On se souviendra aussi du récit* de Maryline Desbiolles, terrible et beau, sur le sort tragique du barrage de Malpasset, précédent de quelques années la réalisation de ce lac de rétention de 430 hectares, sa réserve naturelle et ses spots de pêche à la carpe. Fragile. Le Pays de Fayence a fait l’expérience de la modernité délétère, urbanisation dans la plaine, désertification des villages, disparition des terres agricoles. Puis un vent nouveau s’est levé et souffle depuis plusieurs années sur ce chapelet de localités égrené à flanc de colline, témoin d’un regain impulsé par une poignée de natifs, amoureux de leurs racines. Croisement de la route départementale 562, celle qui vient de Grasse et fait le lien avec la Côte d’Azur et l’industrie du parfum. Au loin, Montauroux, résidence de cœur de Christian Dior dont le fameux Château de la Colle Noire a retrouvé sa splendeur. Dans le pays, floriculteurs et parfumeurs sont rachetés par les géants du luxe, signe du changement. Bagnols-en-Forêt, Callian, Fayence, Mons, Montauroux, Saint-Paul-en-Forêt, Seillans, Tanneron, Tourrettes, les toponymes chantent la nature particulière de cette rencontre entre un littoral azuréen, dont on devine au loin les embruns, et une terre déjà provençale où les pierres gorgées de soleil donnent au sol sa belle typicité et valent aux neuf villages de figurer au nombre des plus beaux de France. Pour être franc, notre redécouverte du Pays de Fayence n’est pas fortuite mais nous a été soufflée par les responsables du domaine de Terre Blanche, impressionnant resort 5 étoiles réunissant la bagatelle de deux 18 trous, inauguré en 2004 à Tourrettes.

Loin du ghetto de riches qu’on aurait pu imaginer, le domaine est en harmonie avec la nature méditerranéenne, dont il épouse les moindres nuances, le style de construction lapidaire, gage d’un luxe modeste, et la richesse du terroir local dont le chef Philippe Jourdin, en professionnel inspiré, a su explorer avec bonheur les multiples ressources. Et Dieu sait qu’il lui en faut des ressources à ce Meilleur Ouvrier de France au parcours impeccable quand il doit, au plus fort de la saison, satisfaire jusqu’à 40 000 couverts dans le mois. De la table gastronomique du Faventia à la cafeteria du personnel, qui compte 400 âmes au pic de l’activité, Philippe Jourdin – et sa brigade de 60 personnes – veille au grain avec l’efficace précision d’un talent maîtrisé et l’envie intacte de procurer du plaisir. Comme la plupart de ses coreligionnaires en cuisine, le chef prône le respect du produit et la recherche de la simplicité, quintessence de l’art gastronomique. Voilà pourquoi, ce normand d’origine, converti à l’huile d’olive, n’ignore rien des qualités – et des aléas – de la pêche comme des vraies productions locales. “Quand je sers un fromage, je ne fais rien d’autre que de bien le choisir et le présenter sur table. Et quand il n’y en a pas, du fait de la rareté des produits, on l’explique aux clients. En général, ils comprennent très bien.” Retour sur la D 562, belle route qui sinue entre bosquets ombragés et hameaux sous le soleil, jusqu’au Château des Selves. Laisser la voiture à l’ombre, comme nous le conseille le patriarche, père de l’actuelle propriétaire, qui nous accueille. Présentations. “Marie Claire ? Oh je n’ai jamais lu ça moi.” Mylène Christine, sa fille, nous attend. “Vous voulez que je vous organise une dégustation avec quelques producteurs que je connais ?” avait-elle proposé. En un clin d’œil, la grande table sous le châtaignier s’est couverte de corbeilles, plateaux, pots et bouteilles, un décor alléchant aux allures de jardin extraordinaire. Au quotidien, Mylène tient les rênes de ce domaine partagé entre viticulture et oléiculture. D’un côté, Syrah, Cabernet Sauvignon et Merlot pour des rouges au terroir caillouteux, 100% Rolle pour des blancs de caractère, Grenache, Rolle, Cinsault et Syrah pour des rosés tout en finesse. De l’autre, quelque 1 000 pieds d’oliviers qui produisent de délicieuses huiles mono-variétales : Picholine, Bouteillan, Cayet Roux, Araban, Cailletier, Amygdalolia, un bonheur. Inlassable, Mylène accueille régulièrement des événements, organise des dégustations avec la simplicité d’un château qui n’est autre qu’une bastide avec le cœur sur la main.

Autour de la table, Daniel Marin. De sa famille de viticulteurs et de sa formation, il a gardé le goût de l’agriculture et, après 10 ans consacrés à la forêt, a créé la Ferme des Claux il y a un peu plus d’un an, exemplaire de qualité et d’engagement. Primé pour ses fromages de brebis, repéré par Philippe Jourdin avec lequel il affine une production sur mesure, Daniel a également pris l’initiative d’une association de producteurs à retrouver sur le marché de Fayence. Au programme, production irréprochable et prix raisonnables, dans le respect du client. S’il peste contre les tracasseries administratives et les étiquettes bio factices, il nous apprend aussi que son troupeau est exposé à un autre fléau, le loup, présent dans le camp limitrophe de Canjuers. Fragile. Fanny Resort est là aussi. Sa Ferme des Cairns est réputée pour ses fromages de chèvre. Bientôt, pour ses glaces savoureuses. Daniel, en connaisseur, apprécie, lui qui travaille à mettre au point une recette au lait de brebis comme un casse-tête chinois. “Le lait de vache, on en fait du demi-écrémé pour maîtriser un pourcentage de matière grasse constant. Mais pas de ça avec le lait de brebis qui, d’un bout à l’autre du processus de fabrication, peut passer de 40 à 100%.” C’est la nature. Pour Fanny, la vraie problématique s’appelle les ressources humaines. “Chaque année, à la même époque, je perds tout mon personnel, ceux qui m’aident à garder les troupeaux. Au 121e jour de contrat, ils s’en vont, assurés de bénéficier d’une couverture chômage. Et je me retrouve seule avec mon mari.” Fragile. Olivier Stumpf à son tour détaille sa livraison tout frais cueillie. Tomates parfumées, radis piquants, aubergines de toutes sortes, blanches ou japanese picking à la drôle de forme tirebouchonnée. Lui s’est peu à peu éloigné de son métier principal, la jardinerie, pour se consacrer à son exigent travail de maraîcher. “Parfois, un parasite se met dans les cultures, même sous tunnel et je perds des dizaines de plants.” Pourtant, ce fou de musique, qui s’est consacré des mois durant à la réalisation d’un album, met la même passion à travailler la terre dans des conditions souvent acrobatiques – “les bonnes terres agricoles, elles étaient dans la plaine, là où se trouvent les grandes surfaces commerciales, vous voyez ?”. Qu’importe, pas question de lâcher l’affaire, on finira bien par retrouver le sens et le goût. Fragile. Jean-Louis Barbaroux complète cet admirable quintet. Pour nous, il a mis en pots un échantillon de son merveilleux miel de lavande fine et sauvage, et porté un cadre emprisonnant l’incroyable architecture des abeilles. Quand la cuillère plonge dans la fine structure hexagonale de cire blanche, révélant un cœur d’or fondant, il semble que le plus sensuel des trésors nous est offert. Passionné d’apiculture, Jean-Louis rachète il y a 10 ans les ruches d’un exploitant septuagénaire. Celui-ci accepte, à la condition de pouvoir accompagner l’apiculteur en herbe dans l’apprentissage de son art. “C’est la meilleure formation dont j’aurais pu rêver et une belle histoire d’amitié.” Même dans les tâches les plus rébarbatives, le désormais octogénaire se souvient et distille à Jean-Louis ses anecdotes et conseils. “Quand on voit des décès massifs dans les essaims, c’est souvent dû à l’erreur ou la méconnaissance de l’apiculteur.” Fragile. Mais solide d’espoir et d’humanité partagée.

(*) Rupture, Maryline Desbiolles, éd. Flammarion 2018.

Initialement publié dans Marie Claire Maison Méditerranée