Art de vivre

Refugee Food Festival. À Nice, le succès d’une première édition séminale.

610. c’est le nombre de convives réunis en 4 jours pour cette première édition du Refugee Food Festival à Nice. Un chiffre un peu fou quand on connaît la taille modeste des établissements associés. Mais derrière les chiffres se cache une réalité plus profonde, comme le déclenchement d’un mouvement dont quelques signes attestent le bien-fondé.

Du 22 au 25 juin 2023, 7 établissements participaient à la première édition du Refugee Food Festival à Nice et sur la Côte d’Azur. Une manifestation dont nous étions partenaires, non en quête de copieuses retombées médiatiques, mais par désir de prouver notre utilité en défendant une belle idée : promouvoir l’économie sociale et solidaire dans le domaine de la restauration et prouver qu’elle fonctionne, aider à l’insertion de refugié·es, accueilli·es dans la région mais éloigné·es d’un emploi qui leur offre une place légitime dans la société. L’atmosphère de fête qui a accompagné chacun des repas ou des 4 mains culinaires au programme, les nombreux articles de presse, la foule de publications et partages sur les réseaux sociaux ne laissent que peu de doute quant au succès de l’événement. Mais quelques signes, parfois minces, nous laissent entendre que la suite sera plus belle encore.

La petite fable urbaine du 1er Refugee Food Festival à Nice

Installé depuis quelques mois dans une rue tranquille du quartier du Port de Nice, Louis, le patron du très recommandable bistrot Fanfan & Loulou, l’un des établissements à participer à la première édition niçoise du Refugee Food Festival, témoigne. « Chaque jour depuis que nous avons ouvert avec Fanny, je croise mes voisins du dessus que je salue tout naturellement avec, pour toute réponse, la même à chaque fois, une rebuffade peu amène. J’ai fini par en prendre mon parti et le lendemain de notre dîner pour le Festival, je croise ma voisine que je salue en attendant de me prendre comme d’habitude un vent en retour. Or, surprise, son visage s’éclaire et elle me parle pour la première fois : ‘Vraiment sympa, la soirée d’hier. Vous aviez une belle clientèle et une bonne ambiance…» Pour avoir pris part moi-même à ce dîner mémorable, je suis à même de savourer ce petit miracle. Dans la rue, par la grâce d’une autorisation municipale obtenue de haute lutte, un barbecue géant s’emploie à transformer ce 23 juin 2023 en banquet digne d’un village gaulois avec, en guise de sanglier, de savantes grillades de viande marinée exécutées de main de maître par Anzor Bokaev, grilleur tchétchène et ses deux fils, grillades dont le fumet captive dans un nuage euphorique une joyeuse assemblée manifestement surnuméraire et pourtant unie par le plaisir de faire table commune et un peu improvisée.

 

Humain et professionnel, un bilan 100% positif

Cette modeste fable urbaine n’est pas le seul effet du Refugee Food Festival sur la bonne ville de Nice. Pour avoir fièrement accompagné cette première édition en qualité de partenaire média, je m’en suis fait le prosélyte enthousiaste ce qui m’a permis de constater une autre réalité, prônée avec lucidité par les responsables du Festival : l’utilité de mettre en relation les professionnels de la restauration avec des réfugié·es formé·es à leurs métiers. Plus encore que l’utilité, l’urgence. En évoquant la manifestation avec des professionnels azuréens, la réaction a été, à chaque fois, unanime. Le besoin de main d’œuvre qualifiée est vital pour cette activité économique dont on connaît l’importance pour la région et le Festival tombe à point nommé pour créer des passerelles nécessaires à accélérer l’insertion des réfugié·es, qui ne demandent qu’à mettre à profit leur savoir-faire comme leur envie de travailler, et à répondre de façon pragmatique aux problématiques d’embauche des hôteliers restaurateurs locaux, souvent démunis et résignés à réduire leur activité.

En cela, l’essai que représente cette première édition est largement transformé. Il faut féliciter pour cela l’équipe du Festival en la personne de Kaori Aki, étudiante japonaise en Master Migration Studies à Nice, Carla Turban, négociatrice en immobilier, Nicolas Scudeler, actif au sein de la Ferme pédagogique Bermond, bénévoles de la première heure, les traductrices Elena Boheme et Aude Cabat, la photographe Marie Genin et la directrice artistique Margot Champoussin du collectif Feuilletons, les photographes Julie Girardet (LYK studio) et Coline Ciais-Soulhat, l’artiste illustratrice Alice Van de Walle, autour de Déborah Bailet et Hervé Marro, les co-porteurs du projet à Nice.

La solidarité à l’action à Nice

Le succès de cette édition tient avant tout à la collaboration étroite des organisateurs avec les associations locales qui œuvrent toute l’année pour l’insertion et la solidarité, au nombre desquelles la Fondation de Nice, dont la mission centenaire est de lutter contre la pauvreté, la précarité et l’isolement, Habitat & Citoyenneté, qui milite pour les droits des personnes migrantes en situation précaire, API Provence, qui aide à l’insertion par le logement et l’accompagnement, Agir pour le Lien social et la Citoyenneté, dont l’engagement solidaire est lui aussi plus que centenaire. Mais aussi, de structures plus directement liées à l’insertion dans le domaine de la cuisine comme l’impeccable Forum Jorge François, espace culturel et solidaire niçois qui réunit un restaurant d’insertion, une épicerie et une friperie solidaires, Des Etoiles et des Femmes, fondée en 2015 à Marseille par la Table de Cana, traiteur engagé, l’association Festin et Marseille Solutions, sur une idée d’Alain Ducasse, et Cuisine Mode d’Emploi, l’école de cuisine de Thierry Marx dédiée aux personnes éloignées de l’emploi.

C’est du dialogue entre l’équipe de Refugee Food et ces structures d’insertion que sont nés les 7 mano a mano qui ont fait l’affiche de ce premier Festival. Non contents de nous régaler, ils ont participé à écrire quelques histoires personnelles réjouissantes. Madona Shukvani, cheffe réfugiée géorgienne, qui a eu la chance de travailler main dans la main avec le chef Christian Plumail au Café de l’Alliance Française, rejoint les cuisines de la Brasserie de l’Union, une adresse historique à Nice, qui retrouve sa place sur la carte des bonnes adresses de la ville. Hatice Pehlivan et Mélanie Tuz de Méla Pâtisserie vivante se sont si bien entendues qu’elles envisagent de poursuivre leur complicité dans le cadre d’un projet traiteur à suivre de près. Wahid Zakhil, chef réfugié afghan qui a fait l’ouverture du Festival dans un duo avec Marco Mattana chez Epiro, table créative italienne sur le Port, consolide sa place comme chef de partie au Restaurant du Gésu, établissement bien connu du Vieux Nice. Autrice d’un savoureux 4 mains avec Simona Mazzarone à La Pêche à la Vigne, Eribjola Xhemalaj, réfugiée albanaise, formée par des Etoiles et des femmes et officiant au restaurant du Forum Jorge François, avait quant à elle son contrat déjà en poche pour intégrer la brigade de l’Hôtel Méridien Nice. Il ne reste plus qu’un dernier coup de pouce pour que Fatmira Cala, boulangère albanaise au cœur et aux mains d’or, découverte à la faveur de son duo avec Dominika Zielinska dans son fournil, trouve la boulangerie de ses rêves. Que Nemer Terki Awad, chef syrien dont le talent a été révélé au côté de Matteo Cetti, chef de l’excellente Casa Fuego appartenant au chef triplement étoilé Mauro Colagreco, trouve la place qu’il mérite et qu’à son tour, Anzor Bokaev, l’homme qui métamorphosa le trottoir de la rue Lascaris en un festin œcuménique avec la complicité de Fanfan et Loulou, puisse exaucer son vœu : lancer son food truck de grilleur itinérant.

 

Cap sur le Refugee Food Festival 2024

Des perspectives qui, loin de paraître inaccessibles, semblent constituer l’étape suivante du Refugee Food Festival à Nice. Sur le modèle développé désormais dans 12 grandes villes de France mais aussi à New York, San Francisco, Amsterdam, Bruxelles, Copenhague, Madrid ou Genève, le Festival représente la partie émergée de l’iceberg, la structure Refugee Food œuvrant en partenariat avec les autres associations, fondation et entités solidaires à l’insertion active des talents réfugiés. Permettant à des trajectoires de vie brisées de retrouver leur ascension et à une économie, voire une société tout entière, de mieux fonctionner par la solidarité. Juin 2023 restera donc une date fondatrice pour ce mouvement qui a mis à jour une nouvelle richesse sur la Côte d’Azur et nous promet déjà, pour son millésime 2024, quelques délicieuses surprises à dénicher sur le littoral mais aussi dans l’arrière-pays, au plus près des racines multiculturelles séculaires de la Côte d’Azur.

Photo principale : Epiro © Coline Ciais-Soulhat, Vignette 1 : Café de l'Alliance © LYK Studio. 2 : Matteo Cetti et Nemer Terki Awad, Casa Fuego © LYK Studio. 3 : Anzor Bokaev, Fanfan & Loulou © Marie Genin / Feuilletons. 4. Simona Mazzarone et Eribjola Xhemalaj, La Pêche à la Vigne © Marie Genin / Feuilletons