Art de vivre

On a localisé Zitto, le nouveau speakeasy niçois

Évidemment, on ne vous dira pas où il est, ni ce que vous pouvez y boire. En revanche, on peut vous livrer les confidences de son barman. Il s’appelle Guillaume, c’est un virtuose et par chance, il s’avère loquace. Dans la pénombre interlope de son antre à la sophistication sulfureuse, il nous a révélé quelques-uns de ses secrets. 

Il est 16 heures ce vendredi ensoleillé. Les rues sont animées de monde qui se presse dans la lumière d’un bel après-midi de printemps. Je cherche Zitto, le nouveau speakeasy dont Nice bruisse déjà car j’ai rendez-vous avec Guillaume, le barman des lieux. Je crois l’apercevoir au loin. La chemise et le nœud papillon le confirment, c’est bien lui. Il doit me conduire jusqu’au lieu secret où il officie dans la plus grande discrétion. Nous sommes devant l’entrée d’un immeuble dont l’enseigne ne laisse en rien soupçonner l’existence d’un bar à l’intérieur. Nous y pénétrons, franchissons une porte battante, descendons quelques marches et, apparemment, nous y voilà.

Mes yeux luttent pour s’adapter au plus vite à l’obscurité. Éclairé avec parcimonie, le lieu baigne dans une ambiance mystérieuse et tamisée. Seules les lampes posées sur les tables tracent le chemin, quelques bougies aussi. Les plafonds voûtés évoquent un passé de crypte souterraine mais, à l’évidence, rien ici d’un sépulcre religieux. Je marche plutôt, comme je l’apprendrais au fil de la conversation, sur les traces du milieu mafieux niçois, qui venait autrefois y faire la fête et sûrement affaire. Le décor soigné a quelque chose de captivant, presque troublant, quelque chose d’intime et familier et, pourtant, hors du monde. Un parfum de Sicile underground mis en scène pour un quatrième opus apocryphe du Parrain. Mais je m’égare. Nous franchissons une porte en arcade taillée dans la pierre, sur laquelle sont accrochés deux lourds rideaux qui délimitent l’espace. Au mur un miroir doré, des voilages blancs qui accentuent l’atmosphère sépulcrale, des chaises et tables qui ont l’air d’avoir toujours été là, et quelques canapés cosy où se poser incognito. Je choisis une banquette en velours, face du bar couvert de miroirs. Guillaume prend place en face de moi, les confessions peuvent commencer.

Comment ta famille a-t-elle réagi quand tu lui as dit que tu voulais être barman ?

Je suis passionné de restauration, j’ai toujours voulu faire serveur ou sommelier. Ma passion pour le bar est venue quand j’ai choisi la cuisine. J’adorais envoyer des plats, faire plaisir aux gens mais, je n’avais pas de retours. Pour allier la création et le contact, ce qui me paraissait plus logique, c’était de devenir barman. Au début, mes parents pensaient que ce n’était pas un métier (rires). C’est un univers que l’on ne connaît pas forcément. Quand je leur ai montré ce que j’apprenais, ce que je faisais, c’est là où ils ont compris que je faisais un truc qui plutôt cool, qui me ressemble, où je peux explorer ma créativité et prendre du plaisir. Quand je dis que je suis barman, les gens pensent que je suis le stéréotype des boîtes de nuit qui envoie des mojitos. Alors, on me présente comme mixologue, mais pour moi je suis barman.

Ah oui, plutôt barman que mixologue ? 

Pour moi, mixologue, c’est de la chimie, c’est pas trop mon métier, je me sens barman et je me suis formé à ça en allant à Paris, de base, je suis un Auvergnat pur sang (rires). J’étais avec Joseph Biolatto, un grand nom, à Bâton Rouge Pigalle, un bar qui n’existe plus malheureusement. C’est là où j’ai appris le plus, et c’est lui qui m’a transmis la passion pour le bar.

Comment as-tu atterri à Zitto ? 

Après ma formation, mon but c’était de rester à Paris pour essayer tous les bars, et me faire un bon carnet d’adresses. Ma copine est du Sud et je l’ai amenée à Paris sauf qu’elle n’a pas trop apprécié (rires). Elle avait une occasion de retourner à Nice, et elle m’a dit « soit tu me rejoins, soit tu te démerdes ». Paris c’est sympa mais au bout d’un moment, il faut voir autre chose et j’avais envie aussi d’un nouveau challenge. J’avais un peu fait le tour, bars à cocktails, brasseries, chef barman, j’avais besoin de renouveau.

Ça fait un an que je suis à Nice. J’ai commencé à Paloma Beach à Saint-Jean-Cap-Ferrat où je m’occupais du bar du lounge et de la plage, après la saison j’ai pris un petit mois de vacances, qui m’a un peu mis sur la paille, et j’avais besoin de travail. Quand je suis revenu, mes patrons m’ont dit « on t’attend pour un challenge ». Et c’était pile au moment où j’avais envie de me lancer dans des créations plus complexes, de revenir aux bases et d’arrêter les mojitos et spritz qui m’ennuient. Ils m’ont laissé libre choix sur les alcools et sur les cocktails que je souhaitais. Ils m’ont un peu stoppé sur des trucs quand je partais trop loin, mais sinon j’ai eu carte blanche sur tout, c’est ultra cool pour moi. Quand on demande à Jean-Claude Vannini (à la tête du groupe Paloma avec sa famille, ndlr) pourquoi ils ont ouvert le Zitto, il répond « pour Guillaume », c’est dingue, et ça fait extrêmement plaisir.

Un lieu tel que Zitto, caché et feutré, t’inspire pour réaliser tes cocktails ?

Forcément, il fallait donner au lieu un côté italien, et, moi je suis d’origine polonaise. Donc rien à voir donc en fait. (rires) On est dans un lieu avec du cachet, des plafonds voûtés, un endroit, qui a une histoire, avant, c’était une boîte de nuit fréquentée par la mafia niçoise. Je me suis dit que ça serait bien de rappeler l’époque de la prohibition, les vieux cocktails, mais en les retravaillant. Par exemple, je voulais un Old Fashioned revisité avec un twist, pour faire le lien entre l’ancien et le nouveau et faire un truc assez cool.

Le concept un peu secret, ça te challenge aussi ?

Grave, comme on est hyper confidentiel, on fonctionne au bouche à oreille, et ça ne fonctionne que si les clients qui viennent aiment le lieu et mes cocktails. Le but, au-delà des cocktails, c’est qu’ils viennent aussi pour moi. Quand des clients s’intéressent à ce que je vais faire et lancent une conversation j’adore ça, j’ai envie qu’ils deviennent des copains, et qu’ils puissent dire autour d’eux « j’ai découvert un lieu trop sympa, je peux pas te donner l’adresse mais le barman est cool, les cocktails sont bons ». 

C’est vrai qu’il y a des chaises juste devant ton bar, tu ne veux pas de distance entre toi et les clients ? 

Absolument, aucune distance. Dans la cuisine ou derrière un bar, l’important c’est de partager. Si un client me demande « comment vous faites ça » avec grand plaisir je lui explique. Mais je ne vais quand même pas donner la recette exacte. 

Quand tu crées des cocktails ou que tu réfléchis à la carte, est-ce que tu penses aux émotions que tu veux provoquer ? 

Je me base surtout sur mon expérience culinaire. Les goûts qui vont se marier sont ceux que j’ai été travailler en cuisine et que je connais. Le but, forcément, c’est de donner des émotions et une vraie expérience aux clients. C’est pour ça que je réfléchis à des cocktails encore plus WTF, qui pourront changer de couleur par exemple.

Tu vois tes cocktails comme des sérums de vérités ou des potions pour tout effacer ?

Je pense que les gens viennent dans les deux moods justement. Il y a beaucoup de dates, et là le sérum de vérité va être important. Il y a aussi un petit truc de barman, c’est qu’on se fait une idée de qui tu es en fonction de ce que tu prends, donc on va vite savoir pourquoi tu es là. On peut toujours être surpris, la dernière fois, j’ai eu un groupe de filles qui ont demandé des cocktails avec des alcools secs et qui tabassent, elles devaient pas être dans l’option « sérums de vérité » (rires)

Les barmans en savent toujours plus sur nous que nous sur eux du coup ? 

J’ai un petit secret de barman. Beaucoup d’entre nous ont un carnet pour écrire tout ce que les clients nous disent de marrant. On met une petite date avec une expression, ou un souvenir et ça laisse des traces, un peu comme un livre d’or. Dans tous les bars où j’ai travaillé il y en avait et il y avait vraiment des pépites.

Peux-tu nous décrire ton processus d’invention d’un nouveau cocktail ?

Tous les barmans te diront la même chose, on n’invente rien en soi, on recrée. Moi j’ai un carnet d’à peu près 60 cocktails, tous les classiques qu’on apprend quand on est en école de barman et qu’on doit connaître par cœur. Mon processus d’invention, c’est de prendre mon carnet, le feuilleter et m’arrêter sur des cocktails qui me paraissent intéressants. Le jeu, ça va être d’enlever un ingrédient, de le remplacer, ou d’en ajouter un autre. Des fois, je vais me poser et me dire voilà, j’aimerais un cocktail avec tel goût et réfléchir à ce qui peut bien se marier avec.
Il y a vraiment deux processus. Mais le plus important c’est d’apprendre tous les classiques. Par exemple le Old Fashioned, il s’appelle comme ça parce que c’est le nom du verre dans lequel il est servi. On est sur du whisky, ou du cognac, ou un « alcool brun » avec un bitter et un peu de sucre et c’est à partir de ça qu’on peut twister le tout. Par exemple, j’adore le Sud-Ouest, et je peux intégrer du canard, du cognac, de l’orange à la recette originale. Chez Zitto, ça va être plus italien donc je vais regarder les alcools de là-bas, comme le limoncello ou le Cynar, à base d’artichauts et que je peux travailler avec du paprika et du poivre noir, en infusion pour rajouter des goûts.

Tu fais beaucoup de tests autour de toi ? 

Tout le temps. Dans un cocktail, je voulais faire une réduction de balsamique. Moi ça me plaisait, mais ma copine détestait. Du coup j’ai appelé pas mal de mes potes pour comprendre comment évoluer avec les goûts de chacun. Vous avez vu la carte, il y a des cocktails sour, des cocktails plutôt secs, ou encore doux pour plaire à tout le monde mais il faut aussi arriver à piquer un peu les gens, à les sortir de leur zone de confort. Donc c’est aussi sympa d’intégrer des trucs qui ne plaisent pas forcément à tout le monde, l’important c’est de les travailler de manière assez logique.

Tu penses qu’avoir été cuisinier ça t’aide ? 

Franchement pour tout barman, je conseille d’aller en cuisine. Ce que j’aime bien faire, c’est les cocktails desserts, par exemple retravailler un tiramisu en cocktail, ou une tarte citron meringuée. Je trouve que la cuisine et le bar c’est pareil. Ça peut être intéressant à marier avec des plats. Une fois j’ai fait des glaçons d’eau d’huîtres pour un cocktail. Peu à peu, le goût iodé prenait de la place, et le but c’était de le boire en mangeant des huîtres. Me challenger et imaginer, ça évite la redondance du métier, c’est aussi ce que les gens apprécient. Si moi je ne m’ennuie pas, normalement ça se ressent dans le verre.

Si tu devais inventer un cocktail tout de suite pour illustrer ton style à quelqu’un, tu ferais quoi ? 

J’aime beaucoup le Old Fashioned, c’est un super cocktail parce qu’il y a plein de manières de le travailler. Et j’adore la culture américaine. La culture américaine pour moi c’est forcément le whisky, et le sandwich beurre de cacahuètes avec la petite confiture de framboises ou de fraises. Alors un cocktail qui me représenterait, ça serait un Old Fashioned infusé au beurre de cacahuètes avec un petit cordial de framboise. Ça pourrait être assez sympa.

Tu saurais nous guider si on est perdu dans le monde des cocktails ? 

Ce que j’aime faire, c’est poser des questions un peu en entonnoir pour arriver à cibler le cocktail que veut la personne en face de moi. Souvent, je demande l’alcool qu’elle n’aime pas du tout. Et là, mon objectif, c’est de lui servir un cocktail avec cet alcool dedans, mais sans lui dire. Si ça ne plaît pas, je le change évidemment, mais je laisse toujours goûter, faire travailler le palais des gens et après je demande ce qu’ils en pensent. La dernière fois une dame m’a dit « je déteste le Gin, même l’odeur peut me faire vomir ». Cinq minutes après, le verre était à moitié vide, et quand je lui ai demandé si tout allait bien, elle m’a dit « J’adore, qu’est-ce qu’il y a dedans ? ». Je lui ai répondu « Madame j’ai l’honneur de vous annoncer que vous aimez le gin ». Elle était super étonnée. Quand on n’aime pas un alcool c’est parce qu’on l’a mal bu, ou qu’on en a fait une overdose, comme moi avec le Ricard (rires). Mais si on arrive à le sublimer, on peut redécouvrir plein de choses.

La vraie adresse de Zitto va finir par fuiter. Que se passera-t-il quand le lieu ne sera plus clandestin ?

Justement, ce sera à nous de jouer sur le fait de rajouter toujours un petit truc en plus pour étonner. Tous les speakeasies finissent par être dévoilés mais il faut remettre du piment pour ne pas que ça devienne prévisible. Il faut que les clients se disent « ah, je suis venu ici il y a deux semaines et plein de trucs ont changé », ça peut être dans la carte, dans l’atmosphère, il faut rester créatif ! 

Instagram : Zittospeakasy