Art de vivre

À Marseille, Tristan Nicolas met la food sur de nouveaux trucks

Skateur diplômé d’une licence de lettres slash cuisinier et boulanger, Tristan Nicolas n’est certainement pas étranger à l’énergie qu’insufflent ses barres athlétiques, une bonne claque gourmande nommée bAAM! (La barre athlétique artisanale de Marseille). Il s’est posé quelques instants pour nous parler de ses inspirations, son amour du partage et sa mission : régaler les autres. 

Tu es d’abord skateboarder avant d’être cuisinier et boulanger, ou est-ce plutôt l’inverse ? 

Je suis avant tout skateboarder et si je suis devenu cuisinier, c’est pour voyager avec mon skate. Ensuite, je suis passé à la boulangerie pour avoir plus de temps pour moi que lorsque j’étais cuisinier, pour faire plus de skate. En fait, j’ai voyagé partout en tant que cuisinier mais le but était toujours de pouvoir faire du skate dans des villes au soleil et découvrir d’autres environnements pour progresser. Parce qu’en skate comme en cuisine, on apprend tout le temps. Je ne sais pas ce que j’aurais fait sans le skateboard, c’est vraiment lui qui m’a permis d’apprendre et d’avoir l’envie d’apprendre davantage. De rater et réessayer, c’est une philosophie qui est propre à ce sport (et à Samuel Beckett, ndlr)

Le skate s’apparente toujours à une forme de contre-culture. Pour toi, cette vision alternative se traduit-elle dans tes projets ?

C’est central parce que le skate est au cœur de mon projet et sous plusieurs formes. C’est un moyen de liberté. En skate, on voit les choses à une autre vitesse qu’en voiture ou à pied et ça m’a fait rencontrer plein de gens. Le côté contre-culture du skate est vachement à la mode maintenant, quand j’ai commencé c’était un peu moins la hype. Il y avait quand même des jeux vidéos avec Tony Hawke, tout ça, mais c’était quand même commercial. Moi, j’ai appris tout seul avec une planche Décathlon et un bout de trottoir. Certains de nos présentoirs sont faits en bois de récup qui vient de mes planches de skateboard recyclées par un menuisier. C’est tout l’aspect Do It Yourself, qui est très à la mode de nos jours, et dont on parlait déjà dans le skate il y a 10, 15 ans, parce qu’on faisait nos propres skateparks, nos propres rampes, avec du béton qu’on coulait. Donc quand j’ai pensé à faire des présentoirs, ce qui me paraissait le plus écologique, rigolo et plus durable aussi, c’était de réutiliser mes planches. C’est comme ça que j’ai évolué. Effectivement, j’ai pas envie d’avoir une entreprise comme n’importe quelle autre. J’ai envie que ce soit plus transversal. Moi je valorise le plaisir, le dépassement de soi, l’ouverture aux autres et au monde. C’est les valeurs qu’on a envie de véhiculer. 

Les aliments protéinés sacrifient souvent le goût ou le plaisir à la valeur nutritionnelle. Tes recettes sont originales, qu’est-ce qui t’a inspiré pour les imaginer et d’où est venu le déclic ? 

J’étais chez un copain à la Réunion, j’avais arrêté la boulangerie et je cherchais un projet. Je voulais faire soit des gâteaux salés façon Michel et Augustin ou des barres de céréales. Ma première recette, c’est une barre miel, amandes, cacahuète, coco, de la banane séchée et du combava. Totalement la Réunion. J’ai travaillé en Asie, en Australie, au Canada, au Mexique et dans ma tête, j’avais à la fois les saveurs de la Réunion mais aussi les ingrédients d’un curry coco thaïlandais. Il y a aussi mes bases de cuisine, où l’on fait roussir les sauces au miel, pour les laquages. J’avais envie de quelque chose qui soit avant tout bon. Parce que l’énergie, ça commence par le plaisir. Manger quelque chose de mauvais en plein effort, même si ça remplit une case au niveau taux de glucides, c’est compliqué. Côté inspiration, j’ai eu la chance de trouver une première bonne recette que j’ai mis au point en deux ou trois essais pendant mes vacances. Pour la seconde, cacao-café-gingembre, j’ai mis 6 mois, mais pour celle que je viens juste de sortir par exemple c’est trois ans et demi de recherches. Puis il y a celle que j’ai faite par hasard, banane-agrumes au CBD, je l’ai créée pour un collègue qui tient un magasin de CBD. Après je m’inspire de tellement de choses, pour la bAAM! Gingembre-café par exemple, ça vient du gâteau d’anniversaire que me faisait ma mère quand j’étais petit. C’était un fondant aux amandes et au chocolat, amandes, café et sel. Toutes mes barres ont en commun d’avoir une unité. Je veux créer une émotion, comme une architecture dans le goût et c’est ce qui me rend très exigeant. Mes recettes sont tout le temps en train de se recaler parce que les produits changent ou qu’il y a quelque chose qui évolue. Cette attention là est importante parce que mes barres, même si elles sont de très bonne qualité, ce sont des glucides, des lipides et un peu de sel. Donc il faut apporter des goûts qui lui donnent une valeur ajoutée. J’aime bien que toutes les parties du palais soient sollicitées de manière différente, un peu comme dans la cuisine thaïlandaise.

Condenser autant de serveurs dans une barre, c’est un challenge ? 

Sur ma barre salée à la tomate, piment et curcuma, c’est 3 ans et demi d’essai, j’ai dû en faire plus de 100. À chaque fois que je fais des tests, je fais goûter à tout le monde et ça entraîne une sorte d’inertie, il y a des choses que je vais essayer pendant 6 mois et laisser de côté mais il faut faire confiance à son cerveau. C’est tout un travail de savoir développer un goût, j’ai mis cinq ans en cuisine avant de pouvoir reproduire des saveurs avec précision. La barre salée, je suis très heureux de l’avoir aujourd’hui mais je sais que dans 10 fournées, elle sera encore meilleure. Dans le fonctionnement du cerveau et du goût, il y a une structuration qui prend du temps. Pour mes recettes, je me sers des principes utilisés en cuisine : infusion, torréfaction et caramélisation. Je fais tout infuser à très basse température dans le miel. Ensuite, je vais torréfier tout ce qui est matières sèches et je fais caraméliser dans des moules en hêtre que j’ai fait faire à mon menuisier à Marseille. On les passe au four très peu de temps juste pour que l’extérieur soit caramélisé et l’intérieur moelleux, ce qui donne l’effet crème brûlée de nos barres et des goûts marqués. 

Tu travailles actuellement avec Florent Cuny, ancien trader, tu es toi-même cuisinier et boulanger de formation. Le sport pour toi, c’est comme une thérapie pour les gens qui ont un métier stressant ?  Qu’est-ce qu’il t’apporte aujourd’hui ? 

Le skate me met en connexion avec les gens et j’aime les gens, j’aime leur faire à manger. Je ne sais pas vraiment pourquoi mais je voudrais faire toujours plus de surf ou de skate. Je pense qu’il y a une sorte de drive personnel là-dedans. J’ai commencé à 14 ans et ce qui m’a plu dans le skate, c’est sa liberté complète. Aujourd’hui, on a des cours, des compétitions, des championnats du monde,mais si je vais juste chercher mon pain, c’est du skate aussi. Il n’y a pas de limite à la pratique et on peut tout explorer. J’ai envie de faire pareil dans l’entreprise. Le skate, c’est à la fois quelque chose de très individuel, comme le trail pour Florent et en même temps, source d’émulation avec les autres. On est chacun sur une planche mais c’est en regardant, en observant et en écoutant les autres qu’on apprend. Il y a quelque chose de moins disciplinaire. Finalement j’ai créé une société comme je pourrais apprendre une figure.

Tu as appelé ta marque bAAM!, quel est son sens au-delà de l’acronyme ? Elle évoque un bruit spécifique ? Une claque, un choc ? 

En fait, il fallait trouver un nom parce que j’avais la recette, l’emballage et j’avais besoin d’ajouter des étiquettes pour un événement. Ça faisait déjà deux ou trois mois que je cherchais et ce n’était vraiment pas évident. J’utilise beaucoup d’onomatopées, bim bam boum, c’est un truc que je dis souvent. Je finissais des crêpes et je criais bam !. Il y a une syllabe, c’est facile à dire, et ça fait réagir. C’est percutant, littéralement pour le coup. Je voulais me différencier et je trouvais ça intéressant ce bAAM!, parce qu’il y a un truc qui fait ouvrir la bouche. C’est un nom choisi au feeling et à la rigolade. L’acronyme est venu après et il fonctionne ultra bien, mais avant tout, bAAM! c’est une impulsion, une sensation. 

Sportif à la tête de ton entreprise, on t’imagine hyperactif. Comment Marseille matche avec ton état d’esprit ? La ville vous inspire, toi et ton associé ? 

Complètement, à Marseille, je voyage. Je sors dans la rue, je ne sais pas à qui je vais parler, ni quelle langue je vais parler. Il y a tout le mélange de cuisines, c’est un terroir assez fort Marseille, puis il y a beaucoup d’associatif, d’événementiel, des tas de gens qui font des choses et puis c’est un espace vachement ouvert, je ne saurais pas dire pourquoi mais par rapport à beaucoup d’endroits que j’ai visités dans le monde, c’est très ouvert. Ça me fait penser à San Francisco ou à Vancouver, des villes de mer qui rassemblent une foule de gens et d’influences du monde entier et ça, c’est une source d’inspiration. Plus que la mer, c’est le bowl du Prado qui m’a fait venir à Marseille, un skatepark à côté de la mer, c’était franchement l’un de mes critères pour choisir une ville. Ce bowl, c’est l’un des plus vieux de France, il a presque 35 ans, il me semble et du coup, il y a une culture skate profonde ici avec un niveau très élevé que l’on constate lors des compétitions de bowl en France, les Marseillais, il y en a au moins 5 sur les 10 premiers et puis les Américains, comme le monde entier, viennent depuis des années à Marseille skater parce que l’endroit est magnifique, c’est vraiment un temple. On skate avec le coucher de soleil sur les îles dans la baie tous les jours. Moi, c’est ma méditation d’aller faire du skate. Marseille, c’est une ville à mon échelle et bAAM! c’est une réelle co-création avec Marseille. J’ai fait beaucoup de bénévolat dans des cantines, à cuisiner, à donner des cours de boulangerie, j’ai aussi travaillé dans des asso qui faisaient de la cueillette sauvage, je nage beaucoup. C’est une ville où tout m’inspire, je connais les plantes qui y poussent, je connais sa météo et j’ai l’impression de la redécouvrir un peu tous les jours, c’est un mélange multiculturel qui a 27 siècles d’âge, à la fois archi inspirant et qui rend humble aussi. Je ne suis pas né ici mais je me sens très marseillais. 

À qui s’adresse bAAM! Sportifs uniquement ? Gourmands ? Actifs pressés ?

Je l’ai pensé comme un aliment à part entière. Il y a des gens qui me disent « oui, mais il faut s’arrêter, mâcher et boire de l’eau ». Ben oui en fait, parce que c’est un aliment (rires).  Nos barres sont l’équivalent en calories d’un croissant, 180 calories, mais en plus digeste et moins gras. Je les donne à mon neveu de 4 ans et il les dévore au petit déj, ou au goûter, ça fonctionne pour les petits creux comme pour les grands efforts. Par jour, on a besoin de 2 000 à 3 000 calories en moyenne, mais certains sportifs vont dépenser jusqu’à 7 000 calories. Au départ, j’ai travaillé avec une diététicienne de la Timone qui m’a fait un premier tableau pour évaluer l’énergie contenue dans mes barres. Depuis, on a embauché un nutritionniste sportif qui est marathonien et il nous a fait une analyse complète. En gros, nos barres sont idéales pour tous les efforts moyens et longs. Jusqu’au marathon disons où, pour un effort intense, le sportif voudra de l’eau et du sucre, un apport de glucides, point. Nous, on offre une alternative idéale pour le petit déjeuner, la randonnée, mais aussi des pratiques très exigeantes comme la voile ou le trail. Mon but, ce n’est pas d’être spécialisé mais d’avoir quelque chose de naturel, qualitatif et gastronomique dans la démarche de création.

Le sourcing des ingrédients est important pour bAAM! ?

Il n’y a pas de compromis entre l’artisanat, le local et le durable. On utilise aucun conservateur, pas d’additifs, ni de sucres ajoutés et des matières premières bio. On cherche en permanence à améliorer notre sourcing produit et pour le moment, nos recettes contiennent 28% de miel de lavande IGP de Marseille, plus spécifiquement de l’Abeille de l’Estaque. Et on utilise par exemple des agrumes qui viennent de La Serre aux Agrumes de Berre l’Étang, du café torréfié à Marseille par la Brûlerie Moka, des amandes, ettomates séchées italiennes d’un fournisseur de Cavaillon ou encore des pétales de maïs d’Italie. C’est capital de ne pas sacrifier la traçabilité dans notre démarche.

Et en plus de faire des barres locales et gourmandes, tu privilégies une démarche éco-responsable, c’était important pour toi de montrer que l’on peut être clean sur tous les points ? 

Nos barres peuvent être consommées pendant 6 à 7 mois, donc j’avais pas le droit à l’erreur. L’emballage est compostable, si c’était du plastique, elles se conserveraient au moins deux fois plus longtemps. Mais depuis que je suis petit, je ramasse tous les déchets que je croise. Du coup, à l’heure de créer un nouveau produit, je me suis dit « bon en fait, j’ai pas le choix, je psychote tous les jours sur le plastique par terre, je ne peux pas créer un emballage en plastique ». Ça m’a fait trop mal au cœur. J’utilise alors un autre emballage en cellulose, du NatureFlex, qui se décompose en trois à six mois. Certains marins me disent qu’avec les embruns, ça se décompose plus vite encore. C’est embêtant pour la durée de vie du produit, mais c’est rassurant pour l’environnement. On n’est pas encore au zéro déchet, mais on y est presque. 

Des projets à venir ? 

Récemment, un peu par hasard, j’ai développé avec les sportifs qui vont aux JO un miel caféiné avec du sel et du cacao, à diluer dans de l’eau chaude. On réfléchit à une boisson aussi, mais le problème, c’est l’emballage, souvent du plastique ou du verre, mais personne ne va courir avec du verre, donc on y travaille. J’ai envie de renouer avec la boulangerie parce que, malgré tout, c’est quelque chose que j’aime beaucoup. Du coup, je réfléchis à des pains d’épices qui se conservent, à des pains de voyage, des pains sans gluten longue conservation qui soient aussi nutritifs que digestes et qu’on puisse emmener partout. J’ai aussi une idée de barre 100% marseillaise avec de la farine de pois chiches. Enfin, j’ai plein d’idées et, au fur et à mesure, j’en parle. Je t’en parle, j’en parle avec mon collègue, j’en parle avec des sportifs. Je nourris mon imaginaire culinaire de toutes ces discussions. J’ai pensé aussi à faire des céréales pour le petit déjeuner, mais comment faire pour que ce soit très bon et pas trop cher ? En tout cas, j’ai tout le temps en tête des recettes ou des idées de texture et surtout des émotions que j’ai envie de provoquer chez les gens.

baam-marseille.com

Photo fin d'article : Crédit Clotilde Penet