Art de vivre

Andrée et Michel Hirlet, céramistes libres

La belle histoire d’une jeune marchande férue de céramique et de deux géants oubliés, justement remis en lumière par son irrésistible enthousiasme. Entre passion et transmission. Œuvrant à quatre mains depuis 1963, Andrée et Michel Hirlet ont longtemps dû garder un travail à côté et sont restés dans l’ombre de leur atelier jusqu’en 2015, date de leur rencontre avec Mélissa Paul.

Au mois de mai 2015, Mélissa et Odin sont en balade au Père Lachaise. C’est dimanche. À la sortie du cimetière, une petite galerie au parfum années 50 expose des meubles vintage et des objets en céramique. Derrière la vitre, Odin reconnaît le travail de deux artistes sans pouvoir se remémorer leurs noms. Sa mère antiquaire, elle, s’en rappelle : Andrée et Michel Hirlet. Immédiatement, les deux jeunes chercheurs d’or trouvent leurs coordonnées sur les pages jaunes et sollicitent sans tarder une visite à l’atelier.

Rendez-vous est fixé au lendemain même. Les visiteurs sont introduits comme à l’abri des regards derrière un petit portail vert où se tient une cours pavée et arborée. Puis, Andrée et Michel les reçoivent dans un petite bâtisse d’un étage dont le rez-de-chaussée est leur espace de vie. On y entre par la cuisine, puis on accède au séjour avec sa petite cheminée. L’esprit des lieux est monacal. Seul un meuble chinois XIXe siècle supporte une céramique miniature et une table de travail occupe le centre de la pièce, c’est ici que sont réalisés croquis et dessins. L’atmosphère studieuse les accompagne par une porte au fond du petit bâtiment dans l’atelier. Là, c’est la découverte, émerveillée : des étagères poussiéreuses pleines à craquer de leurs trésors qui, pour Andrée et Michel Hirlet, ne sont que le fruit d’inlassables recherches, dont ils expliquent le processus.

D’abord, le travail des plaques de terre réalisées à l’aide d’une crouteuse. Puis, le modelage et le séchage. Il faut traverser la cours et se rendre dans un second bâtiment de même proportion pour trouver l’emplacement du four, au fond d’un second atelier où Andrée et Michel émaillent leurs sculptures de grès avant l’épreuve irrémédiable du feu. À l’étage, une véranda et deux petites pièces abritent un nombre important de sculptures en grès brut ou émaillées livrées au regard des visiteurs. En bons chineurs, Mélissa et Odin se penchent et fouillent derrière les cartons à banane qu’Andrée emploie pour ranger ou déplacer les pièces. Cet instant restera gravé. Michel se rappelle encore avec amusement la petite sculpture oubliée aux deux visages emboîtés que Mélissa dénicha au fond d’une étagère. Plus tard, ils décideront de la reproduire, en grand.

Alors à l’aube de sa nouvelle vie de marchande, la jeune femme sentit que quelque chose d’important était en train de se passer. Elle eut l’occasion de revoir Andrée et Michel Hirlet plusieurs fois par la suite pour conclure l’achat de pièces. Un jour, autour d’une tasse de thé, ils lui avouèrent une certaine lassitude et glissèrent qu’ils auraient besoin d’aide. Mélissa habitait non loin de là et, curieuse de nourrir ses mains d’une nouvelle pratique, elle leur proposa de venir les assister une fois par semaine. L’initiation débuta par le rituel de mise au point de leur « pâte », à l’aide d’une bétonneuse et différents mélanges d’argiles, une recette personnelle perfectionnée au fil de nombreuses années. Puis, les plaques, le modelage d’après dessin, le séchage, l’émaillage, l’enfournement et enfin la cuisson. Le résultat ? Une réussite. Au cours de ces mois dans l’intimité de l’atelier, tous trois passent de longues heures attablés à parler des auteurs qu’ils affectionnent, des voyages qu’ils ont faits, de leur vie depuis la guerre – Andrée et Michel sont nés tous les deux en 1936 – à la céramique, en passant par leurs formations et les métiers qu’ils ont exercés pour pouvoir s’adonner pleinement et sans contraintes à leur passion. La jeune femme connaissant désormais les chemins de leur art, elle leur propose une exposition aux Puces de Saint Ouen, dans un grand espace loué spécialement pour l’occasion. Encore surprise et étonnée de leur anonymat chez les marchands parisiens, Mélissa se fixe la mission de tout mettre en œuvre pour les faire enfin (re)connaître.

Le grand soir est fixé au 27 novembre 2015, 3 mois à peine après qu’elle se soit installée à son compte. La jeune femme ne ménage pas ses efforts pour communiquer sur l’événement, elle fait imprimer à ses frais 500 affiches et autant d’invitations qu’elle se charge de déposer elle-même dans tout Paris et jusque chez les professionnels de Saint-Germain-des-Près. Elle s’investit aussi totalement dans l’installation de l’exposition, qui s’avère laborieuse puisqu’il lui faut recouvrir le sol en damier d’une tonne de sable. Qu’importe, c’est au final une cinquantaine d’œuvres, qu’elle offre à la découverte d’un public admiratif dans la joie d’un chaleureux vernissage. Dès lors, nombre de décorateurs et de marchands, de néophytes, ou collectionneurs de céramique avertis ont afflué et acheté à Mélissa, dans son modeste stand du marché Paul Bert-Serpette des œuvres du couple. Hiver 2017 le grand galeriste Yves Gastou examine avec intérêt les pièces exposées sur le stand et demande à visiter l’atelier Hirlet. Coup de cœur immédiat. Depuis, ce sont leurs deux énergies complices qui contribuent à faire connaitre à un large public le travail d’Andrée et Michel Hirlet avec leurs deux galeries respectives, lors de salons internationaux tels que le PAD Paris et Londres, ainsi que la Biennale Paris.

La suite se prépare autour d’un ouvrage témoin de l’œuvre exceptionnel des ces artistes avant-gardistes et singuliers, dont la production depuis 1963 compterait plus d’un millier de sculptures céramiques. Une mission que la ravissante Mélissa Paul poursuit depuis sa galerie installée depuis peu à Nice, au 5 de la rue Martin Seytour. Allez lui rendre visite, rencontre lumineuse garantie.

Indéfectiblement associés dans un double mixte, artistes et céramistes, Andrée et Michel Hirlet procèdent par séries proches de la sculpture, souvent empreintes, comme pour leurs bornes lunaires d’une poésie nourrie de leur esprit libre et de leur goût pour la littérature.

Dans les moindres recoins de leur étonnante maison ferme nichée en plein Paris, fourmillent les pièces du couple comme un trésor caché et pourtant, régulièrement exposé depuis 1968. Jusqu’à leur rétrospective au Musée e Sèvres en 2017, justement intitulée « Andrée et Michel Hirlet, céramistes francs tireurs depuis 1963 ». Ici, une réalisation monumentale en grès émaillé pour l’espace public à Limoges, 1973. Il en existe de nombreuses autres à découvrir sur leur site hirlet.fr

Aujourd’hui reconnus et admirés, Andrée et Michel Hirlet continuent leur travail, en toute indépendance et modestie. Souvent en avance sur leur temps, comme le souligne Frédéric Bodet, commissaire de leur exposition à Sèvres, ils privilégient la simplicité de modèles archaïques, recherchant l’équilibre entre fonction et contemplation, une certaine ascèse scandinave, le goût des tonalités chaudes et naturelles, ou encore, dans leurs pièces récentes, le choix audacieux de la couleur.

hirlet.fr

Initialement publié dans Marie Claire Maison Méditerranée