Si les noms de Kennedy et Onassis sont restés célèbres, ce n’est sans doute pas pour leur parfum iodé et leur appétissant fumet de poisson. Deux nouvelles adresses marseillaises, au demeurant aussi iconoclastes que savoureuses, ont décidé de réécrire l’histoire par le menu. À sa lecture, pêche fraîche et sélective, assiettes insubmersibles et convivialité maritime un peu secrète. Allons donc à Malmousque.
5 ans après la tragique parade en convertible de son époux présidentiel, Jackie Kennedy troquait, à la surprise générale, le décorum WASP de Cape Cod contre les ors rutilants de yachts néo-hellénistiques en épousant (le non-aristotélicien) Onassis, lui-même en rupture de Callas. Qui aurait parié que cette improbable idylle donnerait un jour naissance à une poissonnerie à manger et à une table cachée quelque part dans Marseille ?
Personne sans doute. Sauf Georges Mohammed-Chérif, l’homme par qui le buzz arrive. Celui-là même aussi qui nous avait permis de retrouver la talentueuse Ella Aflalo, exfiltrée de l’écran, dans une divine cantine de la rue d’Aubagne, venue réchauffer le cœur de Marseille de sa cuisine du soleil sous les bienveillantes et maternelles couleurs de Yima. Jetant son dévolu sur le charmant quartier de Malmousque, promis à devenir selon ses vœux un hot spot phocéen, notre homme a puisé dans son imagination fertile l’idée d’enfanter un lieu hybride en deux espaces consécutifs où l’on peut se fournir en produits de la mer, extra frais cela va sans dire, mais aussi, privilège exclusif, les consommer comme nulle part ailleurs.
Au numéro 245 de la Corniche, la rutilante faïence blanc bleu signale le banc du poissonnier Kennedy qui nous allèche de sa pêche locale, au point que l’on pourrait proclamer « Ich bin ein Marseillais », huîtres de Giol, oursins des Goudes, bonite du Frioul, une ode à l’iode made in Marseille. Tant que vous y êtes, sacrifiez au plaisir rituel des connaisseurs et installez-vous. Une poignée d’huitres Gillardeau, voire un ceviche de Saint-Jacques pour les plus sophistiqué·es et pour décor, l’intérieur de la poissonnerie où l’on se pose à l’aise sur des chaises de camping qui confèrent à l’instant un air de guinguette et nous rappellent ces réjouissements estivaux à l’atmosphère familiale et sans complexe. Avec un peu de chance, vous pourrez même profiter de l’arrière-cour intimiste où se répartissent quelques tables, idéale pour savourer son verre de blanc à mille lieues de tout Zapruder.
Onassis se veut moins familier et plus insolite, c’est dans sa nature. Derrière une porte dérobée au fond de la poissonnerie et une volée de marches plus loin, vous attend, pour peu que vous ayez obtenu le code, ce qui n’est pas très difficile après un verre de blanc, une taverne secrète et flamboyante où le chef Joffrey Bohaër – défroqué de la com, pur talent spontané, aiguisé chez Mory Sacko – s’entend à sublimer une pêche miraculeuse, relevée en 5 escales et autant de filets riches en surprises. Fendant virtuellement les eaux de port en port au départ de Marseille, défiant les lois de la navigation, de la géographie et de l’académisme culinaire, de Tunis à Caracas, en passant par Lima, Alexandrie et Tokyo, 22 convives embarquent pour une expérience gustative portée par des assiettes audacieuses, où la seiche s’entiche de Comté affiné, entre autres. Mais chacun sait, comme l’illustra si bien l’idylle entre Aristote et Jackie O, qu’on peut trouver du plaisir dans les alliances les plus improbables. Quant au lieu, murs rayés façon cabane de pêche atlantique, ambiance feutrée et déco chinée chic, il signe la confluence du meilleur de la mer, du talent en cuisine et d’un style plein d’esprit. Gastro-bistro, table voyageuse, convivialité de bon goût, on n’est pas sur le Christina O et personne ne s’en plaindra. D’autant que la carte des vins réunit une sélection de quilles bio ou pas, d’ici ou d’ailleurs pour garantir l’ambiance à bord. L’embarcadère est au 245, Corniche Président John Fitzgerald Kennedy. Paix à son âme et bon appétit.
© Clement Aubin