Art de vivre

24 heures dans la vie du mythique Negresco

Le Negresco, patrimoine vivant de Nice. Une formidable entreprise humaine où s’accomplit chaque jour avec talent et savoir-faire le miracle d’un monde en quête d’idéal perpétuel. 

La blancheur de sa façade permanentée – ainsi qu’en parlait Cocteau – rayonne dans la lumière pure de ce matin d’automne sur la Promenade des Anglais. Comme un écho au souvenir de Matisse, autre témoin de la naissance du miracle azuréen : Tout était faux, absurde, épatant, délicieux. Si le luxe est l’invention d’un monde, Le Negresco en est l’une des plus belles expériences encore à vivre. Fruit de la fantaisie et du soin le plus extrême, d’une quête de l’excellence et de l’affirmation crâne d’une singularité assumée. Et si le luxe se mêle d’art, alors, il faut croire Jean-Luc Godard : la culture, c’est la norme ; l’art, c’est l’exception.

L’exception Negresco ? Elle ne tient pas à des millions de billets exotiques dans la course au palace superlatif mais à une dimension vitale, fragile, seule capable de toucher au plus profond : l’humain. On peut s’en (r)assurer en interrogeant son directeur, Pierre Bord, sur le mystère du lieu. Je suis un métayer, déclare-t-il d’emblée dans un probable exercice de fausse modestie néanmoins édifiant. Nous sommes au cœur de la dernière propriété indépendante et fière de l’être où seuls le travail, l’engagement, la sincérité et le talent alimentent la magie à chaque seconde. Ce palace est une Maison, comme on pourrait le dire chez Dior ou Hermès, consciente, comme les plus grandes, que le patrimoine se réinvente au quotidien et que l’émotion vraie se nourrit de mémoire. Aussi, par-delà les nuages, les tempêtes et le temps qui passe, la Maison Negresco tient bon, portée par le respect de tous pour Madame – Jeanne Augier, sa légendaire propriétaire – et la conscience d’une mission à accomplir, perpétuer la magie d’un instant, d’une nuit ou d’une vie vécue ici.

Ainsi, dans les coulisses de l’hôtel, à travers ses portes dérobées et ses sous-sols en clair obscur industrieux se rencontrent les Gens qui donnent à la Maison sa vraie noblesse. Epinglé sur le mur de l’atelier de tapisserie, le croquis d’une future chambre d’inspiration orientaliste. Il fait la fierté des artisans – Aurélien, Albéric, Sabine – qui, toute l’année, veillent au grain, habillent, restaurent, réparent, manipulant les plus beaux tissus – Création Métaphore ou Pierre Frey – avec l’ingéniosité humble de ceux qui savent que le budget est compté et qu’il faudra savoir aussi bien mettre la dernière main à la déco d’une nouvelle chambre flamboyante que de poser un simple rideau. Dans l’atelier d’ébénisterie, rendez-vous manqué avec Grégory Molin, artisan diplômé de l’école Boulle, trop affairé entre une séance de formation et son travail en cours.

Il faut respecter les priorités. Comme en atteste Virginie Lafon, la gouvernante en chef, meilleur ouvrier de France, partageant ses efforts entre l’exigence du service digne de la Maison et l’attention bienveillante aux conditions de travail de son équipe. D’ailleurs, la complicité des femmes et des hommes du Negresco est évidente, qui composent plus qu’une équipe, une authentique famille. Par leur ancienneté dans les murs – Nadia Hadane, femme de chambre d’élite, est là comme beaucoup d’autres depuis 25 ans – mais aussi par le sentiment partagé par tous d’œuvrer pour une cause unique : garder brillante la flamme d’un mythe. Mission accomplie tant Le Negresco, qu’on aurait tort d’imaginer endormi, est une belle entreprise humaine qui tourne à plein régime et continue d’offrir son lot d’émotions uniques. Privilège d’un soir dans les cuisines de Jean-Denis Rieubland où, partageant l’intimité d’un grand chef aux deux étoiles, on assiste au même rituel inlassablement rejoué depuis 10 ans sous ses ordres.

Quelques mots échangés avec le chef pâtissier Fabrice Didier, plus serein en début de service, car son art est fait de minutie et de préparation, puis immersion parmi la brigade rapprochée de Jean-Denis Rieubland. Ce soir-là, grande réception dans les salons et complet au restaurant Le Chanteclerc. Pourtant, en cuisine, point de fébrilité, les gestes s’enchaînent avec précision, un bon mot, un sourire ponctuent cette fascinante atmosphère de savoir-faire concentré. L’amour et la générosité sont palpables, le chef nous glisse ses plats signature, Comment pouvez-vous parler de quelque chose sans l’avoir goûtée ?, un ris de veau à tomber, un turbot d’une rare finesse, inoubliable. Retour sur scène, dans la pénombre feutrée du bar. Frédéric Kurtz, chef barman, veille sur ce cœur vivant de l’hôtel, conscient que sous son regard attentif se déroule le spectacle d’une société qui – le temps d’un verre ou plus si affinité – entreprend de refaire le monde. Sans aucun doute, le seul vrai bar de la ville.

Il est 22 heures quand les premières notes de My autumn’s done come viennent caresser le velours des fauteuils d’une sérénité à peine mélancolique. Lee Hazlewood au Negresco, instant d’épiphanie où se révèle de la façon la plus inattendue la vérité des lieux. Théâtre singulier d’une rencontre entre l’art et la vie, fragilité de l’être et quête d’absolu.

Peut-être l’une des plus belles définitions du luxe. À vivre au Negresco.

hotel-negresco-nice.com

Légendes Labellisé Entreprise du Patrimoine Vivant, Le Negresco possède une extraordinaire collection d’objets, mobilier et œuvres d’art. Avec Albéric et Aurélien, dans l’intimité de l’atelier de tapisserie. Virginie Lafon, chef gouvernante, meilleur ouvrier de France, a l’oeil sur les moindres détails de l’hôtel. Pierre Bord, directeur général. Le Chef Jean-Denis Rieubland. Frédéric Kurtz et son équipe
Initialement publié dans Marie Claire Maison Méditerranée