Jeune créatrice d’accessoires, peintre et sculptrice à ses heures, Sarah Bongiovanni mêle ses inspirations à sa spontanéité pour affirmer sa liberté. Ses pièces colorées, résolument voyantes mais toujours bien vues, sont à ses yeux l’allégorie de Marseille, sa ville et principale muse. De Botticelli au néo bling-bling, bienvenue dans son monde débordant de talent.
Vous avez une formation d’artiste et vous créez depuis 2020 des accessoires de mode. Que représentent-ils à vos yeux ? Sont-ils comme une sorte de prolongation de votre personnalité ? Un moyen d’exprimer votre différence ?
L’accessoire pour moi, c’est vraiment un moyen d’ornementer son corps. J’essaie de créer des pièces suffisamment atypiques et expressives pour aider chaque personne à retranscrire sa personnalité. Mon travail consiste à créer des pièces qui peuvent nous représenter. Et comme je ne trouvais rien qui, moi, pouvait me représenter, je me suis mise à créer des accessoires pour avoir des pièces originales.
Vous utilisez des perles africaines du XIXe dans vos créations, d’où vous vient cette culture et cette connaissance des matériaux qui vous inspirent ?
Mon père a toujours été passionné d’art et plus précisément d’art africain. J’ai grandi avec des bijoux africains antiques sur les murs de ma maison. Je me suis fait ma propre collection et mon père m’a aidée ensuite à la compléter. Comme il est brocanteur, j’ai grandi dans cet univers-là. Avec son métier, il m’aide aujourd’hui à expertiser les perles que j’utilise. C’est important pour moi de raconter l’histoire des perles que je sélectionne, d’où elles viennent, de quelle année elles sont, en quoi elles sont faites.
Est-ce que l’on envisage la création de bijoux différemment quand on est aussi artiste peintre ?
Je pense. Je travaille beaucoup sur la dimension de la couleur avec mes bijoux, et ça vient de la peinture. Savoir quelle couleur va avec l’autre, ce qui fera le mieux ressortir une pièce, c’est mon regard de peintre. Je suis aussi un peu sculptrice, j’aime travailler en volume et le considérer quand je fabrique mes bijoux. Ma pratique artistique m’aide beaucoup dans la composition de tout ce que je crée. Pour le côté esthétique de mon travail, je m’inspire beaucoup de l’histoire de l’art qui me permet de puiser d’autres idées. Comme je suis diplômée des Beaux Arts, je mélange les univers, je peux m’inspirer de tableaux de la Renaissance par exemple.
Que veut dire faire du neuf avec du vieux à vos yeux ?
C’est vraiment raconter une histoire, avec une histoire. Je ne sais pas si c’est clair (rires), mais j’utilise l’histoire de la matière pour en créer une nouvelle. Comme j’avais déjà une collection de matières premières, un jour je m’y suis mise. Je sais que l’upcycling est à la mode, mais pour moi la démarche de créer avec ce qui existe consistait surtout à mettre en avant le beau, celui déjà présent autour de nous.
L’univers que vous avez développé est très coloré, sans limite apparente. On est plus inspiré quand on ne s’impose pas de contrainte de genre, de style ? Ou au contraire vous en fixez-vous pour créer plus librement ?
Je n’ai vraiment aucune limite. Je produis énormément, j’ai énormément d’inspiration, d’envies et je ne m’impose jamais aucune limite. La seule qui peut exister, malgré moi, c’est de ne pas trouver de matière pour un projet. Même dans mes études, aux Beaux-Arts de Marseille, j’ai toujours été très libre, c’est ce qui me caractérise.
J’ai vu que vous aviez dédié le design d’un foulard à Marseille. La ville vous inspire-t-elle pour vos collections ? C’est elle qui est à l’origine de votre esthétique ?
Marseille c’est vraiment ma ville, elle m’inspire énormément. Pour moi Marseille, c’est la couleur, l’explosion, pouvoir s’affirmer sans limite, quelque chose de la nonchalance aussi, et c’est ce que j’essaye d’exprimer dans mes bijoux. Marseille, c’est s’assumer sans faire attention aux codes. Le foulard sur ma ville, c’est le premier que j’ai réalisé, et c’est vraiment un accessoire qui mêle ma pratique artistique et la notion d’ornementation pour le corps, comme je le disais. Dessus, j’ai composé les signes typiques qui représentent Marseille, les stéréotypes, comme le logo de l’OM. Et à l’image de ce que je produis, il représente cet esprit bling bling, voyant, conçu pour que l’on se montre sans avoir peur d’être regardé·e.
Quels sont les artistes qui vous inspirent le plus ? Pourriez-vous citer des figures ou des œuvres qui vous ont influencée ?
Il y en a énormément. Par exemple, en peinture, Matisse, qui m’inspire beaucoup pour ses couleurs et ses formes, dans les bijoux et la mode, Schiaparelli, une marque folle qui joue vraiment sur ce côté ornementation justement, avec des airs un peu loufoques. Il y a aussi David Hockney, dont le travail s’apparente dans les motifs et les jeux de transparence à celui de Matisse (voir à ce sujet la récente exposition que le musée Matisse a consacrée au dialogue Hockney-Matisse, ndlr). C’est dur de penser à une œuvre qui m’a inspirée, il y en a tellement. En ce moment, je pense beaucoup à Botticelli et La Naissance de Vénus, une base de réflexion pour ma prochaine collection. Un univers de coquillages, d’eau, et de couleurs pastel. Avant, je produisais des bijoux au jour le jour, avec l’inspiration pour une pièce, un collier. Maintenant, j’essaie de me plonger dans un univers imaginaire qui peut évoquer les trésors, les sirènes, les chevaux… Je regarde aussi bien le travail de Picasso que d’Hermès, je conçois des thèmes et des images dans ma tête, et c’est de là que sort la collection.
Vous avez créé unlieu, l’Atelier 59, où les artistes peuvent être accueillies en résidence et exposer. Quelle est sa raison d’être ? Un collectif d’artistes favorise-t-il la création, ou une façon de capter cette forme d’énergie créative marseillaise galvanisante ?
Oui, cet atelier, je l’ai créé avec ma sœur un peu plus jeune que moi, qui a elle aussi fait les Beaux Arts. À la fin de mes études, j’ai commencé à travailler chez moi. Pendant cinq ans, je suis restée seule alors qu’à l’école on est vraiment habitué à créer en groupe. C’est ce que l’on a voulu retrouver avec l’atelier. L’idée était de penser un lieu où l’on pouvait être avec d’autres artistes et artisans, et surtout donner de la visibilité à la jeunesse créative de Marseille. Quand on sort de nos études, on est un peu lâché dans la fosse aux lions, et on sait pas trop comment faire. Exposer, c’est compliqué, vendre, aussi. Donc il fallait un lieu qui donne de la visibilité mais aussi accès à des rencontres artistiques, des rencontres avec le public. Dans l’atelier, on loue sous forme de résidences, donc il y a tout le temps un roulement de pratiques artistiques, l’idée étant qu’on ne fasse pas tous la même chose, pour échanger, ouvrir notre pensée et nous inspirer mutuellement. C’est une vraie communauté artistique, et c’est une expérience significative parce que Marseille commence vraiment à exploser. On est tous sortis de notre grotte en même temps, il faut croire (rires).
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