Si Lou-Salomé Carrillo a imaginé Maison Louve, c’est qu’elle ne se retrouvait pas dans ce que l’on nous donne à voir de la femme. Ce sont ces questionnements sur la féminité et ses représentations qui l’ont poussée à créer des pièces raffinées de lingerie qui subliment tous les corps.
La mère de Lou-Salomé tenait une école de mode à Paris, ce n’est donc pas surprenant qu’elle ait toujours eu un attrait pour ce qui habille les corps. Les habiller de tissu et de dentelles, oui, mais aussi d’estime de soi, voilà ce qui a motivé la créatrice de Maison Louve. Elle qui ne se reconnait pas dans l’imagerie que l’on nous donne à voir de la femme, décide de créer sa marque de lingerie qui vise à réconcilier toutes les femmes avec leur corps. Des créations artisanales made in France, avec de belles matières et un savoir-faire aussi précieux que l’amour qu’elle y met. Loin des attentes masculines, omniprésentes dans le monde de la lingerie, et des dogmes normatifs qui exercent une pression constante sur les femmes.
Car oui, ce n’est pas grave d’avoir les seins qui tombent, des vergetures, de la cellulite, de faire un 32 ou un 48. Ce qui est grave serait de ne pas l’assumer. Pour Maison Louve, il est temps de faire la paix avec soi-même. S’il s’avère que l’on ne sera jamais assez bien pour des standards irréels, autant s’en libérer dès maintenant.
Pourquoi avez-vous imaginé Maison Louve ?
C’était un besoin personnel, parce que je ne me reconnaissais pas dans l’image que l’on véhiculait de la femme et pour moi c’était important de questionner différemment cette image. De se demander ce que c’était réellement qu’être une femme. À la base, je l’ai fait pour répondre à des questions que je me posais, sur l’intime, la féminité, comment on grandit, on évolue, on change tout au long de sa vie. C’est vraiment ça qui m’a poussée à créer de la lingerie, à penser Maison Louve.
La représentation des femmes que l’on nous propose ne me parlait pas car je ne voyais jamais de femmes qui vieillissent, avec des rondeurs, des poils et quand je parlais avec mes amies, personne ne se retrouvait dans cette imagerie collective. Je voulais montrer que l’on pouvait se réapprorier cette image pour qu’elle devienne plus juste.
D’où vous est venu cet amour du textile ? Vous aviez déjà travaillé dans cet univers ?
Ma mère avait une école de mode à Paris, alors j’ai grandi en allant tous les mercredis écouter les cours, j’allais me perdre dans cette grande école où il y avait plein de tissus, j’adorais ça. Ensuite j’ai fait les Beaux-Arts, ça n’a pas fonctionné et, suite à ça, j’ai testé ma créativité en outsideuse dans un concours assez prestigieux à Cannes, que j’ai remporté.
Après cette victoire, il y a eu une vague de femmes qui m’ont donné leurs coordonnées pour que je leur fasse du sur-mesure de luxe. Je faisais des robes pour cette clientèle très exigeante et tout était basé sur la représentation, sur quelle image on donne et non l’image que l’on a de soi. Du coup, j’ai fini par quitter ce travail qui était enrichissant mais qui ne me nourrissait pas créativement et j’ai créé Maison Louve.
Vous parlez d’insolence à propos de votre lingerie. On a besoin de cette insolence selon vous pour exister en tant que femme aujourd’hui ?
Être insolente à mes yeux, c’est ne pas correspondre à ce que l’on attend de nous. Oser s’affirmer sans enfermer notre sphère intime dans les carcans ou céder aux injonctions dans notre perception de nous-même. Aujourd’hui, c’est important d’avoir cette insolence, cette liberté, cette capacité à ne pas se justifier pour ce que l’on est. Avec les réseaux sociaux, on est d’autant plus sur l’apparence, il faut que l’on corresponde malgré tout à des normes, c’est une dynamique dans laquelle il est très compliqué de s’affirmer. Je trouve qu’en tant que femme, cela reste un combat de dire qui l’on est, en affirmant que personne n’a rien à dire sur le sujet.
Voulez-vous briser certains tabous lorsque vous imaginez des pièces ?
Beaucoup de choses qui sont tabous pour la société ne le sont pas pour les femmes entre elles. Je ne fais pas les choses contre les tabous, c’est juste que dans le monde des femmes, le fait d’avoir des poils, des bourrelets, de la cellulite, de parler autant de son corps, ce n’est pas un sujet. Cela le devient quand il est mis sur la place publique, il devient sujet quand cela ne relève plus de la sphère intime.
Je n’ai pas l’impression de briser des tabous, j’ai juste l’impression de mettre les choses en valeur différemment, de proposer un point de vue autre que celui qui est attendu. Le message que je vais essayer de donner c’est que l’on a toutes un corps qui est imparfait, qui peut nous complexer, ne pas correspondre aux attentes de la société et plus on vieillit plus cela va être le cas, plus il va sembler décevant par rapport à ce que l’on attend de lui, mais pourtant on peut faire la paix avec. On peut apprendre à le valoriser et le respect de soi passe par cela, ne pas se soucier de quelle image on renvoie, mais plutôt se demander comment on se sent. Et surtout, ne pas aller chercher la réponse à cette question à l’extérieur.
Maison Louve, ce sont des pièces d’habillement autant que d’empouvoirement libérées de toute contrainte imposée par le male gaze. C’est ça pour vous la vraie essence du body positivisme ?
La lingerie, c’est le regard que l’on pose sur soi. Ce n’est certainement pas comment séduire l’autre, comment correspondre à ce que l’autre veut. Ce domaine est trop personnel pour le laisser aux autres. Maison Louve redonne la juste place aux femmes dans ce qui les concerne. Pendant des années, la lingerie s’est faite autour de ce regard d’hommes, c’était un métier d’hommes, des publicités à destination des hommes et je ne le comprends pas. Il faut que l’on se réapproprie cette partie-là car c’est la base du regard que l’on pose sur nous-même.
Je me souviens que l’on m’a interviewée en appuyant sur cet aspect de body positivisme mais pour moi il s’agit juste de reprendre le contrôle sur ce qui nous appartient. Notre corps, notre monde, notre intimité. Et cela passe par des belles matières, savoir que l’on a quelque chose de précieux, par le côté sensuel que l’on retrouve et que l’on redéfinit à différents moments de notre vie.
Le body positivisme a fait bouger les codes mais pourtant le système est toujours le même. Si l’on voit une femme qui fait un 36, elle va être mise au pilori parce que ce n’est plus ça que l’on veut voir aujourd’hui. Il y a un effet un peu pervers de ce courant qui revient à dire que tu n’appartiens à cette sphère-là que si tu montres des femmes qui font plus de 42 kilos. Au final, on reste dans cette même problématique qui est de dire « voilà ce que doit être une femme ». Alors oui, cela a changé les choses, même si ça reste un peu chancelant, les marques vont jouer là-dessus en montrant des femmes plus « réelles » mais pour autant on reste dans un système dont je me méfie car il est devenu une nouvelle norme. Et on body shame des femmes parce qu’elles ne rentrent pas dans ces normes. C’est ça que je trouve terrible.
À propos de vos modèles, vous avez travaillé avec des personnes aux convictions fortes, comme Marion Seclin ou encore Swann Perissé. C’était essentiel pour vous de faire porter vos créations à ces femmes presque symboliques ? Elles vous aident à appuyer votre discours libérateur ?
Il y a des thèmes que j’ai envie d’aborder et c’est ce qui fait que je choisis telle ou telle personne pour une campagne, pas son physique. Avec Caro, je voulais parler de la ménopause, du corps qui vieillit, que l’on invisibilise. Montrer que ce n’est pas tolérable aux yeux des médias qu’une femme puisse prendre de l’âge et comment l’image que l’on en a est peu réaliste. Je cherchais une femme de 60 ans qui accepte de poser, parce que c’est un exercice compliqué, dans lequel on ne doit pas laisser notre pudeur s’interposer. Quand j’ai travaillé avec George, je me suis demandé si l’on était obligée de naître femme, d’être assignée femme pour se sentir femme. Qu’est-ce qui compose cette dimension du féminin, qu’est-ce qui fait qu’à un moment on se sent femme même si ça ne correspond pas à ce qui est connu. À travers ces questions, j’ai cherché des profils mais jamais sur des critères de poids, de taille, de couleur de peau, ce sont avant toute chose des rencontres, de l’humain.
Cela a été une chance de travailler avec tout le monde, mais c’est vrai que je tombe amoureuse d’un discours, de valeurs que l’on porte. Je suis impressionnée par Marion qui a débunké tellement de choses sur le féminisme avec YouTube, sa prise de parole était tellement ferme mais drôle et c’est pareil pour Swann qui pose des questions sur l’écologie, le féminisme. Elles interrogent la société avec tellement d’humour, de douceur, une telle élégance finalement que pour moi c’était vraiment une chance de pouvoir les mettre sur un piédestal.
En plus de parer tous les corps et toutes les féminités, vous proposez aussi des pièces inclusives unisexes chez Maison Louve. Quel sens trouvez-vous dans cette diversité ?
Jusqu’à présent, on avait des formes d’idoles, de buts à atteindre. C’était comme ça que l’on construisait son identité, avec des icônes, on disait que le féminin c’était Marilyn Monroe, les super modèles comme Claudia Schiffer, mais trop peu de gens peuvent se reconnaître là-dedans, c’est pour ça que j’aime cette diversité. Il faut se remettre en question inlassablement et décomplexer les gens sur ces idoles. On est son propre idéal de beauté, toujours. C’est ça l’idée que je veux transmettre, il ne faut pas regarder l’autre, mais comment on se met en valeur pour nous, comment on se glorifie.
Pourquoi le choix du sur-mesure ? N’est-ce pas un défi technique et donc économique ?
Ce n’est pas tant un défi car je ne travaille pas avec des stocks. Je ne vends pas des produits mais des ensembles pour des personnes, donc pour moi cela ne va pas être différent quelque soit la taille. J’aime cette idée de maison à l’ancienne, où la cliente était reine, elle arrivait, on écoutait ses besoins et ses attentes. On définissait ensemble un projet puis l’artisan faisait en sorte de la valoriser. C’est quelque chose qui a disparu, la fast-fashion, c’est vendre des produits sans savoir si cela correspond ou pas, le client n’est pas le point central.
Selon les clientes, il y a différentes histoires qui vont se jouer, s’acheter de la belle lingerie c’est un moment de vie, il y a une vraie implication émotionnelle pour certaines femmes, qui se cherchent à ce moment-là. Il va y avoir des attentes techniques, comme pour une forte poitrine qui va avoir besoin de soutien, de confort, une toute petite poitrine aura d’autres besoins. Comme on est sur une réponse individuelle, cela ne sera pas un grand défi technique. Ce qui sera difficile, ce sera de garder cet aspect vraiment personnalisé, car plus la demande est forte, plus c’est compliqué d’y répondre. C’est pour ça que je propose des tailles variées pour mes créations, mais aussi une option sur-mesure, adaptée à la cliente et non l’inverse.
Je suis une petite structure, une artisane d’art. Il y a plein de marques qui existent qui font très bien leur job pour les culottes de tous les jours, celles en coton que l’on ne garde pas toute sa vie. Ce qui m’intéresse moi, c’est que l’on puisse s’offrir quelque chose de précieux, qui a été fait pour nous. Donc forcément, je vais aller chercher les plus jolies matières et je vais travailler sur les finitions les plus raffinées possibles. C’est ce qui me plaît, faire de l’industriel, ce n’est pas mon métier, je ne saurais pas le faire. On m’a approchée plusieurs fois mais c’est impossible.
Vos pièces sont personnifiées et portent des noms de femmes. Maison Louve, c’est avant tout un moyen de faire passer un message féministe ?
Ce sont à chaque fois des hommages aux femmes. Sur les plaques dans les rues, très peu de femmes sont nommées, on sait que de brillantes scientifiques ont à peine été reconnues pour leur travail, qu’il a fallu attendre #MeToo pour que l’on se dise « ah oui incroyable, cette femme a créé tout ça ». C’était important de dire que c’étaient elles qui étaient au cœur de mon projet, une évidence. Ce sont des noms de clientes, de femmes qui m’ont inspirées, des égéries qui ont accepté de travailler avec moi, celles avec qui j’évolue, celles qui rendent Maison Louve possible.
Le nom Maison Louve nous évoque un aspect protecteur, fort et indépendant. Pouvez-vous nous en dire plus sur sa signification?
La louve est l’essence même de ce féminin très puissant. C’est la mère qui va protéger ses enfants, mais c’est aussi cette guerrière, c’est cette puissance que l’on a toutes en nous. Je donne de la place à ces aspects-là de la femme car on les voit trop peu. C’est plus commode de penser que les femmes sont des choses fragiles ou d’en avoir peur. Ce mot était représentatif de l’aspect sauvage, incontrôlable, protecteur mais aussi résilient. Et j’ai voulu ajouter Maison car cela faisait appel à la maison de Haute Couture, un lieu où l’on prend soin de nous. Cela faisait aussi appel aux maisons de couture anciennes, aux savoir-faire, à l’aspect technique, aux belles matières, aux jolies choses en fait. Le mélange des deux était une évidence.
© Lilieyesphotographie pour Maison Louve