Noémie Selve, qu’il faut appeler Noé, a créé Mermere pour mieux proclamer son amour de la mer et de sa diversité. Fascinée par les fonds marins d’aussi loin qu’elle s’en souvienne, elle imagine des bijoux mixtes qui rapportent des récits imaginaires et touchent au cœur ceux et celles qui, comme elle, ont cédé aux chants des sirènes.
Depuis toujours, Noé Selve a vu ses parents évoluer dans l’eau ou non loin d’elle. Moniteurs de plongée dans le cadre associatif, ils lui ont appris à aimer le goût du sel dans les cheveux et sur les lèvres, les embruns vifs et le cri des mouettes. Une sensibilité qui oscille au gré des vagues et que la jeune femme s’applique à matérialiser dans chacun des bijoux en métaux précieux recyclés qu’elle crée, façonnant un univers singulier peuplé de récits, de symboles, de mythes et de créatures marines. Objet fétiche ou vestige de joaillerie fantasmée, chacune des pièces qu’elle conçoit vient étayer le monde fantastique de Mermere, là où le temps s’écoule plus doucement, au diapason des rêves et de la nature.
D’où te vient cet amour pour la mer ?
Mes deux parents étaient moniteurs de plongée dans le milieu associatif. Du coup, depuis très jeunes avec mon frère, on a baigné dedans. Nos vacances, on les passait sur des bateaux et à Porquerolles où l’on a aussi passé beaucoup d’étés, au bord de l’eau. Quand on a quitté la banlieue parisienne pour déménager à Marseille, c’était aussi pour la plongée, mes parents cherchaient à se rapprocher de la mer. Naturellement, depuis petite, ce qui m’inspire, c’est la mer.
C’est une rencontre au Chili qui t’a donné envie de faire des bijoux. Peux-tu me la raconter ?
J’ai toujours eu envie de voyager. Dès que j’ai eu une opportunité d’échange avec mon école, j’ai repensé à l’Amérique latine qui m’attirait beaucoup et j’y suis allée. Là, j’ai eu un vrai coup de cœur pour le Chili et pour Santiago. Et d’une manière assez étrange, j’y ai passé 5 ans, sans voir le temps passer. J’ai d’abord fait un échange de 6 mois, puis j’ai voulu faire une césure et j’ai trouvé un travail dans un centre culturel où j’ai rencontré des gens et petit à petit, j’ai tissé des liens. Je n’envisageais pas de commencer ma vie professionnelle à Paris, je pense que j’avais besoin de voir et de connaître d’autres choses.
À Santiago je me suis rapidement rapprochée de gens créatifs, des artisans, des artistes, j’étais dans une émulation culturelle, que je retrouve d’ailleurs aujourd’hui à Marseille, qui nous donne l’impression que tout est possible, que l’on peut tout tenter. J’ai toujours eu cet attrait pour le bijou et, à force de me balader au milieu de tous les brocanteurs, les artisans qui restauraient des bijoux anciens, il y en a un qui m’a interpelée. Il me voyait passer tous les week-ends devant sa vitrine et m’a proposé de venir tester le métier avec lui dans son atelier. À l’époque, je travaillais dans la communication et le marketing et je me posais vraiment la question de ce que j’allais faire après parce que ça ne me plaisait plus. Je ne m’envisageais pas dans un bureau. J’ai alors mis les pieds dans cet atelier qui était tout petit, presque sans fenêtre et j’ai adoré. Je me suis vu continuer là-dedans.
Lorsque j’ai commencé à travailler avec lui, je dessinais les pièces et je lui demandais s’il pouvait me les fabriquer. On a ainsi fait ensemble la chevalière, le médaillon, la bague gourmette et assez rapidement, j’ai ressenti le besoin de fabriquer aussi. J’avais besoin de faire, de vraiment comprendre et donc j’ai commencé à me former avec lui. C’est arrivé à la fin d’un cycle où je me demandais si je me voyais vivre toute ma vie au Chili. J’ai alors pris ma décision et je suis rentrée à Marseille pour faire une formation en bijouterie joaillerie.
D’où vient le nom de ta marque Mermere ?
C’est le nom d’un livre écrit par Hugo Verlomme, un romancier qui écrit beaucoup sur la mer, qui s’est toujours inspiré d’un mode de vie slow life. La génération de mes parents connaît ce livre, un peu culte dans le milieu des passionnés de voile et de plongée.
Mes parents l’adorent tellement qu’ils avaient décidé de m’appeler Noé si j’étais un garçon, Noémie si jamais une fille, par rapport à ce livre dans lequel il y a des êtres mi-humains, mi poissons qui s’appellent des Noés. À titre personnel, j’ai une préférence pour Noé, tout le monde m’appelle comme ça depuis que je suis toute petite. Ce qui est drôle, c’est qu’au Chili, même dans le cadre professionnel, les diminutifs sont utilisés et pendant 5 ans, tout le monde m’a appelée Noé. Quand je suis rentrée à Marseille et que j’ai voulu lancer le projet, c’est assez naturellement que j’ai fait ce shift et que j’ai dit, maintenant, ce sera Noé.
Ta marque est donc inspirée par cette fiction littéraire plus que par une histoire formelle de la joaillerie ?
Je pense que je pars d’une base traditionnelle, parce qu’au final je le suis assez dans ma conception du bijou. Dans mon travail, j’aime les bijoux qui sont avec nous tous les jours. Au début, ce n’était pas vraiment conscient mais j’ai compris, à force de travailler sur Mermere, que je m’inspire de bijoux traditionnels comme la chevalière ou le sautoir par exemple, pour leur donner par la suite le twist Mermere. Par là, j’entends quelque chose de plus riche en métal, de plus cossu, qui a une touche antique de bijou vestige.
Tu parles de bijou vestige, c’est vrai que tes pièces ressemblent à des artefacts de corps marins, des amulettes comme tu les appelles. Au-delà de sa valeur esthétique, quelles sont les autres dimensions d’un bijou selon toi ?
J’essaye de faire des pièces qui ont une charge émotionnelle, une dimension en plus au-delà de leur apparence. J’ai l’impression d’y parvenir et je le ressens plus encore en ayant une boutique où je rencontre plus de gens.
Je sais que le bijou coup de coeur de voyage, c’est quelque chose qui me parle beaucoup. Les personnes qui rentrent dans la boutique ne viennent pas dans l’optique de trouver un souvenir de Marseille, mais lorsqu’elles aperçoivent un bijou qui leur plaît, elles se disent que ça leur rappellera leur voyage. Comme si elles liaient leurs émotions à celles que suscitent mes créations.
Comment la Méditerranée, Marseille, son histoire et ses mythes t’inspirent ?
Je suis très Méditerranée dans sa globalité, mais Marseille est un tel mélange que cela nous permet d’avoir des inspirations multiples, on est à un carrefour de cultures. Dernièrement, je m’intéresse beaucoup aux symboles dans mon travail, je cherche à trouver leur origine et c’est vrai que les cultures du Sud ont beaucoup de points communs. Par exemple, sur la chevalière, il y a cette Croix du Sud, qui se retrouve dans la croix de Camargue, mais aussi dans le bijou berbère, dans des bijoux grecs ou même en Croatie. En cherchant, j’ai découvert que la Croix du Sud est une constellation étoilée que tout le monde peut voir depuis l’hémisphère Sud uniquement, donc, aucun endroit n’a de monopole sur ce symbole, on le partage. Je trouve ça fou que tout le monde se soit inspiré de la même chose pour créer différentes pièces, on a réellement un socle commun en Méditerranée et c’est fascinant.
Par exemple, j’aimerais beaucoup travailler le semainier, qui est gravé dans ma mémoire de jeune Marseillaise, à l’époque c’était Gas, on en voyait beaucoup. Mais c’est aussi un bijou traditionnel que l’on retrouve dans plein de cultures, de religions, qui a des significations qui interpellent quand on commence à creuser. Je peux donc partir des inspirations traditionnelles de ce bijou que je veux réinterpréter, mais aussi m’intéresser aux symboliques du chiffre 7 (le semainier est un bracelet composée de sept anneaux, ndlr), de ce qu’il représente dans la culture méditerranéenne. C’est typiquement le point de départ de ma réflexion, de savoir comment je vais pouvoir amener ce bijou dans mon univers en partant de son histoire.
Au-delà de la mer, quelles sont les inspirations qui guident ton travail ?
Le bijou piercing m’intéresse beaucoup et me pousse à chercher de nouvelles formes, de nouvelles manières de porter le bijou. Aujourd’hui, on est de plus en plus à porter plusieurs boucles d’oreilles, donc je trouve intéressant de voir comment on peut dépareiller, déconstruire, créer des effets visuels sur l’oreille. Ça se rapproche un peu du bijou punk, de cette histoire du rock où les genres se mélangent dans les esthétiques. Dans mes choix de chaînes, de proportions, ça se ressent, j’essaie de faire toujours quelque chose d’assez transversal pour que tout le monde puisse le porter.
Tu le disais, tes créations sont non genrées, est-ce une autre façon d’éclairer ton point de vue sur le monde auquel tu aspires ?
Quand j’ai lancé mon site internet, j’ai mis le mot « non genré ». C’est un peu politique mais c’est surtout une vraie volonté de n’empêcher personne de porter ce qui lui plaît. À titre personnel, je vais autant piocher dans le vestiaire masculin que féminin et je trouve dommage d’empêcher les gens de s’exprimer avec un bijou juste parce qu’ils ne sont pas censés le porter.
C’est une question tellement liée à la culture, je sais qu’en Inde par exemple, les pierres sont plutôt réservées aux garçons. Moi, je voulais gommer cet aspect. Les personnes qui portent mes bijoux font seulement en fonction de leur goût, sans étiquette.
Les coquillages de tes amulettes ormeaux sont protégés par une couche d’argent. Est-ce une vision poétique de ton rapport à l’eau et ses trésors sur lesquelles tu veilles ?
C’est vrai que l’ormeau apporte une vision assez poétique au bijou, car finalement ce que je viens sertir, c’est de la nacre et pas une pierre précieuse, même si pour moi, ça l’est tout autant. C’est un coquillage qui rend les pièces uniques, chaque amulette est différente et je pense que quand je travaille sur ce style de bijou, il y a une mise en valeur de ce que la mer et la nature nous offrent. Des cadeaux à portée de main que l’on peut collecter, d’une beauté incroyable et dont il faut prendre soin.
Tu évoquais ta boutique, peux-tu m’en dire plus sur cette expérience nouvelle pour toi et ce que cela a pu apporter à ta façon de travailler ?
Lorsque j’ai démarré en octobre 2019, j’étais en étage dans les bureaux de ma maman. Dans la joaillerie, on a l’obligation de tenir un livre de police (le livre de police est un registre qui assure une traçabilité des ouvrages en métaux précieux pour éviter le recel ou la transformation d’objets volés, ndlr) et pour ce faire, on doit travailler dans un lieu facile d’accès pour les douanes. On ne peut pas travailler depuis chez nous, il vaut mieux s’établir dans un local plutôt rapidement. J’avais donc cet espace au tout début, dans la cuisine des bureaux pour être exacte, où je recevais sur rendez-vous et je participais également à des pop-up en dehors. J’aime la confidentialité qu’offrait cet endroit mais j’aspirais à avoir un lieu qui me ressemble vraiment, qui ressemble à Mermere, où je pouvais exposer tous les objets, livres et coraux que je garde.
Désormais dans ma boutique-atelier, je consacre la matinée à la fabrication et à la création. Je profite de ce moment-là pour nourrir mes inspirations plus librement, puis l’après-midi, j’ouvre la boutique. C’est là que je rencontre des gens et cela me permet de voir leurs réactions, ce qu’ils ressentent en voyant mes créations. À terme, j’aimerais retourner vers un atelier-boutique caché en étage mais, pour le moment, je suis bien dans ce lieu, qui me permet de me faire connaître et d’échanger.
Tu travailles uniquement avec des métaux recyclés et des bijoux anciens que tu revalorises. Est-ce un frein pour de potentiels clients ? Ou au contraire cela responsabilise-t-il les gens dans l’optique d’un achat engagé ?
J’ai l’impression que les gens commencent à connaître le côté néfaste de la production des métaux et les alternatives qui existent. Je le constate surtout pour les projets de mariage, j’ai des demandes d’alliances et de bagues de fiançailles pour des personnes qui trouvent important qu’elles soient en métaux précieux recyclés. Cela montre que les gens cherchent à responsabiliser leurs achats petit à petit.
Dans l’une de tes interviews, tu parles de la création comme d’un exutoire à émotions. Qu’entends-tu par là ?
Quand je cherche à créer un bijou, je travaille vraiment la signification. En cours de route, je trouve toujours pas mal de choses qui vont m’intriguer et que j’ai envie de transmettre aussi. Par exemple, l’histoire de la collection des bijoux Gyptis et Protis et de la bague Delphis est basée sur le mythe de la fondation de la ville de Marseille. La création d’une ville par acte d’amour, le mariage de deux personnes et le choix d’une femme. Il y a une dimension très féministe dans ce mythe mais aussi multiculturelle car c’est l’union d’un étranger et d’une fille celte locale.
Je pars de cette histoire et des émotions qu’elle provoque pour lui rendre hommage. Dans ce cas précis, j’ai imaginé les bijoux d’apparat du mariage, comme si je les avais faits pour eux. J’ai donc créé des pièces non genrées en utilisant le dauphin, symbole de Marseille, qui me permet de représenter le couple de manière universelle, on ne sait pas s’il s’agit de l’union d’un homme et d’une femme, de deux femmes, deux hommes, de personnes non-binaires. Puis j’ai réfléchi à un corps de bague torsadé d’inspiration celte qui respecte mon esthétique antique. C’est au final un enchevêtrement de petits indices chargés en émotions, réunis à la suite d’étapes très réfléchies.
Quand je crée, je me demande toujours pourquoi je fais ce bijou et comment les gens vont le recevoir, c’est un processus chargé émotionnellement.
Le terme de civilisation parallèle revient souvent lorsque tu évoques tes créations, le nom de ta marque y fait même référence. À quoi ressemblerait ta civilisation rêvée ?
Ma civilisation rêvée ferait écho à celle que Hugo Verlomme décrit dans son livre. Des gens vivant en harmonie avec leur environnement, respectueux des animaux, qui ont une conscience de ce que représente le « faire », ce qu’implique la création d’un objet. Un endroit où l’on comprend l’importance de revaloriser, de réparer aussi. Pour moi tout cela est lié. Il y aurait aussi une dimension intemporelle qui me plaît beaucoup, loin des modes ou des tendances, où l’on peut prendre le temps.
À gauche : La bague Under the Sea ©Théo Lancelot. À droite : Noé Selve devant sa boutique marseillaise. © 13ambitieux