Questionnant son histoire personnelle et l’état du monde, Samia Ziadi se fraie un chemin original, à la croisée de la mode, de la politique et de l’art contemporain.
Rêve, dessine, peint, coupe, assemble, jette, gueule, pleure, rit, vit, de la Méditerranée, aime les drapeaux, les rayures, les formes, les ronds, les Jeux Olympiques. D’après son profil Instagram, où figure cette drôle de citation, Samia Ziadi danse aussi le hip-hop et arbore un look d’adolescente. On y découvre, sans commentaire, les images de ses créations : longues silhouettes dessinées à la palette graphique, collages, photos ou vidéos mettant en scène ses vêtements – tous portés par des modèles qui n’ont rien de mannequins.
Son dernier clip est un ovni. Dans le décor d’un terrain vague des quartiers nord marseillais, sur fond de sirènes de bateaux et de prière coranique, la caméra suit trois personnes. La première porte une paire de babouches, une robe imprimée d’une ligne jaune en pointillés et un foulard transparent – entre hidjab et chapeau de pluie. Sur la robe néoprène de sa comparse figure une Vierge à l’enfant, tel un vitrail.
Le jogging du garçon, flanqué de bandes bleu-blanc-rouge sur son unique manche et d’un col de soutane, est, d’après son auteure, un vêtement de prière revisité. La déambulation du trio s’achève à Noailles, le cœur maghrébin de Marseille.
Il faut du courage pour imaginer semblable défilé. À l’heure où la tension règne, Samia Ziadi s’empare des habits qui font peur et des signes religieux ostentatoires, non pour jeter de l’huile sur le feu, mais pour en extraire la plastique et rappeler la fonction par le jeu des couleurs et des formes.
Samia appartient à cette famille de Français appelée immigrés de la deuxième génération. Son père est arrivé d’Algérie à Besançon avant la guerre d’indépendance, pour travailler à l’usine. Sa femme l’a suivi plus tard, avec sa valise en carton. Ils ont élevé huit enfants, désormais installés entre Marseille, Paris, Londres, Nyons et Doha. Née à Colmar, Samia, la petite dernière, a profité des audaces de ses grandes sœurs. Gardiennes de musée pour payer leurs études, elles ont l’autorisation d’y emmener la fillette dont elles ont la garde le mercredi. À cinq ans, Samia tombe en arrêt devant le Retable d’Issenheim. Ce jour-là, en larmes, j’ai compris ce que l’art peut faire aux gens, confie-t-elle. C’est son interprétation du retable que l’on retrouve aujourd’hui sur la robe Lumière du clip.
Amoureuse des drapeaux pour leurs couleurs, des mariages arabes qui lui offrent l’occasion de passer chez la couturière, Samia a su très tôt qu’elle voulait créer des vêtements. Mais, pour sa mère, couper du tissu n’est pas un métier ! Samia s’est donc ennuyée ferme sur les bancs du collège avant de s’orienter vers un CAP de peintre en lettres, manière de conjurer sa dyslexie et de travailler en couleurs. Cette formation lui a permis de gagner sa vie dans le cinéma, à la décoration puis… aux costumes. De fil en aiguille, de la rencontre fortuite d’un client mécène aux encouragements de Jean-Charles de Castelbajac, Samia Ziadi est devenue une artiste hors catégories.
Sa prochaine collection est baptisée Yalla. Elle est dédiée aux migrants.
Légendes
Dessins et collages © Samia Ziadi
Initialement publié dans Marie Claire Méditerranée