Mode

Musu, une nouvelle optique de la mode et du monde

Ryan et Célia Limandat sont frère et soeur, binôme en mode fusionnel depuis l’enfance. Avec leur jeune marque de lunettes écoresponsables Musu, le duo a décidé de partager un projet qui leur ressemble : mode, fun et engagé. Une griffe au caractère déjà bien trempé, mêlant parfum rétrofuturiste à l’élégance nonchalante d’une Côte d’Azur fantasmée. Une vision qui prend sa source quelque part du côté du Groenland.

En octobre 2021, il y a quelques mois à peine, vous avez lancé Musu, votre griffe de lunettes écoresponsable. On ressent pourtant dans votre projet une véritable forme de maturité, notamment sur le sujet environnemental. La conscience écologique manifeste, qui constitue l’ADN de la marque, s’impose naturellement sans le besoin de la revendiquer haut et fort, laissant ainsi court à une vraie réflexion autour du design. Vous considérez-vous comme une marque de niche militante, fruit de votre expérience personnelle dans le programme Students on Ice*, ou représente-t-elle potentiellement une nouvelle génération d’entrepreneurs ?

Célia Limandat : Initialement, il s’agissait d’une prise de conscience écoresponsable, en lien avec mon expérience en Arctique (avec la Fondation Albert II de Monaco, dans le cadre du programme Students on Ice, ndlr). Mais aujourd’hui, cette dimension est devenue une évidence pour tout nouveau projet d’entreprise, alors il a fallu se démarquer autrement. Nous avons mis l’accent sur l’aspect décalé de nos montures, autant à travers le design de nos modèles que dans notre communication. Nos campagnes marketing intègrent toujours une pointe d’humour, et c’est justement ce qui nous représente, mon frère Ryan et moi. Je pense que la responsabilité environnementale prime dans la création jusqu’à devenir le modèle de demain. Il y a 20 ou 30 ans, les productions s’effectuaient en Chine car c’était moins cher, aujourd’hui, on se rapproche de circuits plus courts, avec un réel respect du travailleur.

Beaucoup de marques se sont engagées dans la mode, plus particulièrement dans l’industrie textile, avec l’objectif de trouver une solution durable pour une mode plus vertueuse. Néanmoins, on s’aperçoit souvent qu’il s’agit de démarches « cérébrales » plutôt que viscérales ou créatives.

Nous, c’est le contraire ! Nous nous sommes d’abord demandé quel produit créer, sans utiliser toutes les ressources de la planète. Quel matériau employer ? Lequel sera le plus écoresponsable ? Puis, nous avons découvert cette matière, le bioacétate, composé de fibres de coton ou de bois qui, à la différence de l’acétate classique, comporte un liant en matière végétale rendant la monture totalement biodégradable.

Le bioacétate M49, c’est ça ? 

Exactement, il est fabriqué par une entreprise italienne nommée Mazzucchelli, leader mondial de l’acétate. Cette manufacture a été fondée en 1849, ce qui donne son nom au matériau M49 qu’ils ont mis au point. De même, l’atelier avec lequel nous travaillons pour la fabrication, nous l’avons sélectionné parmi la dizaine d’usines familiales que nous avons visitées. Il est situé dans la vallée de Cadore, dans les Dolomites, berceau de l’industrie de la lunette en Italie. Un endroit magnifique, qui fait écho à mes souvenirs en Arctique, et qui répond au fait qu’aujourd’hui, je privilégie l’esprit nature et les bonnes conditions de création.

La dimension familiale que vous retrouvez dans cet atelier est un peu le prolongement de votre mode de fonctionnement ?

Totalement, autant pour la production des montures que celle des étuis. Ils sont confectionnés dans un autre petit atelier, par une mère et sa fille, près de Florence. Elles récupèrent les chutes de cuir des usines de luxe locales pour les intégrer à la fabrication de nos boîtes de rangement. À travers cette démarche, nous voulions retrouver une nouvelle fois notre esprit de production familiale, nos valeurs environnementales, en privilégiant au maximum les circuits courts. Nous produisons également volontairement en petites quantités, pour éviter la surproduction.

Comment est née votre collection ? On observe une certaine inspiration rétro dans vos créations, voire rétrofuturiste ?

C’est moi qui dessine tous les modèles, je n’ai pas de formation particulière pour ça, j’ai étudié les sciences politiques mais je me sers de la foule de sources d’inspirations créatives disponibles aujourd’hui. Ensuite, je les envoie à l’atelier de production qui les réadapte selon son expertise technique et les standards de l’industrie. Pour la monture, nous avons volontairement sélectionné la plus large épaisseur possible afin d’accentuer le look recherché : à la fois affirmé, décalé et rétro avec les coloris choisis. Initialement, ces critères représentaient l’ADN de Musu, finalement, nous nous sommes aperçus qu’il existe de multiples formes à tester. Tous nos modèles sont mixtes mais aussi transgénérationnels, pour ne pas s’adresser à un profil particulier. D’ailleurs, l’idée de la marque vient de notre enfance où nous étions, mon frère et moi, fous de lunettes, que l’on collectionnait et qu’on s’échangeait tout le temps. 

Aujourd’hui, Musu propose trois modèles déclinés en quatre coloris. Allez-vous garder cette structure de gamme ou allez-vous également créer d’autres petites séries numérotées ?

Cela fait partie de nos projets. Nous produisons entre 30 et 50 paires par coloris, à la fois par souci de surproduction mais également d’exclusivité. Nous sommes tellement habitués à voir les mêmes pièces sur tout le monde, à cause de la fast-fashion, alors qu’aujourd’hui, je pense que l’on recherche plus la différence, voire l’unicité. Nous-même, lorsque nous portons nos lunettes, nous avons souvent des remarques de personnes dans la rue, au café, qui nous disent : « j’aime beaucoup tes lunettes parce qu’elles se démarquent ». Certes, elles ne plaisent pas à tous, et après tout, tant mieux, mais celles et ceux qui les adoptent se sentent quelque part valorisé·es et c’est l’ambition de Musu.

D’ailleurs, pourquoi ce nom « Musu » ?

Cela signifie « bisou » en basque, mais nous n’avons aucun lien avec le Sud-Ouest ! (Rires) Au lycée, avec mon frère, nous avions eu l’idée d’une première marque, bien différente de l’actuelle. Son logo était une bouche, un élément distinctif dans la famille, puis nous aimions beaucoup cette traduction, Musu. Plus tard, lors de mes études à Londres, j’ai appelé Ryan en lui exposant mon projet de lancer une griffe de lunettes écoresponsables. Il m’a suivi directement avec une unique doléance : garder ce nom Musu

Vous êtes un binôme professionnel frère et soeur, comment avez-vous construit ce projet ? Chacun a-t-il un rôle attitré ?

Je suis gérante de la marque, mais toutes les décisions sont prises à deux. Qu’elles soient financières, marketing ou créatives. La plupart du temps, nous sommes d’accord à 90% et ce sont les 10% restant qui nous font avancer. Le fait d’avoir grandi ensemble est une force car tout est naturel, notamment en ce qui concerne l’image de marque. Le plus important pour nous est de garder l’esprit de légèreté et d’humour qui nous sont chers. Plus jeunes, nous regardions beaucoup de films et comédies françaises, donc nous intégrons ces références dans nos campagnes promotionnelles. Le challenge, puisque nous sommes positionnés luxe, est de réussir à combiner humour et sophistication.

Selon vous, Musu peut-elle représenter un nouvel état d’esprit générationnel ?

Sans doute. Je pense que les nouvelles générations ne placent pas le travail comme une priorité. Elles favorisent de bonnes conditions professionnelles, leur permettant d’avoir du temps pour soi. Cette idée fait écho à mon voyage en Arctique qui a bouleversé ma vision du monde. Un instant hors du temps, comme une introspection sur moi-même, sur ce que je souhaite faire et sur la manière dont j’aborde la vie. À mon retour en France, je me suis tournée vers des études diplomatiques, seulement, il manquait l’aspect créatif qui me tient à cœur. Je n’arrivais pas à m’épanouir, jusqu’au jour où j’ai lancé ma marque pour être autonome et pouvoir aboutir mes idées.

Et pour la suite ?

Nous attendons les modèles de la future collection été, disponible sur notre site et en boutique dès la mi-avril. Nous l’annoncerons à travers une campagne marketing qui, cette fois, intégrera notre mamie. Toujours en famille ! (Rires) Nos lunettes seront prochainement implantées chez les opticiens et adaptables à la vue (elles sont également disponibles dans quelques boutiques d’hôtels de référence dans le Sud, ndlr). J’espère également étendre nos points de vente, au-delà du Sud de la France, pour réaliser mon but ultime : me balader dans la rue et voir quelqu’un portant des lunettes Musu. Pas à Monaco bien sûr car ce serait trop facile, mais peut-être dans un aéroport, à l’autre bout du monde !

musubrand.com

* Chaque été, le programme « Students on Ice », créé par la Fondation canadienne SOI et soutenu par la Fondation Albert II de Monaco, permet à des lycéen·nes du monde entier, dont deux venu·es de Monaco, de se rendre en Arctique à la rencontre des populations locales, tout en découvrant les problématiques environnementales auxquelles elles doivent faire face. Une expérience unique et inspirante, voyage exploratoire de 15 jours à bord d’un brise-glace, pour éveiller les plus jeunes aux risques et impacts du réchauffement climatique dans des espaces si riches en biodiversité et pourtant si vulnérables.

Pour en savoir plus, soifoundation.org et www.fpa2.org

Légendes 1. Musu met l’accent sur les détails, du produit à l’emballage, toujours dans le respect de l’environnement © Célia Limandat 2. Des lunettes mixtes et transgénérationnelles, pour un look rétro bien décalé © Anja Pancaldi 3. Chaque paire est conçue sur la Côte d'Azur et fabriquée à la main en Italie, à partir de bioacétate de première qualité © Anja Pancaldi