Mode

Mode in France, le style Apollinaire

Depuis quelques mois, le magasin français écrit en ligne et au fil de pop-ups itinérants, une nouvelle page de la mode made in France, arborant des couleurs moins cocardières que prosélytes du style, de l’impact et de la joie. Entretien réjouissant avec Caroline et Virginie, ses créatrices niçoises.

Caroline Poupart et Virginie Meerloo ont forgé leur amitié dans les bureaux d’un prestigieux cabinet d’architecture d’intérieur, respectivement directrice financière et directrice de la création. Portée par son engagement pour la place des femmes en entreprise, Caroline a décidé, la première, de se lancer dans l’aventure entrepreneuriale. Son constat : les premières victimes de la désindustrialisation textile de la France, ce sont elles, les femmes. Virginie, pour sa part, a développé le goût des belles matières et de l’artisanat d’art, et la conscience de la richesse culturelle des savoir-faire français. Mais au-delà de leur complémentarité professionnelle, l’hyperactive gestionnaire et la tête chercheuse créative ont en commun une énergie positive et communicative qui s’appelle la joie. Un formidable moteur qui propulse leur site Apollinaire, dont le nom chante à nos oreilles la force et l’élégance du style français, au rang d’un véritable mouvement qui vise sans complexe un impact social, sociétal, économique, écologique et culturel. Très loin de l’étiquette made in France cousue d’opportunisme ou d’une esthétique si basique ou austère qu’elle nous désespère. Apollinaire entend incarner une nouvelle vision de la mode, éthique certes mais aussi humaine.

Comment en êtes-vous arrivées à défendre le made in France ?
Caroline Poupart
: Avec mon engagement dans le club des femmes entrepreneures, je considère qu’on ne peut pas défendre l’égalité femme-homme et favoriser le contraire à l’autre bout de la planète. En France, les premières victimes de la désindustrialisation de la mode sont les femmes. Ma grand-mère, couturière à Amiens, a été licenciée deux fois de suite et a fini femme de ménage, alors qu’elle avait des doigts d’or. Le made in France a un spectre très large, qui touche à l’écologie – n’oubliez pas qu’un T-shirt de la fast fashion fait 1,5 fois le tour de la planète –, aux dimensions sociales, économiques et culturelles. Pour moi, la culture est une condition sine qua non d’émancipation des femmes. Plus simplement, je voulais consommer différemment, acheter français mais je ne trouvais pas. J’en ai parlé à Virginie qui a ouvert alors la boîte de Pandore. La France, c’est le pays de la mode et de la création, il existe plein de marques, il suffit d’aller les chercher. Et c’est ce qu’on a fait.
Apollinaire n’est pas un projet opportuniste. On a justement cherché à éviter le bleu blanc rouge en définissant notre marque. Nous voulons avant tout faire la différence par le style. Nos vêtements sont beaux. Et en plus, ils sont faits en France. D’ailleurs, les Galeries Lafayette nous accueillent parce que nous représentons le made in France mais surtout parce que notre sélection a du style et nos corners sont réussis. Et ça, c’est grâce à l’œil de Virginie. Nous ne sommes pas comme les instances qui défendent le made in France, qu’on entend trop souvent dire « vous DEVEZ acheter français. »

Quels sont vos critères de sélection pour référencer une marque ?

Virginie Meerloo : On n’a pas de grille. Le premier critère, c’est que ça me plaise. La fabrication française, c’est souvent des petites marques, avec peu de moyens ou peu d’investissements, donc, beaucoup font du basique. C’est bien un temps mais c’est lassant. Chez Apollinaire, nous avons par exemple une marque à Toulouse, deux filles, qui fabriquent leurs propres imprimés, magnifiques, une autre qui réalise des plissés à la Issey Miyake, et quantité d’autres. Autre critère ensuite, la qualité et notamment les matières. On a une marque qui travaille le lin, d’un poids et d’une qualité exceptionnels. Les finitions, aussi, bien sûr. Bref, j’essaie de trouver un maximum de choses différentes.
Quand on a démarré, ce n’était pas facile d’avoir des marques sympas mais plus ça va, plus ça s’affine. Ça fait boule de neige. On nous sollicite. Mais on ne peut pas tout accepter. On ne veut pas être Etsy. Aujourd’hui, nous avons 80 marques et j’aimerais couvrir tous les secteurs et pouvoir m’habiller de la tête aux pieds sans que ce soit un fourre-tout.

Caroline Poupart : Nos critères de sélection, c’est que tout l’assemblage soit fait en France. Il faut savoir qu’il existe 4 définitions différentes du made in France selon le type de produit ! Pour le textile, il faut que la dernière opération significative soit faite en France. Ainsi, tu peux faire faire un jean par des enfants au Bangladesh dans des conditions épouvantables, tu ajoutes un petit écusson également fait au Bangladesh et hop, c’est du made in France. Nous, ce qu’on veut, c’est défendre un artisanat, un savoir-faire, une culture et des emplois en France, donc, on demande aux marques de s’engager, c’est contractuel, que l’intégralité de l’assemblage est bien faite en France, elle doivent en plus répondre à un questionnaire, on fait aussi des audits, on vérifie les factures et on garantit tout ça au client final.

Est-ce qu’aujourd’hui, le made in France vous semble devenu une évidence ?

Virginie Meerloo : Nous on y croit, évidemment. On a des relations privilégiées avec nos marques, on a même créé des amitiés. On met une énergie en commun et on a le sentiment de créer un mouvement. Tous les 2 mois, Caroline organise des ateliers pour parler et travailler avec les différentes marques. Plus on met d’énergie, plus on a de chance que ça crée une dynamique.

Caroline Poupart : C’est clair que c’est difficile de fabriquer en France. Les marques qui font ça sont excessivement engagées et je dirais, si j’étais sexiste, qu’il y a beaucoup de femmes parce qu’il faut être courageuse. Pour être claire, il y a 90% de femmes dans le secteur mais dans les médias, on entend Gilles Attaf, président d’Origine France Garantie, Thomas Huriez, de 1083 et Guillaume Gibault du Slip Français, tous trois fort brillants. Mais si vous cherchez des femmes brillantes qui ont des marques, moi, j’en connais plein (rires).
C’est difficile pour une petite marque de trouver le consommateur dans un monde ultra-concurrentiel, de trouver des ateliers de fabrication, quand on a de petits volumes, on est la 5e roue du carrosse, il faut du cash pour financer la production. Néanmoins, on est dans une mouvance où les gens ont envie de s’engager, et du coup, des marques font le pas de fabriquer en France. On peut aussi parler des hypocrites qui font un jean made in France avec une toute petite marge et le reste made in Bangladesh, mais en attendant, ils nous font du bien, ils promeuvent la fabrication française et du coup, ça rentre dans les esprits.

Qui achète chez Apollinaire ?
Caroline Poupart : Déjà, il faut savoir que les plus engagé·es ne consomment pas. Nos clientes ? Elles sont sensibles au savoir-faire, aux belles matières. Une femme vient, regarde l’étiquette, se renseigne, essaie et achète, finalement hyper contente parce qu’elle a le sentiment de faire partie d’un mouvement. Elle avait ces valeurs-là en elle qui somnolaient parce qu’elle bosse toute la semaine, qu’elle s’occupe de ses gamins et là, plutôt que d’acheter beaucoup, elle va le faire bien une fois. Les clientes se disent c’est un peu cher pour une marque que je ne connais pas mais c’est made in France, alors j’achète. Les gens commencent à entendre, regardent les étiquettes et refusent de plus en plus le made in Bangladesh.

Avez-vous été soutenues par l’État ?
Caroline Poupart : Oui, notamment par un prêt bancaire garanti à 70% par la BPI et on est en train de solliciter auprès d’eux un financement supplémentaire parce que notre projet a du sens économiquement. On est dans un pays où on râle pour payer des impôts mais quand même, ils servent. Ensuite, on est soutenues par les réseaux Entreprendre, Initiative France, financés en partie par l’État, qui nous aident plus que financièrement, en nous accompagnant dans le projet. Mais il faut faire la démarche, de longues démarches, ça ne se règle pas en un e-mail.

Virginie Meerloo : Avec le réseau Entreprendre, on a l’opportunité de créer des boutiques made in France dans les hôtels avec des sélections sur mesure, selon la clientèle de l’hôtel. On s’est rendu compte qu’on était devenues les représentantes du made in France, autant exploiter cette expertise.

Vous assumez donc votre statut d’entreprise à impact.

Caroline Poupart : Bien sûr. On est très engagées. Dans nos pop-ups, on fait intervenir des femmes de talent de la région, illustratrices, autrices, stylistes, on veut mettre les femmes en valeur.
Mais Virginie et moi, on a une passion dans la vie, c’est de rire et d’être heureuses. Avec le plaisir qu’on prend à développer cette entreprise, on se sent positivement investies d’une mission, pas le truc lourd, on ne donne aucune leçon. On propose une alternative, on le fait dans la joie, la bonne humeur. Nos petites marques, c’est difficile pour elles, on leur donne de la bonne humeur, on se réunit, on échange, c’est de la solidarité, on est en train de créer une communauté du made in France. Indispensable. On fait des ateliers sur comment gérer son atelier de production, la gestion vie pro vie perso et la solitude du dirigeant, gérer son service client. On ne le sait pas en France, mais on a besoin de joie, on a besoin de beau (rires). Pendant longtemps, pour être éthique, il fallait avoir un T-shirt beigeasse, aujourd’hui tu peux être bien sapée, tu peux défendre des valeurs profondes et sérieuses dans la bonne humeur, ce n’est pas incompatible.

Apollinaire.com
À retrouver aussi aux Galeries Lafayette Nice Masséna jusqu’à la fin août 2023