Culture

Saint-Tropez, à la recherche des racines du mythe

L’histoire tient de la bravade. Prouver qu’existe encore, sous le luxe exponentiel et le vernis d’une bonne société internationale ultra-VIP, au fil d’étés au bord de la crise de nerfs, l’âme intacte d’une région idéale et de ses talents, aux sources du mythe.

L’histoire débute dans la douceur d’un soir d’automne, terrasse de la Villa Belrose, à l’excellente table du chef Pietro Volonte, en tête à tête avec le maître de maison, Robert Van Straaten. Cogolinois de cœur, le grand hôtelier est homme au parler franc. À la question « Existe- t-il encore un peu de vrai à Saint-Tropez ?”, la voix forte et truculente de celui qui veille aux destinées de l’un des plus beaux 5 étoiles de la Côte d’Azur s’échauffe et vibre de sincérité. De fait, la liste qu’il dresse en quelques minutes d’un panégyrique enflammé devient notre feuille de route. Rendez-vous donc au printemps pour explorer les racines du rêve tropézien.

Étape n°1 : Rondini. Dans l’étroite rue Clemenceau, la petite vitrine dévoile une micro-boutique où sont ex- posés les classiques de la maison. Peu de modèles mais une exigence presque sacerdotale dans la qualité de fabrication. Cuirs choisis, découpe et assemblage main, cousue dans les règles de l’art, la vraie tropézienne prend vie dans l’atelier que l’on devine à travers la porte vitrée. Alain Rondini nous présente les lieux, l’équipe et nous décrit sa philosophie. Ne pas céder à la mode, aux clients capricieux, aux sirènes du business, garder le cap familial, faire peu mais le faire mieux que personne. Un parfum de vérité qui nous fait regarder à deux fois ses sandales iconiques. À ce prix-là, qui sait encore faire ça ?

Étape n°2 : l’huile d’olive du Domaine du Val de Bois à Gassin. Derrière un portail anodin se cache le domaine d’Éric Barnéoud. Robert van Straaten nous a vanté sa production mais c’est l’homme qui nous frappe. Comme un moine-soldat en croisade au long cours, Éric défie les tracasseries administratives et les gageures économiques pour parvenir à son rêve : créer enfin son moulin, aboutissement d’une vocation chevillée au corps qui lui fait tenir bon. N’en déplaise au généreux Robert, le bon génie d’Éric Barnéoud s’appelle Arnaud Donkele – le triple étoilé du bien nommé Cheval Blanc – qui l’a repéré et travaille en étroite relation avec lui. Courage Éric.

Étapes 3 et 4 : petits ajouts d’Éric Barnéoud à la liste. Château Minuty : à la rubrique grand domaine, notre liste indique Bertaud Belieu. Nous reviendrons. Les pêcheurs de Saint-Tropez : oui, ils existent mais la météo défavorable du lendemain nous empêchera de les rencontrer. Nous reviendrons. Les anches Rigotti à Cogolin : justement, c’est notre prochaine étape, nous y allons. L’atelier est animé, sur les machines, les fines tranches de canne de Provence virevoltent jusqu’à obtenir calibre, galbe et forme idoine. D’abord la danse, puis la musique. Pendant que Daniel Rigotti retrace l’historique de l’entreprise, nous détaillons le tableau de livraison derrière lui : Japon, États-Unis, Europe de l’Est. Les jazzmen du monde entier réclament les créations de la maison. Chapeau.

Étape n°5 : Gassin. C’est vrai le village possède un charme réel et la vue sur la presqu’île est à couper le souffle. Mais la vraie découverte s’appelle Germaine l’Hardy-Denonain. Avec de faux airs de Christelle, la vieille dame de Babar, elle règne sur son étonnant jardin savant avec lequel elle entretient un dialogue presque maternel, intarissable sur les espèces rares qu’elle documente en quelques cartels faits mains à l’usage des visiteurs toujours bienvenus. Un instant d’humanité si pur qu’il en paraît extravagant.

Étape n° 6 : Aux Deux Frères à Saint-Tropez. À l’entrée de la vieille ville, la boutique fait office de dernière vraie boulangerie pâtisserie. Au pays de la tropézienne, nous prenons finalement fait et cause pour les délicieuses tartes « brûlées » que Thierry Delpui nous offre. Au-delà, c’est une fois encore le témoignage de l’homme qui nous touche. Les commerces de bouche qui autrefois entouraient sa boulangerie sont devenus franchises de mode ou pas de porte vacant, loyer stratosphérique oblige. Il nous explique qu’en hiver, il reste ouvert pour une poignée de locaux, le village devenant au fil des ans une vaste résidence secondaire comme nous le confirmera Alain Rondini. Mangez des tartes !

Étape n° 7 : la Manufacture de tapis de Cogolin. Centenaire exemplaire, son patrimoine et son savoir faire, magnifiques, méritent un sujet, à suivre dans Marie Claire Maison Méditerranée, et bien sûr, une visite.

Étape n° 8 : last but not least, les jardins de la Piboule. Le chemin pour s’y rendre dérouterait plus d’un chauffeur de maître : au carrefour de la Foux, direction Cogolin, puis tourner à droite sur le chemin caillouteux et prendre à nouveau à droite au tas de fumier. Rencontre extraordinaire. Sous le gigantesque peuplier qui donne son nom à l’exploitation (piboule en provençal) et dont un chaman, ami du propriétaire des lieux, affirme (pour l’avoir appris par l’intéressé lui-même) qu’il a 331 ans, Yann Ménard, le dit-propriétaire, nous initie aux mystères d’une nouvelle agriculture, faite de traditions revisitées, d’intuition et de courage, de recherche constante et d’un brin de mysticisme. Promis à une carrière de vigneron, Yann voyage dans le monde entier et revient un jour au pays pour dé- couvrir que ses parents, divorcés, ont revendu leur vignoble et que le ticket d’entrée est désormais hors d’atteinte. Le jeune homme, qu’on imagine aisément cadre supérieur d’une grande entreprise, retrousse alors ses manches et s’invente un projet. Achat de terres dans les alluvions de la Giscle, l’impétueuse rivière, couvertes d’arbres et de végétation anarchique que Yann entre- prend peu à peu de restructurer : bandes de terre cultivée, labourée à l’aide d’une jument blanche héroïque, entrecoupées de rangées d’arbres qui prodiguent l’ombre et l’effet brise-vent nécessaires à l’épanouissement des cultures. Il doit forcément y avoir un secret magique dans les méthodes de Yann et son équipe dévouée. C’est simple, nous n’avions jamais goûté de légumes aussi savoureux, crus, croquants, parfaits. Et si c’était cela, enfin, le vrai luxe ? Saint-Tropez est là pour ça. Merci Robert.

Initialement publié dans Marie Claire Méditerranée