Selon l’étymologie de Thomas Moore, l’utopie est un lieu qui n’existe pas. En 2018, les bâtiments bien réels quoiqu’inhabités de l’ancienne Direction des routes de Marseille, à un jet de pierre de la porte d’Aix, ont vu fleurir un projet urbain solidaire. Son but, devenir une plateforme d’hospitalité sociale et créative. Son horizon, quelques mois tout juste. Il vient pourtant de fêter ses 5 ans et un bilan qui nous fait porter sur Coco Velten un regard admiratif. Qui est donc Coco ?
Selon l’étymologie de Thomas Moore, l’utopie est un lieu qui n’existe pas. En 2018, les bâtiments bien réels quoiqu’inhabités de l’ancienne Direction des routes de Marseille, à un jet de pierre de la porte d’Aix, ont vu fleurir un projet urbain solidaire. Son but, devenir une plateforme d’hospitalité sociale et créative. Son horizon, quelques mois tout juste. Il vient pourtant de fêter ses 5 ans et un bilan qui nous fait porter sur Coco Velten un regard admiratif. Qui est donc Coco ?
Yes We Camp, architecte de l’utopie
A l’origine de Coco Velten se trouve l’association Yes We Camp, née à Marseille du drôle de camping éphémère et expérimental (d’où son nom) imaginé pour Marseille, capitale européenne de la culture 2013. Le succès de la réalisation et sa visibilité donnent l’élan. Le collectif est sollicité pour témoigner de son expérience mais décide de conserver sa dynamique pour des projets successifs. La préfiguration du Parc Foresta, coulée verte marseillaise sur le site des ancestrales tuileries et futur parc métropolitain botanique multi-activités, la Caravanade, ensemble de dispositifs mobiles destinés à se déployer partout dans l’espace urbain pour y offrir des activités de formation et de production créative, Buropolis, ou la spectaculaire transformation d’un ancien immeuble de bureau en un ensemble actif d’ateliers d’artistes ou encore l’Auberge marseillaise, lieu d’accueil et de sécurisation de femmes en situation de précarité.
Mais c’est au-delà du territoire phocéen, à Paris, que Yes We Camp a porté, 5 ans durant, l’expérience la plus proche de Coco Velten. Baptisé Les Grands Voisins, le tiers-lieu provisoirement installé dans l’ancien hôpital Saint-Vincent-de-Paul sur l’avenue Denfert-Rochereau, sous le bel intitulé de fabrique de biens communs, contribua à revitaliser 3,4 hectares vacants dans le 14e, accueillir 2 000 personnes résidant ou travaillant sur place, dont un millier en hébergement d’urgence et jusqu’à 46 500 demandeurs d’asile et réfugiés reçus à l’accueil de jour. On y trouvait également des locaux professionnels à des tarifs 4 fois inférieurs aux coûts du marché parisien, plus d’une centaine d’ateliers, boutiques ou espaces de travail occupés par des porteurs de projets qui trouvèrent la chance de mettre le pied à l’étrier, générant un potentiel économique considérable. L’expérience fut justement récompensée par l’exposition de la Biennale internationale d’architecture de Venise 2018 intitulée « Lieux Infinis », les Trophées de l’économie sociale et solidaire décernés par la Ville de Paris ou le Palmarès des Jeunes Urbanistes.
Coco Velten, contre l’exclusion, pour de nouveaux modèles de vie
Si Coco Velten se situe, tout comme les Grands Voisins, au carrefour du social, de l’économie solidaire et de la culture, sa situation et les enjeux qui en découlent sont singulièrement éloignés. De plain-pied dans le Marseille populaire du quartier de Belsunce, près de la Porte d’Aix et non loin de la gare Saint-Charles, le contexte est loin de la gentrification et incite le projet à rester concentré sur ses objectifs essentiels que sont la lutte contre l’exclusion et l’expérimentation de nouvelles manières de vivre ensemble. En clair, recréer un espace réparateur de lien social et générateur d’idées agentives de faire société.
De fait, Coco Velten se pense tout à la fois comme lieu d’accueil, de travail, de rencontres mais aussi d’interconnexion avec le quartier, complétant l’éco-système de l’îlot Velten qui réunit un centre municipal d’animation, le centre social CCO, le Contact Club, spécialisé dans l’éducation et l’insertion socioprofessionnelle des jeunes, la Cité de la Musique ou encore le Secours populaire. Habitant·es de la résidence sociale, enfants, familles du voisinage partagent ainsi avec la population de Coco Velten, artistes, makers et micro-entreprises de tous horizons, une expérience de vie commune harmonieuse, que célèbre de façon festive une fois l’an le joyeux festival des Babelsunciades, dont la nouvelle édition se déroulera à la fin de l’année 2023.
Quel avenir pour ce monde fragile ?
Depuis le 31 mars 2023, Marseille Habitat, bailleur social de la Ville, s’est définitivement porté acquéreur des lieux. Une bonne nouvelle, a priori, pour les trois pilotes du projet que sont Yes We Camp, en charge de la direction globale et de l’ouverture au public, titulaire de la convention d’occupation temporaire des bâtiments, Plateau urbain, structure coopérative qui anime la communauté d’activités socio-culturelles, déjà partenaire des Grands Voisins, et SOS Solidarité, qui gère le foyer et l’accueil des personnes vulnérables. Ayant juste franchi le cap fatidique des 5 ans (durée de vie des Grands Voisins), Coco Velten, réalisé à l’initiative des pouvoirs publics, peut en effet espérer voir l’éphémère se pérenniser et l’utopie s’enraciner.
Le chantier qui se préfigure prévoit déjà de consacrer 1 000 m2 de la surface occupée à des logements sociaux, ce qui va de fait entraîner une recomposition de la situation actuelle. Mais l’intention affichée pour l’avenir semble vouloir respecter la particularité de l’expérience menée jusqu’alors, intention d’autant plus louable que ce petit monde effervescent fait chaque jour la preuve de sa vitalité et de sa capacité à activer un modèle vertueux qui fonctionne.
Un modèle inspirant à protéger
Il suffit pour cela de se rendre à La cantine, cœur névralgique de Coco Velten, lieu ouvert et généreux où l’on peut se poser sans nécessité de consommer. Il sent bon la cuisine locale, alimentée par des producteurs des environs, les invendus et la banque alimentaire, voire la production maison de miel, obtenu via les ruches perchées sur le toit, ou de champignons, cultivés au sous-sol des Archives. Chaque jour y sont confectionnés 50 repas, consommés sur place et 50 autres, destinés à la maraude. On peut venir partager un café suspendu, selon la tradition du célèbre café Gambrinus à Naples, qui consiste à offrir par solidarité un café – ou pourquoi pas un repas – à une personne démunie. Chaque mercredi, de 19 à 22 h, la cuisine accueille même des talents de l’extérieur – particuliers, cuisinièr·es en herbe, chef·fes de passage – pour des repas à prix libre, dont 30% de la recette revient aux intéressé·es et 70% servent à financer des projets de formation ou des sorties pour les enfants.
Coco, comme bien commun et faire ensemble
Sur le toit terrasse, qui offre une vue imprenable sur la ville, s’épanouit la pépinière du Jardin Commun, espace d’expérimentation où l’on cultive une biodiversité méditerranéenne à partir de semences locales et paysannes, pour aider à reverdir le quartier. Un rooftop que l’on peut réserver, pour une poignée de personnes seulement, tout comme d’autres espaces de Coco Velten telle la Halle, l’ancien gymnase dédié aux événements, ou les annexes, à louer pour des réunions, workshops ou un temps d’immersion aussi stimulant qu’apaisant dans ce microcosme exemplaire. Non loin des 40 ateliers bureaux, tous occupés par autant d’associations, artistes, artisan·nes, petites sociétés et entreprises sociales qui font de l’ensemble un pôle de création et de production à la réelle vitalité, offrant à tous les esprits actifs et entreprenants une chance égale de s’épanouir (sous réserve d’y trouver une place). Sans oublier, au cœur de ce brassage étonnamment harmonieux, la RHVS, Résidence Hôtelière à Vocation Sociale, où 80 personnes sont hébergées en permanence pour de longues durées, la moyenne avoisinant un an, dans un parcours qui leur permet de retrouver une place en toute dignité dans la société.
Avec ses 80 heures d’ouverture au public par semaine, il faut prendre le temps de découvrir Coco Velten, le temps d’un repas, d’un café suspendu ou d’une pause attentive à la vie des lieux, mais aussi à l’occasion des nombreux événements artistiques et festifs accueillis ou produits dans son enceinte, dont la programmation est à suivre sur les réseaux sociaux. Pour capter la réalité d’une joyeuse expérimentation qui redonne le goût des autres, sans distinction, et inspire espoir dans de nouveaux modèles urbains plus humains.