Culture

Amelia Tavella, les lignes de risque d’une femme architecte

Un couvent fortifié du XVe, ruine classée en plein maquis au cœur de l’Alta Rocca. Une maison paradis des années 50 sur la plage d’Ajaccio, abandonnée à la végétation. Ces deux projets de réhabilitation constituent le manifeste architectural d’Amelia Tavella. Capter l’âme des lieux, réveiller leur mémoire, invoquer leur spiritualité, avec la douceur déterminée d’une femme de l’art dans un geste d’aujourd’hui, faire revivre l’harmonie entre l’humain et la nature sauvage, souveraine. Couvent, paradis, ces projets d’Amelia Tavella cachent sous leur douceur naturelle et réparatrice un art assumé du risque.

Son caractère bien trempé doublé d’une pluie de récompenses précoces ne suffisent pas à expliquer l’audace dont a fait preuve Amelia Tavella en allant chercher Rudy Ricciotti pour un projet à quatre mains en Corse. L’éloge du risque, elle l’a fait sien et partagé avec la regrettée Anne Dufourmantel, psychanalyste et autrice dont elle fut l’intime. “On ne met pas les pieds sur la table” répondra l’architecte du Mucem. Entendre, respect pour la Corse et celle qui le sollicite et s’emploie, avec une passion folle, à porter sur sa terre natale une collection de projets modestes et lumineux. À contre-courant de l’urbanisation exponentielle de l’île et des “grosses baraques” qui squattent le littoral méridional et l’ont conduite quelques années plus tôt à rompre sine die tous ses contrats avec des promoteurs immobiliers.

Elle avoue être plus attirée par les bâtiments secrets, interdits, confidentiels. On peut y voir tout à la fois son tempérament volontiers farouche, qui la tient plus proche du maquis de son enfance que de sa corporation ou de la ville d’Aix où elle vit et qu’elle ne goûte guère. Sa sensibilité aussi à la dimension spirituelle des lieux, et surtout, une conscience aigüe de sa responsabilité d’architecte : “Construire sur l’existant, réhabiliter est peut-être la seule chose qui nous sauvera.” Une architecture dont la part féminine qu’assume Amelia, protectrice ou réparatrice, renvoie à la notion de care et réussit le tour de force d’inscrire dans des gestes contemporains harmonie et douceur de vivre. Loin de la tranquillité qu’évoquent ces termes, Amelia Tavella s’investit avec l’intensité et l’intransigeance d’une artiste, expérimentant sans cesse de nouveaux matériaux au fil de ses projets, veillant sur ses bâtiments comme sur ses deux filles qu’elle ne lâche pas d’une semelle. Architecte parmi les hommes, elle poursuit l’engagement d’une vie, consciente d’apporter sa part à la promotion de la femme. Un autre défi permanent au doux parfum de risque.

Son île, Amelia Tavella l’a tellement parcourue, en cavalière émérite et libre, qu’elle en garde une part de l’âme rebelle doublée d’un amour fou pour ses paysages. Le couvent Saint François à Sainte-Lucie de Tallano, destiné à devenir maison du territoire et tiers-lieu artistique, trouve l’équilibre entre déclaration d’amour et geste architectural ultra-contemporain.

La modernité selon Amelia Tavella ne détruit pas, elle embrasse le passé. Témoin, l’étreinte d’une évidente beauté entre le corps en granit de l’ancien couvent en ruine, figé dans son effondrement et restauré de fond en comble, et le nouveau bâtiment venu l’épouser, cathédrale miniature de cuivre et de lumière. Le temps fera son ouvrage sur la flamboyante douceur du métal, parachevant l’harmonie retrouvée de l’humain, du naturel et du spirituel.

Du temps où elle accueillait les grands soirs d’Ajaccio, il ne restait rien, la végétation qui l’avait envahie étant, comme pour le couvent, devenue structurelle. Cette maison oubliée au début de la route des Sanguinaires est alors rachetée par une amie d’enfance d’Amelia qui la sollicite pour la réhabiliter. Plus qu’un chantier de restauration, l’architecte signe ici l’invention d’un petit paradis. “Bien au-delà de toutes mes attentes” dit aujourd’hui la propriétaire.

En gardant perpétuellement en tête le rapport à la mer, l’architecte fait le vide à l’intérieur qu’elle ravive d’un blanc virginal, repense les volumes, les liant intimement au panorama grandiose au travers de baies pivotantes de 3 m en châtaigner, garde-corps tendus de cordes et volets sculptés à la façon de persiennes méditerranéennes. Fidèle à l’engagement d’Amelia, la Casa Santa Teresa se fond dans son cadre naturel, comme un éden originel de lumière intérieure et de douceur de vie à partager.