Beauté

​​Avec Pulpe de Vie, les vilains fruits font les jolies peaux. 

Il y a 13 ans, Julie Ducret imaginait Pulpe de Vie, une gamme de produits cosmétiques qui puise dans les principes actifs de fruits provenant d’invendus alimentaires. Une idée qui érige la marque en pionnière de l’upcycling et en modèle d’intelligence environnementale. Au lendemain d’une levée de fonds qui va accélérer son développement, nous avons voulu éplucher le dossier.

Aujourd’hui, l’utilisation de déchets ou l’upcycling de matériau est une démarche bien connue. Comment avez-vous eu l’idée, il y a 13 ans, de réutiliser les fruits issus des invendus alimentaires et surtout dans le champ de la cosmétique ?

J’ai créé mon entreprise dans la cosmétique en 2010, parce que c’est le monde d’où je viens, j’ai longtemps travaillé sur Diadermine notamment. J’ai aussi vécu 10 ans en Afrique, où on a une vraie sensibilisation de fait parce que les gens n’ont pas un niveau de revenu important, et connaissent la raréfaction des ressources. Ce qui les pousse à faire attention à l’eau, à utiliser les productions à leur portée. Et comme je me suis pas mal baladé dans ma jeunesse, je me disais qu’il y a une vraie hérésie à s’approvisionner au fin fond de l’Amazonie quand on a la chance d’avoir des richesses à côté de nous. 

C’était le début des questions sur l’empreinte carbone, on commençait à se rendre compte que c’était aberrant, mais bon c’est quand même arrivé assez tard tout ça, et moi j’étais déjà sensibilisée à tous ces sujets. Donc je me suis dit je vais créer une marque française et je vais m’approvisionner localement. Puis le côté marketing a parlé, je venais d’arriver dans le Sud, et je me suis demandé ce qu’il y avait de local et que je pouvais utiliser dans la région. Il faut savoir que la Provence est la première région fruitière de France, et notamment bio. C’était une évidence, je me suis dis voilà la ressource. Les plantes et les végétaux, beaucoup de marques les utilisent dans la cosmétique, moi, je me suis démarquée en travaillant du fruit, et surtout du fruit français. 

Alors c’était une bonne idée, et c’était en avance, maintenant, c’est très à la mode, c’est sûr. Mais je me suis dit que cela ne suffisait pas. Je ne pouvais pas aller puiser dans les stocks alimentaires, faire une crème à la framboise et aller piquer les petites framboises sur les marchés. C’est un troisième aspect apparu quand j’ai travaillé mon business plan : il fallait que je trouve des fruits qui n’étaient pas destinés à être mangés. C’est comme cela que j’ai pensé à ceux non proposés à la vente ou non vendus car ils ne correspondent pas aux critères esthétiques des magasins car abîmés ou pas calibrés. C’était déjà un début de sensibilisation écologique que j’ai voulu appliquer. 

Comment Pulpe de Vie, qui est un exemple d’éthique, peut inspirer et accélérer le changement selon vous ?

Au début, je n’ai rien vu du tout. Ou plutôt, j’ai vu qu’effectivement, on me regardait avec des billes, en disant qu’est-ce que c’est que cette hurluberlu. Maintenant, et comme tout le monde depuis le Covid je pense, je trouve que les choses se sont beaucoup accélérées et c’est désormais plus évident à constater. Je vois à la fois qu’on est vraiment au cœur des tendances, avec une attente des consommateurs. Par exemple sur Google, si vous tapez « cosmétique bio français » ou encore « cosmétique anti-gaspillage », on est la première marque qui sort et on a beaucoup de ventes. Donc les gens ont quand même saisi cette dimension de l’anti-gaspillage que l’on met en avant.

Après, c’est un effet boule de neige. Comme c’est devenu à la mode – et j’espère que ce n’est pas qu’une mode, mais qu’elle est ancrée -, j’ai eu le temps de faire grandir la boîte. Maintenant, on fait quasiment trois millions d’euros de chiffre d’affaires. Quand j’ai démarré, je faisais zéro. Donc j’ai plus de puissance. Avec la communication sur notre levée de fonds, on parle beaucoup de nous en fait, moins que mes concurrents, qui sont L’Oréal et autres, mais on commence quand même à avoir notre place.

Au-delà de la pertinence de l’idée et de sa dimension innovante, était-ce une évidence pour vous d’imaginer une entreprise tournée vers l’environnement et accessible à la plupart des consommateurs ?

Oui, c’est une super question, c’est exactement ce que j’ai voulu faire mais je me suis plantée donc il y a eu un deuxième round. Dans mes expériences précédentes, je travaillais avec la grande distribution et je me suis dit je vais partir dans du sélectif. Donc je suis partie chez Nature et Découvertes, chez Parashop, à la Biocoop. Je voulais être une cosmétique bio accessible en prix, mais sur ces circuits qui sont globalement des circuits assez chers. J’ai positionné tous mes produits aux alentours de 20 € pour un soin visage, qui, à l’époque du bio, quand je me suis développée, était un super prix. Entre temps, la vague du bio est arrivée, les prix ont vraiment baissé, le bio s’est démocratisé. Et c’était vraiment ça ma philosophie d’origine, ce à quoi j’aspirais. Mais du coup, je m’étais plantée sur le prix à l’origine : trop cher et pas sur le bon circuit pour le démocratiser. En 2018, je suis rentrée en grande distribution et là, ça a effectivement tout changé. J’ai changé mes prix, j’ai changé mon offre et je suis arrivée dans un circuit qui est un vrai circuit d’accessibilité. 

Vous avez créé Pulpe de Vie il y a 13 ans. Trouvez-vous que, depuis, les choses évoluent dans le bon sens ? Quels progrès constatez-vous ? Quels écueils voyez-vous encore ?

Je pense qu’il va falloir qu’on soit beaucoup plus dans du collaboratif, parce que ça n’a pas de sens. Les petites marques doivent se serrer les coudes. Après, il y a  des efforts chez les plus grosses marques, Nivea par exemple a lancé une gamme où ils récupèrent ce qu’ils appellent les co-déchets, vous savez les déchets de l’industrie alimentaire. Personne ne m’a encore copiée sur l’anti-gaspillage du fruit français précisément mais il y a une vraie tendance de fond sur l’anti-gaspillage. Les gens récupèrent les co-produits, le marc de café, des choses comme ça, et commencent à faire très attention. Les empreintes carbone sont calculées régulièrement, on fait revenir les productions en France, ça bouge quand même. Enfin !

Pulpe de Vie est née à Marseille, et votre réseau de partenaires, comme les agriculteurs, se localise dans la région Sud. Le territoire vous inspire-t-il ? Quelle a été sa place dans votre démarche après avoir quitté Paris ?

Je vivais à Paris et je suis descendue parce que Marseille a été un coup de cœur. Une ville qui me rappelait mon enfance peut-être, avec un mélange culturel, plein de mondes différents, avec la mer, le soleil. Je suis venue ici avant de créer la boîte. En fait c’est dans l’autre sens, j’ai créé la boîte ici parce que j’aimais la région. Et depuis, la région m’aide beaucoup. Là par exemple, dans notre levée de fonds, la Région a mis 300 000 euros, sur la première levée de fond, elle avait mis 200 000 euros. Donc, je fais partie des boîtes identifiées comme ayant une empreinte territoriale positive, on fait partie de l’écosystème marseillais économiquement et éthiquement. Parce qu’en effet, on recrute pas mal. Quand je suis arrivée, on était deux, maintenant, on est bientôt 15. Donc, on nous soutient pour continuer dans ce sens. 

Vous avez mené une importante levée de fonds dernièrement. Quels sont les principaux objectifs de cette nouvelle capacité financière ? Quels sont les leviers de développement que vous privilégiez dans l’entreprise ?

Alors derrière, il y a le recrutement de 13 personnes sur un business plan à 4 ans. 13 personnes, notamment une grosse partie de commerciaux, parce qu’en fait, je n’avais pas de commerciaux dans cette boîte. Ça, c’est le premier volet RH, dans lequel, et ça fait le lien, il y a une personne RSE en plus. On est aussi en train d’écrire notre nouvelle feuille de route de la transition écologique. Il y a un gros programme de la Convention des entreprises pour le climat (créée en 2020 pour que les entreprises basculent d’une économie extractive vers une économie régénérative au niveau de l’environnement avant 2030, ndlr) qui s’est monté, et on fait partie dans le sud du collège d’entreprises. C’est un très gros parcours sur un an où, à la fois, on est formé par les plus chouettes scientifiques, mais où on est censé aussi changer nos façons de faire. C’est se dire que polluer moins ne suffit plus, mais que l’on devient carrément régénératif. Donc, on va essayer de faire revenir la biodiversité, d’avoir un impact sur le vivant, sur les humains comme sur les végétaux. Je ne sais pas ce que ça donnera mais en tout cas, on y croit beaucoup et ça fait partie de la levée de fonds aussi parce que la transition écologique, ça coûte cher. On a plein de projets comme acheter des champs, et pour ça, il faut de l’argent. 

Donc ça c’est vraiment notre dada et viscéralement, je pense, notre responsabilité d’entreprise. Enfin, on voudrait continuer la digitalisation du modèle. On est une boîte quand même assez digitale, on le voit très bien sur notre e-shop, et on veut aller taquiner l’export mais sans trahir nos valeurs. On doit trouver des solutions de transport low carbone. La levée tourne donc autour de ces trois points : RH, écologie et digitalisation du modèle. On veut prouver que Pulpe de Vie n’est pas une énième marque de cosmétique. L’idée de la marque, c’est de créer un écosystème. On veut participer sur notre territoire à changer les choses. On se distingue parce que l’on a aussi un système de services derrière nos produits, on cherche à éduquer à la protection de l’environnement et pour le faire, ça coûte énormément d’argent. 

Quel regard avez-vous sur les jeunes marques actuelles, souvent nées au lendemain de la pandémie, et engagées pour l’environnement ? Avez-vous eu l’occasion de soutenir ou conseiller des marques attachées aux mêmes valeurs environnementales que vous ? Comme une sorte de mentorat pour un entreprenariat vert ?

Je fais beaucoup de prosélytisme. J’en parle énormément avec mes copains chefs  d’entreprise. J’essaye de leur faire changer des choses, d’arrêter les produits chinois par exemple. À mon niveau et au niveau de mon équipe, on en discute beaucoup parce qu’on essaie de convaincre. Je suis aussi pas mal appelée sur des parcours en tant que coach ou que marraine. C’est souvent avec les jeunes générations, qui sont quand même plus sensibilisées que nous, les 40 ans et plus. On sent que c’est un discours qu’ils ont en tête.

Moi, je crois profondément que les gens qui montent leur boîte maintenant ne peuvent plus ne pas prendre ça en compte parce que tout va changer. Les systèmes bancaires, les systèmes de crédit, on aura des crédits plus ou moins bons en fonction de notre côté vert ou pas. 

Le Covid a changé les choses à 100%. Bon, je ne vous cache pas que là le stress du pouvoir d’achat met un sérieux coup de réel. La grande distribution a un peu lâché la rampe, et elle cherche vraiment des produits low cost, donc, on vient de faire un pas en arrière mais ça n’enlève rien au fond qui a évolué, je pense. Selon moi, on va arriver à un système politique qui va finir par prendre des décisions et ça va rentrer dans la loi. Je ne sais pas pourquoi ça arrive aussi doucement, peut-être parce qu’il y a trop de choses à gérer, mais je pense en fait qu’on y arrivera seulement si on l’impose. Parce que si ce n’est pas obligatoire, les marques ne le feront pas.

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