Société

Olfascan ou comment démasquer le virus qu’on ne pouvait pas sentir

Conçu par le Professeur Golebiowski à l’Institut de Chimie de Nice, réalisé par Carestia, société experte en solutions parfumées à Grasse et soutenu par un programme de l’Edhec qui vise à sa commercialisation dans les pays émergents, Olfascan pourrait bien, en quelques grammes de papier, être le test le plus efficace pour une détection précoce de la Covid-19. Un parfum d’espoir né d’une collaboration exemplaire entre science, industrie et marketing sur la Côte d’Azur.

Le Professeur Jérôme Golebiowski a voué sa vie à la recherche sur l’olfaction. Trop souvent sous-estimé, sauf par des scientifiques de pointe comme lui ou une poignée d’artistes parfumeurs virtuoses, l’odorat est généralement considéré comme un sens non essentiel. Ce qui ne manquera pas de consterner Richard Axel et Linda Buck, chercheurs américains nobélisés en 2004 pour leurs travaux publiés dès 1991 sur les récepteurs olfactifs, jusqu’alors relativement inconnus. Pourtant, on estime à quelque mille milliards le nombre d’odeurs différentes auxquelles une personne peut être confrontée (pour le meilleur et pour le pire) et l’odorat constitue, pour citer le professeur Golebiowski, une stratégie efficace du cerveau pour appréhender son environnement. Et l’on se souvient, pour avoir lu l’étonnante histoire de Jean-Baptiste Grenouille, l’impact que peut avoir l’odeur sur la psychologie et le comportement des hommes. On sait plus sûrement aujourd’hui que nous disposons de 400 récepteurs olfactifs dont une grande part se trouve dans le nez mais pas seulement. Le foie en possède, ainsi – qui l’eut cru ? – que les spermatozoïdes qui, sans eux, seraient bien en peine de trouver leur chemin. On mesure ici toute l’importance de ce sens sur l’avenir de l’humanité.

La pandémie de Covid-19 nous donne un nouvel éclairage sur l’importance de l’olfaction. Les chercheurs ont ainsi constaté, depuis l’apparition du virus, une disparition temporaire du goût (agueusie) et de l’odorat (anosmie) chez 82% des personnes infectées. Or, le phénomène d’anosmie s’avère extrêmement rare en temps normal et constitue de ce fait un symptôme précoce de la maladie bien plus spécifique que la fièvre ou les céphalées. Décrypter rapidement les cas d’anosmie permet d’identifier suffisamment tôt la maladie – en moyenne 2 jours après l’apparition des premiers symptômes et surtout 10 jours avant le stade nécessitant une assistance respiratoire – ce qui permet de prévenir les pics de pandémie en évitant la surcharge des hôpitaux, et de mettre en place les mesures appropriées tout en évaluant de façon plus juste leur efficacité.

Restait pour le professeur Golebiowski à trouver un procédé efficace pour tester massivement les anosmiques. Or, s’il s’est installé à Sophia-Antipolis, ce n’est pas uniquement pour son environnement stimulant de forêt méditerranéenne mais également pour sa proximité avec Grasse, la capitale mondiale des parfums. Une ville qui possède un riche patrimoine et des entreprises au savoir-faire unique en la matière. Parmi elle, la maison que créa en 1883 la famille Carestia et qui a traversé le temps pour devenir aujourd’hui leader mondial des solutions parfumées. Son coup de génie ? Le développement dans les années 80 d’un produit innovant qui allait révolutionner l’industrie du parfum : la carte à sentir parfumée. Des pages de Marie Claire aux cartes de vœux en passant par les testeurs qui équipent les parfumeries, l’innovation allait faire les beaux jours de l’industrie du luxe en assurant à l’entreprise que dirige aujourd’hui Marie-Hélène Marcelli un avenir qui sent bon. Mais pouvait-elle se douter qu’elle participerait un jour à un projet du CNRS, lié à une terrible crise sanitaire ? Connaissant la réputation et le savoir-faire de Carestia dans les technologies d’imprégnation sur supports, Jérôme Golebiowski trouva en Marie-Hélène Marcelli une interlocutrice réactive et concernée, rompue aux commandes les plus exigeantes ainsi qu’aux défis techniques. Elaboré dans les laboratoires de l’Institut de Chimie de Nice et produit dans les 4 000 m2 de technique intégrée que Carestia occupe à Mouans-Sartoux, le test se présente sous la forme de bandelettes de papier imprégnées de différentes odeurs constituant un kit olfactif exhaustif. Les différentes compositions parfumées réunies dans ce kit ont été choisies pour leurs propriétés chimiques et odorantes, réalisées à partir de composés non-allergènes et non irritants, parfaitement identifiables par le plus grand nombre et durablement fixées par Carestia sur le papier.

Les avantages de ce test anti-Covid ne manquent pas. Il s’avère moins douloureux et plus rapide qu’un prélèvement sanguin, moins désagréable aussi qu’un test PCR (le peu sympathique prélèvement par tampon nasal), même si celui-ci reste de rigueur dans le cas d’affections aigües ou pour les 18% de personnes infectées non anosmiques. Il est peu coûteux et très facile d’utilisation, ce qui lui permet d’être adopté par le personnel médical mais aussi les agents de sécurité et les commerçants. Le kit, enfin, est à usage unique, ce qui élimine tout risque de contagion et n’engendre aucun problème environnemental puisqu’il est 100% recyclable. Quant à son fonctionnement, il est on ne peut plus simple. Prenez une bandelette et humez-la : si vous identifiez l’odeur, son intensité, et savez la reconnaître – rassurez-vous, nul besoin d’être Jean-Claude Ellena (ndlr : le nez historique d’Hermès) –, vous n’êtes probablement pas atteint.e par la Covid-19. Dans le cas contraire, il est préférable de vous faire dépister.

Il faut dire encore de ce test qu’il est le fruit d’une collaboration avec le Centre Mémoire de Ressources et de Recherche du Dr Renaud David à l’Institut Claude Pompidou, qui s’intéresse à son potentiel de diagnostic et de suivi médical de personnes atteintes de maladies neurodégénératives, la perte de l’odorat étant là encore un symptôme patent de ces maladies. Le test pourrait remplacer certains dispositifs ORL actuels plus lourds et coûteux, et ouvre des perspectives à l’accompagnement de malades, notamment atteints d’Alzheimer, pour réveiller la mémoire olfactive défaillante. Au CHU de Nice, c’est le Professeur Laurent Castillo à la tête du service ORL, qui suit également de près la mise en œuvre du test Olfascan, comme alternative efficace et peu coûteuse de diagnostic et suivi des troubles olfactifs. Enfin, conscient de l’intérêt du test pour le dépistage dans les pays à faibles niveaux de ressources, Loïc Menvielle, chercheur associé au Groupe de Recherche en Management, labo membre de l’Université de Nice, et professeur de marketing à l’Edhec Business School à Nice, travaille à son développement aux côtés du Professeur Golebiowski et de Marie-Hélène Marcelli. Une collaboration exemplaire made in Côte d’Azur où la science, la technique, le marketing et un léger parfum de poésie pourraient faire reculer la pandémie. Respirons l’optimisme à plein nez.