Société

SOS Méditerranée, la croisière ne s’amuse plus.

Cette semaine, fuyant une actualité par trop anxiogène où, malgré la timide lueur d’espoir sortie des urnes brésiliennes, dominent des ombres grandissantes, plus ou moins postfascistes, bravant de même la météo désormais capricieuse, où novembre a cessé de se prendre pour juillet et nous gratifie d’épisodes diluviens à tendance cévenole, partons prendre le large quelque part en Méditerranée.

Une croisière, donc, au sens originel du terme – popularisé en son temps par un certain Thomas Cook ou la P&O, lointaine ancêtre de la MSC, compagnies plus versées dans l’acronyme que dans le zèle pour l’environnement – qui nous conduit à croiser quelques réalités dont notre monde, pourtant avide de découvertes, semble étonnamment se détourner. Fruit sans doute d’un nouveau marketing touristique particulièrement pervers, sa conception intègre une série de trouvailles qui en font, à en juger par son succès, un filon en apparence inépuisable.

Particularités de ce concept ? D’abord, on voyage non pas sur un mais sur deux embarcations. On partagera la première, le plus souvent pneumatique et parfaitement exposée aux cieux étoilés comme aux coup de grain assassins, avec une foule surnuméraire qui défie Archimède et partage la surprenante particularité de ne pas savoir nager. À noter que le changement d’embarcation s’effectue en pleine mer, au gré de navettes qui, à défaut d’être tellement plus confortables, préfigurent néanmoins le salut potentiel. Parfois, le changement d’embarcation ne s’effectue pas du tout car Archimède a perdu.

Sur le pont du second navire, le fier Ocean Viking dont le pavillon n’a rien de complaisant croyez-le bien, les codes là aussi sont disruptés, pour reprendre une expression chère à notre Président qui, pourtant, n’a jamais pris ce bateau et semble même en ignorer totalement l’existence. En guise de couchettes, de grands dortoirs où la promiscuité stimule la camaraderie. En lieu et place de carte signée d’un chef étoilé, le restaurant sert de belles plâtrées de riz blanc dont on ne dira jamais assez tous les bienfaits pour un organisme fraîchement repêché en haute mer.

Le dress-code lui-même, loin de l’étiquette des grands transatlantiques de légende, traduit malgré tout un certain relâchement, notamment dans les fibres textiles mises à rude épreuve par les paquets de mer qui transforment tout vêtement en pièce vintage plus efficacement que les procédés en trompe-l’œil de la fast fashion. Que dire des activités ? Ateliers langue, pour apprendre les rudiments de survie en milieu étranger. Soirée psycho, pour relâcher la tension du voyage et plus encore celles, le plus souvent indicibles et sans aucun doute impossibles à retranscrire ici, qui ont conduit à prendre son billet pour cette traversée désespérée.

 

 

Et puisqu’on parle de billet, disons-le tout de go : le navire a beau arborer une flamboyante couleur orange sanguine, ce n’est pas une compagnie low cost. Si vous vous plaignez du coût de la vie, sachez que c’est ce que peuvent payer les candidat·es au voyage. Un prix facturé, non par l’équipage de l’Ocean Viking évidemment, au contraire héroïque  et tout entier dévoué à économiser des vies au sein de l’admirable ONG SOS Méditerranée, mais par un nouvel éco-système touristique baroque constitué pêle-mêle d’agents de voyage freelances, que l’on nommera passeurs pour simplifier, de garde-côtes cyniques et corrompus, et d’autorités euro-méditerranéennes, qu’elles soient portuaires ou gouvernementales, désireuses de retourner à l’envoyeur – c’est-à-dire, la guerre, la dictature, la famine, l’esclavagisme sous toutes ses formes – des êtres humains qui ont eu la malencontreuse idée de naître du mauvais côté de la mer.

Marseille, 3 novembre 2022 – Malgré de multiples demandes d’assignation d’un port sûr envoyées aux centres de coordination de sauvetage de Malte et d’Italie, l’Ocean Viking reste confronté à une impasse. Conformément au droit de la mer, SOS MEDITERRANEE demande aux autorités maritimes de la France, de l’Espagne et de la Grèce, qui sont les plus à même d’apporter leur assistance, de faciliter la désignation d’un port sûr pour le débarquement des 234 rescapés bloqués à bord de l’Ocean Viking. Une solution doit être trouvée sans délai.

Depuis 2014, plus de 25 000 hommes, femmes et enfants sont morts en Méditerranée en tentant la traversée sur des embarcations de fortune. SOS MEDITERRANEE est une association humanitaire européenne de sauvetage en mer constituée de citoyens mobilisés pour la recherche et le sauvetage des personnes en détresse en mer. Depuis le début de ses opérations en février 2016, SOS MEDITERRANEE a secouru plus de 37 000 personnes avec l’Aquarius puis l’Ocean Viking. Le quart d’entre elles étaient mineures. L’association est basée en France, en Allemagne, en Italie et en Suisse. Elle a reçu le Prix Unesco Houphouët-Boigny 2017 pour la Recherche de la Paix. Le 19 octobre 2022, elle a remporté le prestigieux prix de la Fédération Internationale du Sauvetage en Mer (International Maritime Rescue Federation, IMFR) pour la « contribution exceptionnelle d’une équipe aux opérations de recherche et de sauvetage en mer ».

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