Société

Réveillons, les repus de famille

Ces fêtes, que l’on déteste adorer ou que l’on adore détester. L’expérience ultime du réveillon familial. Chronique d’un délicieux désastre annoncé que l’on ne manquerait sous aucun prétexte.

La (s)cène est suffisamment surréaliste pour que je la grave à jamais dans ma tête : dans une ambiance rouge électrique bordée de houx se tient ma famille au grand complet. Jamais nous ne nous étions réunis, mais comme Marie, notre mère, vient de nous quitter – elle est partie vivre en Floride – nous avons cru bon de passer ce Noël ensemble. Enfin, J’ai eu l’idée. Mue par la nostalgie et un enivrement coupable, j’ai adressé cet e-mail nocturne et groupé à ma diaspora : Tous chez moi pour Noël ! Pourquoi n’ai-je pas été frappée sur le champ par une attaque informatique fatale ? Pourquoi ai-je copié mon oncle Chrysostome qui, depuis, me gratifie de PowerPoint alternant photos de félins et blagues glauques ? Avez-vous déjà vu un petit chat poser à coté d’attributs masculins enrubannés ? Moi si.

Chaque année, les fêtes nous rejouent la même histoire. 

Dès les premières notes de la suppliciante All I Want for Christmas is You, les lumières du centre commercial tournoient et nous voilà instantanément changées en Mariah Carey. Je vais faire des excès, Je vais vider mon compte en banque, Je veux une rivière de diamants sous le sapin car Je le vaux bien. Divas avides, nous sommes alors au pic de l’égoïsme. S’il vous fallait une preuve, vous connaissez l’anagramme de dorure ? C’est ordure.

Me (re)voilà donc malencontreusement assise à une table réunissant un nombre de convives censé porter malheur. Parmi ces 13 regards, affamés par le désir de m’informer que je ne serais même pas retenue pour la vaisselle à Masterchef, mon cousin Matthieu, accompagné de sa copine du moment, dont j’ai déjà oublié le prénom. Nous avons décidé à l’unisson familial de ne plus nous attacher aux conquêtes bimensuelles de Matt, on leur sert juste à boire, par charité. Tante Marie-Madeleine, la doyenne, ronchonne et prophétise son dernier Noël. La vérité, c’est qu’elle nous enterrera tous, sa soif inextinguible de critiquer étant manifestement le secret de la vie éternelle. Je sers du vin à toute l’assemblée et hasarde un Ceci est mon sang…

Ma sœur, qui visiblement a déniché ma réserve de Chardonnay, ne trouve rien de mieux que de laver mon linceul en famille. Au fait ma chérie, as-tu eu le résultat de ton dernier test de gross… ? », je lui enfourne un reste de dinde dans la bouche, …et ceci est mon corps !

De surprise, mon père s’étouffe avec un marron. Simon, son neveu, voulant se racheter du dernier réveillon où il avait jeté une allumette sur le sapin dans un acte écologique désespéré, tente de lui appliquer la méthode de Heimlich, celle qui vous fait prendre quelqu’un par derrière pour lui déboucher les voies orales. Je sais à quoi vous pensez, ce n’est pas l’esprit de Noël. Néanmoins, la méthode fonctionne et catapulte le marron tout droit dans l’œil de Sara, ma cousine, vieille fille célibataire, qui hurle à « l’amore ». J’avais prié pour que ce Noël, où tout le monde semblait se detester, s’achève vite. Mais quand survient ce drame au goût de castagne, je comprends que, malgré nos différences, nous sommes tous reliés pour la vie.

Bonjour, je suis le Docteur J. Udas. Un Georges Clooney d’âge biblique fait son entrée dans la pièce et c’est le coup de foudre entre Sara et lui. Un miracle de Noël ! Ma sœur extirpe de son sac les Chardonnays Réserve Spéciale et déclare Que la fête recommence !

La vie reprend alors son cours au fil du temps, ma cousine finit par quitter J. Udas qui l’a trahie avec une prof de (ponce) pilate, Matthieu rencontre l’amour de sa vie, Pierre, et devient enfin fidèle, la connexion Internet de l’oncle Chrysostome est désormais hors service, quelqu’un aurait sectionné le câble électrique, je ne sais pas quelle est cette personne mais, pour info, elle n’est pas enceinte.

Je vous souhaite d’être heureux pour ces fêtes de fin d’année, que vous ayez une très grande ou une toute petite famille. Et si vous êtes seuls, regardez sous votre sapin, j’ai un cadeau pour vous, c’est un petit chat avec un nœud juste à côté.

Initialement publié dans Marie Claire Méditerranée