De la brique toulousaine aux pièces de design contemporain, Virebent a traversé les siècles. Sauvée de la disparition, la manufacture du Lot incarne aujourd’hui un patrimoine vivant, rayonnant jusqu’à l’Exposition universelle d’Osaka avec son photophore 14 juillet.
Yumeshima, “île de rêve” en japonais, Exposition universelle d’Osaka 2025. Le pavillon français brille de mille feux. Le plus modeste, mais non le moins remarquable, est sans doute la flamme qui danse dans le photophore 14 juillet, conçu par la manufacture Virebent à Puy-Lévesque dans le Lot. Comment cette pièce de céramique d’Occitanie tient-elle si fièrement son rang au pays du soleil levant et des plus grandes traditions artisanales ?
Toulouse, 1er juin 1782. Jacques-Pascal Virebent est nommé architecte de la Ville. Il le restera si longtemps qu’il façonnera, seul puis avec ses fils François et Auguste, le tracé des rues, l’apparence des bâtiments, la physionomie même de la ville qui lui doit sa célèbre couleur rose. À la démission de leur père, désavoué par les édiles toulousains, la fratrie s’associe pour redorer le blason des Virebent et fonde une briqueterie où ils multiplient les innovations. Comme le brevet de profilage industriel des briques ou le procédé de double pâte qui permet de recouvrir la terre rouge locale d’une couche de terre blanche qui imite la pierre. Un tournant pour la manufacture qui, dès lors, se spécialise en décors de façades, pilastres, cariatides, bas-reliefs, qui substituent à la sculpture classique – réservée à l’aristocratie – la céramique meilleur marché et bien plus facile à reproduire. Avec le Concordat, les commandes de l’État affluent pour la réfection des édifices religieux et la manufacture prospère, vendant ses réalisations dans le monde entier. Quand, le 9 décembre 1905, la séparation des Églises et de l’État vient sonner le glas de la prospérité. La maestria et le talent de Gaston Virebent, fils d’Auguste, pourtant à la source du succès de la manufacture, n’y peuvent rien.
Dans l’atelier de Charles L’hospied à Vallauris, Henri Virebent, le fils de Gaston, apprend la technique des émaux. Pour parfaire sa connaissance de la porcelaine, il s’installe à Milan puis prend la direction d’une usine de céramique à Barcelone. De retour en France, il fonde sa propre usine à Toulouse. Plus pragmatique que son père, il se spécialise dans la production de pièces utilitaires, bouchons de bouteille, équipements électriques basse et haute tension ainsi que tous objets techniques en porcelaine. Choix pertinent. L’entreprise se développe au point de créer une nouvelle usine dans le village médiéval de Puy-Lévesque, à peu de distance d’une mine de kaolin et du chemin de fer qui lui permet, en l’absence de ressource disponible dans son sol, de recevoir les 3 terres qui constituent toute la palette de la céramique, grès, faïence et porcelaine, ainsi que le charbon qui alimente ses fours, et de diffuser aisément sa production. Au mitan du XXe siècle, l’usine, dirigée par Jacques Paré, professionnel reconnu de la porcelaine, tourne à plein régime et compte une centaine de salarié·es. À la mort d’Henri Virebent, Paré prend la relève, épaulé par son fils Philippe. Pressentant le déclin de la porcelaine technique – concurrencée par la bakélite et bientôt les matières plastiques –, l’entreprise pivote et s’oriente vers la céramique d’art. Philippe se rapproche alors des artistes de La Borne, épicentre de la création en France. Les collaborations avec Pierre Lèbe, René Bertoux ou Yves Mohy, particulièrement fécondes, donnent à Virebent un nouvel éclat qui conduit la manufacture à son apogée. Dans les années 1970, elle est devenue incontournable et son prestige perdure jusqu’à l’orée des années 2000. Dans l’intervalle, l’entreprise a été mise en gérance. Gestion défaillante. L’usine fait faillite.

Retour dans les années 1990. Vincent Collin, designer, et Frédérique Caillet, éditrice, ont lancé Édition Limitée, leur galerie créative qui édite des pièces d’Olivier Gagnère ou Ettore Sottsass. Leur chemin croise naturellement celui de Virebent à qui ils confient la réalisation de pièces emblématiques, telles que le fameux vase Marly d’Olivier Gagnère. Ils sont alors témoins des difficultés de l’entreprise, mais refusent sa disparition quand la liquidation est prononcée et se portent spontanément à son secours, presque sur un coup de tête. Avec l’aide des collectivités locales, le couple s’attelle à la tâche, herculéenne, de faire revivre la manufacture. Tel un château qu’ils entreprennent de restaurer, pièce après pièce, Vincent et Frédérique réinsufflent une énergie vitale à Virebent, entourés d’une petite équipe solidaire et de clients qui n’ont pas tourné le dos, comme les designers de Tsé & Tsé associées.

Peu à peu, la manufacture retrouve sa mémoire, son savoir-faire, son excellence, investissant dans la formation interne, remplaçant les machines défectueuses par un travail de la main qui renoue avec l’engagement artisanal et l’inspiration artistique qui firent l’âge d’or de Virebent. Trophée d’excellence départemental en 2000, prix national de la dynamique artisanale en 2001, entrée dans les collections du Musée d’Art Décoratif en 2003, prix de l’égalité professionnelle en 2006 et enfin, Entreprise du Patrimoine Vivant en 2007. Plus qu’une renaissance économique, Virebent se découvre un nouveau visage qui potentialise toutes les phases de son histoire exemplaire. Retrouvant le sens de l’innovation – témoins, les pots à bougie en or réalisés pour Diptyque –, les commandes prestigieuses et l’aura d’une grande maison française de création. Après son centenaire, célébré l’an passé, Virebent ouvre son site spectaculaire et son atmosphère magique à l’occasion des journées du Patrimoine.