Déco

Mad et Len. Éloge de l’ombre

À l’ombre de Tanizaki, Mad et Len sculpte un luxe en clair-obscur : matières brutes, gestes d’atelier, formules courtes, refus du factice. Avec The Bell, Bougie Céramique — Terre Noire et Terracotta — la maison ancre le parfum dans la matière, en série confidentielle à la Galerie Vivienne.

À l’aube des années 1930, Jun’ichirō Tanizaki, écrivain qui jouit alors à Tokyo d’un grand prestige, publie un ouvrage qui fera date. Intitulé L’éloge de l’ombre, il témoigne de l’inquiétude de l’auteur pour l’occidentalisation croissante de la société nippone. Quand l’Occident se caractérise à ses yeux par l’éclat et le brillant, l’auteur définit la sensibilité japonaise par la subtilité de l’obscurité, la patine et l’imperfection qui font écho à la philosophie wabi sabi, largement popularisée depuis. À Saint-André-du-Lac, Alpes-de-Haute-Provence, à 800 mètres d’altitude, la même obscurité doit avoir imprégné les paysages du Parc naturel régional du Verdon. Suffisamment pour avoir attiré à eux Sandra Fuzier et Alexandre Piffaut. Artistes du parfum, artisans discrets d’une alchimie unique qui allie le savoir-faire des hommes et l’émerveillement pour la nature, ils sont entrés en résonance avec leur environnement, au point d’y puiser non seulement leur inspiration mais une véritable philosophie qui infuse leur atelier de création nommé Mad et Len. Plus qu’une nostalgie proustienne, c’est un univers mémoriel que cultive le couple de créateurs, un monde tout en clair-obscur et proprement fascinant, comme maintenu en tension entre matière brute et raffinement, force et délicatesse, douceur et âpreté, raison et folie.

Née en 2007, l’aventure de Mad et Len suit la passion de Sandra et d’Alexandre pour le parfum. Attentifs à la part d’ombre où la nature recèle ses plus beaux secrets, ils forgent au fil des saisons une collection d’objets parfumés empreints d’une esthétique qui n’appartient qu’à eux. Bannis le lisse, l’artificiel, le synthétique, les fragrances qu’ils composent offrent une solide matérialité naturelle, que sublime littéralement le talent des parfumeurs, et apparaissent comme autant de récits olfactifs qui explorent des recoins jamais déflorés de forêts étranges et intimes. Le velouté des flacons finement rehaussé d’or, le grain du métal roulé et soudé à la main, l’irrégulière matité de la céramique décuplent la sensorialité des créations de Mad et Len et leur confère la dimension d’objets à sentir autant qu’à ressentir.

Maison indépendante et singulière, Mad et Len a bâti son identité autour d’un atelier qui fabrique en petite équipe et en autonomie financière, sans banque ni investisseur, des objets parfumés pensés pour durer. Matières brutes, formules courtes, refus de la paraffine et des composants nocifs, respect des cycles naturels, production artisanale totale, de la composition des parfums à leur contenant, volumes maîtrisés et politique de prix justes sont leurs traits de caractère. Le métal noirci au feu a longtemps tenu lieu d’idiome, où micro‑irrégularités visibles, rayures et patine se font témoins du travail d’atelier. La recherche inlassable d’une sophistication entre état brut et transcendance poétique a peu à peu dessiné un vocabulaire visuel et sensoriel propre à la maison.

2025 a vu Mad et Len s’emparer d’un autre matériau fondateur : la terre. La collection The Bell, Bougie Céramique, éditée en une série confidentielle et distribuée en exclusivité à la boutique du 27, Galerie Vivienne (Paris 2e), transpose ce langage dans deux esprits complémentaires. Terre Noire loge la senteur emblématique de la maison — inspirée des Robines, ces terres sombres et minérales qui entourent l’atelier — dans un contenant façonné en porcelaine noire teintée dans la masse, produit à Limoges dans la grande tradition, offrant toucher sensuel, densité mate et silhouette épurée. Terracotta introduit une nouvelle fragrance, nourrie de références à l’architecture mauritanienne, qui convoquent la chaleur de l’argile, la poussière sèche, le corps-à-corps avec la terre, au‑dessus du tour. Chaque pièce, à la surface volontairement brute et aux variations assumées, est façonnée et finie à la main dans l’atelier du Verdon. Dans une pénombre magnétique et foisonnante qui n’aurait pas déplu à Jun’ichirō Tanizaki.

© Matteo Carcelli

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