Culture

Anne Consigny, Duras à bras le corps.

C’est l’histoire d’une relation comme il y en a peu entre une comédienne et un texte. Entamée par hasard, elle va prendre, au fil des années et des projets, une dimension fusionnelle où le premier roman de Marguerite Duras gagne une intensité émotionnelle bouleversante et consacre en retour Anne Consigny au rang des plus grandes interprètes.

Anne Consigny le concède d’emblée. Elle n’a à l’origine que peu d’admiration, malgré l’importance de l’œuvre dont elle est pleinement consciente, pour cette « vieille dame pas très gentille », selon ses propres mots. Aujourd’hui, il lui semble au contraire que Duras appartient à sa famille éloignée, pour avoir vécu avec elle et son texte depuis de nombreuses années. Un barrage contre le Pacifique, premier roman de l’écrivaine, récit largement autobiographique et sans concession sur le crépuscule colonial de la France en Indochine. Un texte qu’elle rencontre de manière totalement fortuite. Un jour, elle accepte de rendre service à l’une de ses amies, qui envisage d’adapter le texte, en le tapant pour elle à la machine. Une introduction prosaïque qui, pourtant, l’incite à l’apprendre par cœur et à en donner une lecture en public. C’est la révélation. Dans la salle, Florence Seyvos, compagne d’Arnaud Desplechin, est convaincue et l’encourage vivement à s’en emparer.

Durant 6 ans, le texte n’est jamais très loin d’elle, comme une possibilité, sans pour autant qu’elle s’en saisisse. Si elle tourne pour le cinéma, elle avoue avoir été tentée un temps de faire du Barrage une adaptation comique. Moins étonnant qu’il n’y paraît quand on sait que l’un des rêves secrets d’Anne Consigny est de réaliser un one woman show comique. Malgré sa noirceur, le texte recèle à ses yeux une part d’humour qu’elle est prête à révéler. Elle finit par s’atteler à l’adaptation avec, en tête, la performance de Denis Podalydes, seul en scène interprétant dans un monologue en équilibre le texte de Laurent Mauvignier Ce que j’appelle oubli.

Dans l’exercice solitaire de la mise en scène de son propre spectacle, la comédienne trouve un espace de liberté qu’elle entreprend d’explorer et protège jalousement. Une première représentation à Château-Gontier, épreuve du feu, et c’est le confinement. Anne Consigny décide alors d’en réaliser une version filmée. En travaillant à sa mise en scène, elle s’est constamment filmée pour retravailler chaque aspect de sa prestation. Mais ce film constitue une création à part entière qui vit indépendamment de la pièce. La pièce est finalement présentée dans le cadre du festival off d’Avignon, avant de tourner en France et à Monaco, au Théâtre Princesse Grace.

À quelques jours de la voir sur scène à Monaco, nous avons pu échanger avec Anne Consigny sur son rapport à la pièce et l’importance qu’elle revêt à ses yeux.

Que représente aujourd’hui pour vous le roman de Marguerite Duras ?

Je fais corps avec le texte, littéralement. Je crois que je ne voudrais plus jamais rien jouer d’autre. Mon rêve ultime serait d’être nominée aux Molières et de décrocher la récompense. Ce serait pour moi comme un aboutissement.

Par-delà la force littéraire du roman, que pensez-vous de son contenu ?

Pour moi, c’est probablement l’un des plus beaux textes qui soit sur le consentement. Par nature, je me tiens à distance des débats sur le féminisme, je déteste la véhémence et les polémiques. Mais avec ce texte, j’ai le sentiment de faire passer les choses sans effort.

Seule en scène, comment construisez-vous votre rapport au public ?

Avant le spectacle, chaque fois que c’est possible, j’adore être dans le hall, attendre les gens, prendre le temps de discuter. Au tout début du spectacle, il y a 15 minutes d’introduction où je m’adresse au public, une façon de faire tomber ce fameux 4e mur comme Peter Brooks le faisait.

Avez-vous pensé à Duras cinéaste durant votre travail de mise en scène ?

Je ne connais pas bien le cinéma de Duras que j’ai toujours trouvé un peu ennuyeux. Mais peut-être que je devrais y revenir maintenant. J’ai surtout repensé à Denis Podalydes, prodigieux dans l’adaptation de Ce que j’appelle oubli, cet incroyable monologue où il se tient pendant plus d’une heure presque sur un pied.

Comment vivez-vous avec la pièce ? Est-ce que votre relation continue d’évoluer sur scène ?

C’est une vraie question. Bien sûr, les choses évoluent sensiblement. Chaque soir, j’ai la sensation de nager comme en apnée dans l’obscurité des profondeurs et ce que je perçois à la surface, ce sont des lumières sans cesse différentes.

Un barrage contre le Pacifique, interprétation, adaptation et mise en scène Anne Consigny, mardi 12 novembre, 20h, Théâtre Princesse Grace, Monaco