Un édito qui soliloque mais aspire à l’universel : la pandémie actuelle est autant un électrochoc potentiellement salutaire qu’une crise sanitaire mondiale. Le déconfinement sera-t-il une bombe à retardement environnementale et consumériste ? Ou marquera-t-il le début d’une nouvelle forme d’humanité ? À l’occasion du 50e Jour de la Terre, c’est à vous d’en décider.
Le ciel est bas. Les nuages s’étirent en fines bandes et dessinent l’horizon en dégradé du gris au bleu pâle. L’humeur est maussade. La mienne n’est guère meilleure. Attestation de déplacement dérogatoire, dit la feuille blanche imprimée en quantité. Je la remplis d’une main fébrile. Pliée en 4 et glissée au fond de ma poche. Ausweis dérisoire qui m’accorde une heure de répit, m’affranchissant pour un temps de mon huis clos domestique devenu, depuis le 17 mars 2020, salle de classe et de conférence, espace de co-working et salon télé-culturel multimédia. Un luxe en ces temps de pandémie. Un espace vital qui somme toute n’a jamais semblé si confortable. Un shelter, comme celui qu’invoquaient les Glimmer Twins sur Let it bleed en 1969, une chanson de fin du monde. Patienter à l’abri, être entouré d’amour, se tenir chaud. Tout le monde n’en a pas autant. Dehors, il faut marcher, presque sans but, mais marcher. Un peu engourdi, vaguement hébété. Seul et momentanément désœuvré. Une écharpe sur le visage, que je baisse de temps à autre pour humer l’air du temps. Curieusement léger. Si le virus y plane, on ne le sent pas. Étonnant comme une menace aussi invisible peut avoir des conséquences planétaires tellement spectaculaires. En 2020. Oui, vain. Huis clos toujours mais dans ma tête. À peine titillé par le bruit de fond qui berce ma déambulation et que je perçois enfin. Le chant des oiseaux. Je n’ai pas souvenir de l’avoir entendu ici avant. Ou au moins aussi nettement. Si je connaissais leur langage, comme les siffleurs du Béarn ou de La Gomera aux Canaries, qui perpétuent ce fascinant mode de communication ancestral, j’en aurais le cœur net. Bienvenue à toi l’homme, ravis de te voir de retour parmi nous ? Ou ne t’attarde pas, dégage, on est tellement mieux sans toi. Foulée automatique. Mes pas me dirigent tout droit vers la mer. L’infini à perte de vue. Seule façon de repousser, par-delà l’horizon de cette terre devenue plate, les murs d’un confinement potentiellement insupportable à tout individu d’ordinaire assujetti à l’ultra-mobilité hyperactive, qui sied à ceux qui réussissent. Mais quoi, d’ailleurs ? À accomplir leur vie ? Ou l’un de ces bullshit jobs pointés par l’éminent David Graeber et qui apparaissent désormais à nu, dans la pâle inconstance de leur absurdité, se démultipliant dans la mise en abîme d’une nouvelle routine baptisée “visio, boulot, dodo”. Bonne conscience de nos applaudissements à 20h, fugace tentative de recréer un lien avec son invisible voisin.e et de rendre hommage à celles et ceux qui le font vraiment, le job. Vraies blouses blanches, faux cols blancs. Combien continueront d’applaudir quand Covid-19 sera mis à distance ? Maussade, mais pas désabusé. Les visages que je croise. Certains se détournent, réflexe naturel. Le véritable ennemi, c’est l’autre, non ? D’autres, justement, esquissent l’amorce d’un sourire contrit, par défaut, fragment d’humanité timidement tendu avec espoir de retour sur investissement. Je souris, j’ai plaisir à dire bonjour. Je pense malgré moi à ces films d’anticipation dystopique. Les derniers sur terre. Navrant de constater que le réel a si peu d’imagination. Les quais du port de Nice ressemblent à la Jetée de Chris Marker. Un grand artiste, une œuvre frappante. Devenue plus vraie que nature. Le port est calme. La rubalise fait bonne garde. Les arrêtés flottent dans la brise. Les ferrys ont libéré les quais. Les flâneurs ont presque tous disparu. Comme les voitures qui font de ce bassin et ses abords l’un des lieux les plus pollués de la ville. Une odeur fugace, à cet instant précis, comme un flash olfactif. Une odeur qui ne colle pas au décor. Les algues. Envolés les hydrocarbures, le trottoir à la Pointe de Rauba Capeu redevient sentier des douaniers. Chemin littoral tracé entre aloès et enrochements que l’on arpente au printemps pour humer la renaissance des beaux jours. Renaissance ?
En France, le Haut Conseil pour le Climat atteste d’un recul de 30% des mesures de CO² dans l’atmosphère depuis le début du confinement. Dans le Parc national des calanques, les dauphins osent de nouveau se montrer. Ailleurs, au Pendjab, les habitants abasourdis aperçoivent, pour la première fois depuis 30 ans, les neiges au sommet de l’Himalaya. L’impact du confinement est tangible. Le virus a réussi là où cinquante éditions de The Earth Day et des décennies de combat écologique ont dû avouer leur impuissance. Un virus. Quoi de plus destructeur pourtant. Justice terrible et immanente, il n’est pas, mais le pur produit lui aussi de l’anthropocène. Le Haut Conseil pour le Climat, l’ensemble des scientifiques concernés, les ONG parlent d’une seule voix. Ce miracle environnemental est un épisode nourri des fantasmes, espoirs et velléités qui naissent en mode confiné. Le retour à la réalité est une bombe à retardement. L’attestation de déplacement dérogatoire a d’ailleurs presque épuisé son pouvoir libérateur. La boucle doit être bouclée. À l’approche du Quai Papacino, une rumeur monte. Ce n’est pas l’exhorte habituelle à rester chez soi, diffusée par drone anxiogène, mais une musique qui perce le silence ambiant. D’un immeuble en retrait, une sono saturée balance le tempo trépidant d’une playlist formatée façon “Rester en forme pendant le confinement”. La façade aux terrasses ensoleillées, comme autant de cases d’un improbable jeu télévisé, voit s’activer des silhouettes pratiquant une séance de fitness improvisée, bouteille d’eau remplie ou bébé au bras en guise de contrepoids. Un voisin, invisible comme il se doit, fait office de coach, animateur sportif et chauffeur de copropriété. Hallucinant. Irrésistible. La scène est une tranche d’humanité. Eau et gaz (hilarant) à tous les étages. Il faut presser le pas pour rentrer. Les pensées aussi se bousculent. Les gestes barrière de l’après feront-ils barrière également à nos sentiments de solidarité et de bienveillance retrouvés ? Notre sensibilité à la nature en rémission résistera-t-elle à nos besoins de déplacements tous azimuts et de consommation irrépressible ? Notre soif de culture, sous perfusion wifi, nous conduira-t-elle au plus vite à soutenir nos libraires, nos artistes, nos musées, théâtres et opéras ? Notre quête de sens nous motivera-t-elle plus loin que le prochain Black Friday ? La conscience de la fragilité de la vie. La garder au plus profond. Une peur, non, mais le goût d’un plaisir à savourer à chaque seconde, comme une chance qui ne nous est offerte qu’une fois et dont on ne doit plus jamais accepter qu’elle soit en promo. Une vie qu’emplit le bonheur simple d’être parfois utile aux autres. De s’élever par l’âme et l’esprit. Connaissance et savoir contre l’obscurité confinée. Tiens. Revoilà les oiseaux. Ils ont raison. Notre déconfinement, il faut le mériter. Une piste pour nous. Se souvenir que, pour l’heure, nos enfants ont échappé à la pandémie. Et que demain, le monde que nous leur laisserons ne peut pas s’envisager autrement que meilleur. Pensées pour le Jour de la Terre. Vous partagez ?
Pour cela, voici quelques premières initiatives à suivre :
• Inventons le monde d’après
Une consultation citoyenne massive pour construire ensemble le monde d’après la crise Covid-19. Aujourd’hui, La Croix-Rouge française et le WWF France s’associent à Make.org et le Groupe SOS, en partenariat avec Unis-Cité, La Meute d’Amour et le Mouvement UP, pour lancer une grande initiative citoyenne : « Inventons le monde d’après ».
À lire ici et à suivre là (la plateforme Make.org propose une consultation citoyenne jusqu’ au 25 mai).
• Et si le jour d’après était celui du climat et de la planète, coûte que coûte ?
Un appel à la réflexion et à l’action de l’ONG internationale OXFAM, à retrouver ici.
• Plus jamais ça, appel pour le jour d’après
Un appel lancé par Les Amis de la Terre, à soutenir ici.
• Et pour soutenir la 50e édition du Jour de la Terre
Quelques gestes simples à adopter chez soi dès aujourd’hui et durablement, c’est par là.