Société

Eric Foucher, monologue du frangin

On aurait pu être potes, à l’école ou en colo, lui côté Champagne ou Bretagne, je ne sais plus, moi dans les brumes nancéiennes, ça, je m’en souviens. Mais non, quelques années et quelques kilomètres de plus ou de moins. On aurait pu bosser plus souvent ensemble aussi, depuis notre rencontre en mode boulgour crumble dans ce café de la rue Davso, avec Élodie pour nous présenter et Sophie. Mais finalement, rivés à nos écrans, à nos bilans, il a fallu faire le job, toujours plus vite, toujours moins sûrs. Or voici qu’est arrivé le grand bouleversement, comme le décrit Eric, un bazar historique qui nous amène à reconsidérer nos vies, et lui, à le consigner par écrit, sur une page Facebook devenu soudain réseau digne et touchant juste, dépourvu de véhémence pour s’enrichir en sincérité introspective. Accompagnées de sobres illustrations au trait réhaussées d’une jolie touche en aplat, les chroniques d’Eric Foucher intitulées « 55 jours et 8 heures » sont une petite voix familière qui nous parle au creux de l’oreille, faisant fi de toute distanciation sociale, et finalement nous remettent d’aplomb. Lisez vite, c’est bon.

On vivait un moment historique. Mais aucune majuscule. Tout semblait arriver inexorablement. Les trucs les plus énormes ne nous surprenaient plus. En deux jours, on était passé de mesures de précaution à un état d’urgence sanitaire. Le plus grand krach économique était en marche mais tout le monde semblait déjà résigné et à vrai dire s’en foutait un peu. Un peu comme si, quelque part au fond de nous, on sentait que quelque chose allait arriver, que toutes ses fractures allaient bien un jour créer un grand chaos. Le moment était venu. Il dépassait les politiques, les religions, les états. Comme une correction de la nature sur un monde devenu fou. Un grand reset pour un système qui avait planté. Les gens se remettaient à parler ensemble, s’enquéraient de la santé des proches, de la garde des gamins, de l’avenir des autres. Putain, il avait fallu en arriver là pour qu’on arrête de se mettre sur la gueule ?

Ainsi commence « 55 jours et 8 heures », jour 1. Un peu comme le premier jour du reste de notre vie. Entre les mots, livrés – comment y échapper aujourd’hui – sans artifice, on ressent intimement la stupeur et l’euphorie d’être enfin libéré, pour le meilleur et pour le pire, un sens critique de l’observation distanciée et des élans d’optimisme à aspirer sans masque, bouffées d’oxygène et de calme lucidité. Chaque jour, le monologue d’Éric Foucher sert d’inventaire à un monde qui ne sait pas encore qu’il ne pourra plus jamais être le même. Comme un poulet sans tête tournant ad nauseam sur lui-même en attendant qu’on lui ouvre enfin les portes de la basse-cour. Pour aller où ? En adoptant l’imparfait – jamais temps n’aura été plus approprié pour décrire l’instant – le récit quotidien a d’inquiétants parfums de dystopie, accréditant la thèse selon laquelle la réalité rejoint toujours la fiction, mais aussi les accents réconfortant d’une humanité dont il n’est plus question, arrivé au bord du gouffre, de douter un instant, faute de la voir vraiment disparaître. Instinct de survie, réflexe de création, la chronique de cette weltanschauung confinée nous touche, nous ressemble et nous inspire. Confiance ? Pas sûr, mais l’envie de sourire malgré la gravité et la force d’imaginer changer les choses en l’absence de happy end. En attendant, l’humeur d’Éric et le trait de Marie font un joli fil sur les réseaux sociaux. Solide et réjouissant comme celui de l’amitié.

55 jours et 8 heures
Facebook et Instagram
Cagnotte pour les pré-ventes de livres et tirages d’art : ulule.com/55-jours-et-8-heures-nos-vies-de-confines/