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Itinérance. Les mains de la Méditerranée

À Cantillana, en Andalousie, les artisanes perpétuent l’art du châle de Manille. Dans un dialogue éminemment humain avec le collectif Itinérance Méditerranée, ce savoir-faire ancestral rencontre la création contemporaine pour donner naissance à des pièces inédites et célébrer un patrimoine textile vivant.

Dans la tradition flamenca, c’est la splendeur des tenues, aussi sûrement que les chants, la danse ou la musique, qui soulève l’émotion. Tourbillon de couleur virevoltant, le châle de Manille en est l’emblème absolu. À Cantillana, Andalousie, sur les hauteurs au nord de Séville, des femmes en perpétuent la fabrication selon la technique traditionnelle de l’enrejado, où les fils de soie, teintés dans l’atelier, sont noués à la main pour former de savantes résilles ou treillis frangés dont la forme, précisément codifiée, est le secret que gardent ces artisanes aux mains d’or. 

On situe au XIXe siècle l’engouement pour cette pièce maîtresse du vestiaire féminin andalou. Mais son origine est antérieure et remonte à l’heure où l’empire espagnol s’étend sur le monde. Originaires de Chine, les premiers châles en soie flamboyants transitent alors par les marchés de Manille et séduisent les voyageurs ibériques qui les diffusent auprès de la bonne société de la péninsule en leur attribuant le nom de la capitale des Philippines. Accessoire de prestige et d’apparat, le châle de Manille prospère en Andalousie, porte d’entrée des principaux imports du monde entier et bassin artisanal vivace, et voit sa forme évoluer sous l’influence du patrimoine mauresque. Peu à peu, néanmoins, il perdra de son attrait, à mesure que la mode, portée par l’industrie textile anglaise, privilégiera les couleurs sombres comme symbole de raffinement et d’élégance. Adopté par les classes populaires, il conservera son essence cérémonielle et restera intrinsèquement lié au flamenco, mâtiné de culture gitane et fabriqué par quelques artisanes, sur le pas de leur porte ou regroupées à la veillée du soir, rituel social immuable.

© Louise Follain, Caroline Perdrix / Itinérance

Sur les ailes de leur jolie marque qui mêlait avec talent et intelligence mode et artisanat, Caroline Perdrix et Alexia Tronel se sont envolées un jour aux confins de la Méditerranée. Un voyage à la rencontre des savoir-faire féminins ancestraux débuté en 2018 sous le nom éloquent d’Itinérance. Si leur chemin semble vagabonder d’île cycladique en médina marocaine, le but qu’elles poursuivent est, lui, bien précis : mettre en lumière, soutenir, valoriser, transmettre. Non dans une approche ethnographique mais dans une démarche créative qui les rend actrices de cocréations et de coproductions inspirantes. 

À Cantillana, bourg de 10 000 âmes, Caroline, la designer, et sa team de photographe et podcasteuse sont allées à la rencontre des femmes qui, de mère en fille, font vivre l’art du châle de Manille, cornaquées par Nuria Chaparro, designer textile qui possède son atelier en ville, et avec le soutien actif de Compagnon, le fonds de dotation d’Emma François Grasset, et de la marque Sessùn. Une rencontre entre dialogue admiratif et défi créatif : comment utiliser la technique de l’enrejado pour produire des vêtements, ce qui n’a jamais été fait. Du projet design et des motifs rayés de Caroline à la capsule patiemment réalisée, le geste ancestral a prouvé sa vitalité et l’amour partagé pour le patrimoine culturel textile, en même temps qu’il fait rejaillir joie et fierté, l’esprit même de la célébration. Des émotions signées Itinérance Méditerranée à retrouver sur les plateformes de streaming ou sur le site de l’association, en attendant l’exposition accueillie par Sessùn Alma à Marseille en juin 2026.

© Louise Follain, Caroline Perdrix / Itinérance

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