Art de vivre

Dohatsu, bouillon de société

Avant, prendre un bouillon signifiait au mieux jeter un cube lyophilisé dans un peu d’eau, au pire, connaître un échec cuisant. Dans les marmites de Júlia et Anabelle, pourtant, le bouillon retrouve son rang, celui d’une cuisine qui a du goût et du sens. Avec Dohatsu, chaque ingrédient, même les plus frustes, retrouve une noblesse, chaque cuisson est une patience, chaque bol une petite révolution gustative.

Pour un peu, on prendrait Dohatsu pour une expression idiomatique japonaise, alors qu’elle désigne dans la tradition basque toute personne qui s’intéresse aux vertus du naturel. Pourtant, ce parfum nippon n’est sans doute pas étranger à la confection des merveilleux bouillons que Júlia Casamitjana et Anabelle Meyer ont décidé de remettre au goût du jour. Banalisés par les succédanés lyophilisés qu’ont adopté par nécessité des générations de cuisinier·es pressé·es, boudés pour leur manque apparent de gourmandise ou leur fumet vieille France, les bouillons constituent pourtant l’un des fondamentaux de la cuisine française, ceux-là même qui font la vogue plus exotique des ramens qu’il fait bon savourer à cette période de l’année.

 Júlia Casamitjana et Anabelle Meyer © Louis Triol

Avec son art d’accommoder les bas morceaux, rebuts d’une industrie agroalimentaire calibrée, ses longues heures à mijoter pour que s’expriment les saveurs essentielles qu’ils recèlent, le bouillon Dohatsu dit quelque chose de notre société. Éloge du slow, du zéro déchet et de l’upcycling, il réhabilite l’esthétique du bon sens qui prévalait dans nos cuisines ancestrales où les goûts les plus subtils émanaient de tous aliments, même d’apparence la plus fruste, pour peu qu’on sache les aimer, sans besoin d’exhausteurs chimiques ou de décorum consumériste chatoyant.

Dohatsu © Melvin Israel

Dans les marmites de Dohatsu, les os de bœuf ou de porc, les poules pondeuses réformées trouvent une nouvelle noblesse à petit feu amoureux. Noblesse, d’ailleurs, loin de leur faire défaut puisque chaque pièce choisie provient d’un approvisionnement scrupuleux auprès de producteurs locaux exigeants, maraîchers cultivant en pleine terre des variétés de légumes anciennes, paysans dédiés à l’élevage de races rustiques nourries à l’herbe, avec lesquelles les deux jeunes femmes travaillent en équité sur la base des prix fixés par les fermes elles-mêmes. Un équilibre vertueux qui favorise une agriculture raisonnée, préserve la santé des sols, limite l’impact carbone et sauvegarde paysages et biodiversité.

© Dohatsu

Admirables d’éthique, réjouissants de goût retrouvé, les bouillons et fond brun bio élaborés à Bidart réinventent un plaisir épicurien que Júlia et Anabelle mettent en lumière avec un talent appétissant, paré de vivantes illustrations qui réconcilient tradition populaire et esthétique contemporaine. Aussi gourmandes que prosélytes, elles partagent sur leur très inspirant site web les recettes et réflexions de chef·fes et ami·es qui distillent autant d’idées à savourer à table qu’à méditer sur le monde qui nous entoure.

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