Art de vivre Food

Café Luciani. L’or noir de Marseille

Enracinée dans l’histoire du port de Marseille, la maison Luciani perpétue depuis plus d’un siècle et demi un art du café façonné par le temps, la chaleur et la main de l’homme. De la Phocéenne de Torréfaction fondée en 1863 à l’atelier familial actuel du 13e arrondissement, une même exigence : celle d’un café dense, équilibré et sincère, fidèle à l’âme méridionale.

Marseille, XVIIIe siècle. Dans le tumulte du port, les navires venus d’Afrique, d’Arabie et d’Amérique latine déchargent leurs précieuses cargaisons. Le café, encore inconnu de la plupart des Français, s’impose ici comme une révélation. À l’ombre des entrepôts du Vieux-Port, les grains verts se mêlent aux parfums de sel, d’épices et de cuir. Premier port français à accueillir le café, Marseille devient le berceau d’une culture nouvelle, ouverte sur le monde, façonnée par le commerce et la main de l’homme. Boire un café, c’est déjà voyager.

Au cœur du XIXe siècle, alors que le port bat au rythme des machines et des convois marchands, un nom s’inscrit dans cette histoire : Pascal Antoine Escudier. En 1863, il fonde la Phocéenne de Torréfaction sous l’enseigne candide Denrées Coloniales & Droguerie. L’époque est à la découverte, à l’essor industriel et à l’expansion des goûts. Escudier fait partie de ces pionniers qui transforment le café en art d’assemblage. Ses grains venus des colonies sont torréfiés lentement, travaillés avec soin, jusqu’à atteindre cet équilibre caractéristique du Sud : la rondeur, la profondeur, et cette pointe de douceur qui fait toute la différence. Le café devient un produit artisanal, symbole d’un savoir-faire marseillais aussi précis qu’intuitif.

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© Café Luciani/DR

En 1965, Monsieur Luciani reprend la maison Escudier. Il lui donne son nom et sa force de caractère, fondant ainsi les Cafés Luciani. L’atelier s’installe dans le 13e arrondissement de Marseille, où tournent encore aujourd’hui les machines italiennes des années 1950. Sous ses mains, le café vert, venu d’Éthiopie, du Guatemala ou du Costa Rica, est torréfié à feu lent. Cette cuisson médiane, typique du Sud, consiste à interrompre la torréfaction avant que le grain ne soit trop noirci. Elle permet de développer pleinement les arômes sans altérer leur finesse, pour un café équilibré, à la fois intense et délicat. Fidèle à la tradition milanaise, ce savoir-faire incarne une identité marseillaise, celle d’un café dense, rond et sincère, sans excès ni amertume. Quand d’autres recherchent les cafés « pure origine » – blonds, acides, affichés comme des crus –, les Luciani défendent l’art de l’assemblage. Un art subtil qui consiste à mélanger différentes origines de cafés verts pour trouver l’accord parfait entre force, douceur et longueur en bouche. Chaque assemblage devient une signature, née d’un équilibre minutieux entre terroirs et torréfaction.

Aujourd’hui, la maison repose sur une organisation familiale : André, maître du feu, veille à la précision du geste ; Emmanuelle, la fille, artiste et curatrice pour la Fondation Hermès, relie le café au patrimoine et à la culture ; Jean-Baptiste, le fils, enfin, incarne la continuité, attentif à la transmission et à l’avenir de l’entreprise. Ensemble, ils prolongent une histoire commencée il y a plus de cent cinquante ans, dans le souffle du port et la chaleur des brûleries. Ancrée dans la mémoire marseillaise, la maison Luciani est bien plus qu’un torréfacteur. C’est un témoin vivant, perpétuant le goût du Sud, l’empreinte du voyage, et la mémoire d’un artisanat qui a traversé les décennies sans jamais se trahir.

© Café Luciani/DR

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