Art de vivre

Prendre racine à la Chassagnette

Adepte des saveurs franches, le chef Armand Arnal tisse un cocon de simplicité et de bon(s) goût(s) dans son havre camarguais. Portrait d’un amoureux du vivant.

Ça y est. L’automne est là. Bien sûr, le potager perd de sa superbe. Les courges sont récoltées, les haricots-rame desséchés d’avoir tant donné, adieu le festival de tomates roses, jaunes ou zébrées qui a enchanté l’été. Bien sûr encore, il reste poivrons et piments, choux chinois comme brocolis arrivent à maturité, et profusion de salades amères, trévise, chicorée, roquette, passeront l’hiver. Mais en réalité, c’est sous terre, dans le plus grand secret, que la nature s’apprête à livrer ses plus belles armes : les légumes-racine. Armand Arnal en raffole, mais pas dans le genre “je pose trois rondelles de carotte pour la déco”, non. Chaque produit de sa terre a un tel traitement de faveur que petits maquereaux, rougets, calamars et autres mulets, droit sortis de la Méditerranée, jouent dans l’assiette un rôle de seconds couteaux, d’exhausteurs de saveurs, bref, de figurants.

Même la bonite s’efface humblement devant le tandem pak-choï/fenouil boostée d’un aïoli de coing. Côté taureau camarguais ou agneau de Saint-Gilles, si goûteux et bio soient-ils, même combat. Prenons le pigeon des Costières de Nîmes, un fin hubbel bien nourri aux céréales. Rôti à point, rosé à l’os, il se fait vamper par les poireaux-crayon grillés sur un confit de prune et un pickle d’amandes fraîches du jardin. D’ailleurs, certaines recettes se passent de protéines animales, et nul besoin d’être végétarien pour s’en délecter. Ainsi son mémorable tajine de légumes d’automne à la harissa maison (pourvu qu’il revienne sur la carte, on traverserait la France pour lui !), ou son velouté de patates douces/poivrons au gingembre confit et huile de sauge-ananas.

Depuis qu’Armand Arnal a son propre potager, sa philosophie est : « Je laisse faire les légumes. » Ce qui signifie ? « Les récolter en primeur ou à maturité selon ce qu’on désire obtenir, les travailler avec respect, ne pas trop en faire, mais le  faire bien. »

Et d’expliquer comment la taille, l’assaisonnement peuvent influer sur le résultat, avant de donner un truc qui titille d’avance les papilles : « J’ajoute une poire dans mon velouté de panais, elle apporte une vraie fraîcheur. » Combiner 2, 3 ingrédients au plus, est un art qu’il a peaufiné sur le tas, mais qu’il a dans le sang. L’homme, moins loquace sur sa vie que sur ses végétaux, en livre quelques clefs. Enfant, ce fils de négociants en primeurs à Montpellier fait avec eux la tournée des maraîchers pour élire les morceaux de choix. À 15 ans, il entre en apprentissage. De Pierre Hermé, son premier mentor, il apprend le respect des goûts francs.
D’Alain Ducasse qu’il a suivi de New York à Paris, l’intransigeance absolue – du choix du produit à la manière de le valoriser. Un parcours assez formateur pour oser reprendre seul à 28 ans, en 2006, cette vaste bergerie plantée au milieu de nulle part ; agrandir le carré de légumes – 2 hectares désormais, 200 espèces – et obtenir en 2009 sa première étoile Michelin. Ce qu’on aime par-dessus tout dans cette maison, c’est la simplicité qui y règne et la certitude d’y être accueillis, en toutes saisons, par la fameuse poichichade, purée au curcuma et citron confit, en guise d’appetizer – si besoin était. Que ceux qui n’ont aucune curiosité pour le monde végétal se rassurent. Malgré le portrait un peu bio-locavore qu’on vous en a dressé, Armand Arnal n’a rien du dictateur veggie-à-tout-prix ; il excelle aussi dans le loup ou la dorade au sel, préparés de préférence pour tablée nombreuse, et la vision de ces énormes bêtes planquées sous une croûte qu’il faut casser au marteau reste mémorable. Allez, réfractaires du bulbe, vous goûterez bien un peu de betteraves en vinaigrette de mûres piquée de shizo ? Ou vous préférez passer au dessert, un velouté de fenouils confits aux agrumes ?

chassagnette.fr

Je laisse faire les légumes.

Armand Arnal

Initialement publié dans Marie Claire Méditerranée