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Sauniers de Camargue. Le sel de la vie

Sans que l’on y prête attention, le sel a traversé les siècles toujours enveloppé d’une aura précieuse. Jadis symbole mystique ou monnaie d’échange, il est un indispensable du goût. En Camargue, sa récolte donne lieu à un rituel ancestral et naturel qui ne cesse de fasciner.

Se remémorant leurs années de catéchisme, les choristes Jagger et Richards signent en 1968 avec Salt of the Earth leur manifeste pour les classes laborieuses, référence au premier discours du Christ, tel que relaté par Matthieu. Bref. Le sel de la terre, c’est ce qu’il y a de meilleur dans l’humain, résilience d’âme et pureté de cœur. Qu’il soit symbole de paix ou de divin, le sel est exploité depuis 6 millénaires déjà dans un lac salé de la province chinoise de Shanxi et probablement depuis le néolithique, comme en attestent les fouilles de Solnitsata en Bulgarie.

À travers les siècles, le sel ne se dépréciera jamais, au contraire. On construira des voies pour l’acheminer spécialement, comme en témoigne la Haute Route qui passait autrefois par Sospel au nord de Menton. On lèvera un impôt sur sa consommation, devenue indispensable, notamment pour la conservation des aliments, et le zèle des gabelous à le percevoir sera l’une des causes de la Révolution française de 1789. Le mot salaire lui-même provient du latin salarium, unité de mesure nécessaire pour se procurer le précieux sel. Enfin, sans le chlorure de sodium, Alessandro Volta aurait-il inventé la pile électrique et Auguste Escoffier de Villeneuve-Loubet (Alpes-Maritimes), la gastronomie moderne ? Seule ombre en somme à ce panégyrique, l’usage immodéré et pathogène que les industriels de l’agroalimentaire font du sel pour stimuler nos papilles consuméristes.

Sur l’étendue rose velours du marais salant où scintille le soleil de Camargue, quand souffle la brise d’été, les cristaux de sels affleurent par milliers comme une floraison miraculeuse que vient cueillir d’une main experte le saunier dans la fraîcheur du matin. Veillant sur une étendue vaste comme Paris intra-muros, scrutant le ciel de peur qu’une pluie malvenue ne vienne gâter la récolte, la quinzaine de sauniers d’Aigues-Mortes moissonnent chaque été 500 tonnes de la précieuse fleur de sel. Celle-là même qui, sans subir d’autre transformation qu’un lavage méticuleux, parvient jusque sur nos tables. Labellisée IGP, la fleur de sel de Camargue est le fruit d’une agriculture maritime et d’un artisanat de tradition dont la formation, à l’image des compagnons du tour de France, requiert 10 bonnes années de patience. Autour des salins de Giraud et d’Aigues-Mortes, s’étend un sanctuaire de nature qui abrite 237 espèces d’oiseaux différentes parmi lesquelles, aussi rose que Dunaliella Salina, micro-algue riche en carotène, qui alimente la petite crevette Artemia, qui elle-même alimente l’emblématique échassier camarguais, le flamant trône en majesté.

Pensez-y lorsque, de la petite boîte en carton et liège recyclable frappée des couleurs des Sauniers de Camargue, vous prélèverez une pincée de fleur de sel pour révéler le goût d’un plat. Derrière un geste anodin du quotidien se cache parfois le sel de la vie.

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