17.03.23, n°147
Nous aurions pu espérer, dans un rêve un peu fou, que l’Article 64 de la Constitution soit utilisé hier, dans l’hémicycle chahuté de l’Assemblée Nationale, pour faire passer l’âge légal de la retraite à 49 ans et 3 mois, unfortunately, c’est exactement le contraire qui s’est produit. Pour nous consoler sans désespérer, nous pourrions dès lors caresser l’idée de changer séance tenante d’orientation professionnelle, pour redonner du sens à notre travail rémunéré et troquer nos bs jobs (une pensée émue pour David Graeber) contre une noble et ancestrale activité manuelle, bref, reprendre notre destin bien en main. À peu de distance des Journées Européennes des Métiers d’Art, à quelques jours du Salon Ob’Art dédié à l’artisanat d’art à Montpellier, voici donc notre sélection de la semaine, consacrée à une poignée de talents qui n’ont pas attendu Olivier Dussopt pour saisir la chance d’exercer le métier de leurs rêves. À pleine main.
Aujourd’hui vendredi, ouverture du festival Aflam, au Mucem, Marseille : La 10e édition de ces rencontres internationales de cinéma offre un panorama riche et varié de la production dans les pays arabes, avec une vingtaine de films de fiction et documentaires sur fond de rétrospective hommage au cinéaste syrien Omar Amiralay. Programmation et billetterie par là.
Du 21 mars au 2 avril, festival de musique Babel Minots, Marseille: 9e édition de ce festival destiné au jeune public où 21 compagnies envahissent la cité phocéenne pour des concerts ou des siestes sonores. Son but ? Démocratiser l’accès à la culture et favoriser l’éducation par les pratiques artistiques. Plus d’infos par là.
Samedi 18 mars, pop up Hoja Santa chez Provisions, Marseille : Le temps d’une soirée, le Mexique envahit la super épicerie Provisions, qui se transforme pour fêter ça en taqueria. Au programme, carnitas et barbacoa, tacos veggie, tortillas maison, cocktails à base de mezcal et de tequila. Vamonos! Les infos juste ici.
Jusqu’au 25 mars, festival + DE GENRES, Marseille : Organisé par KLAP Maison pour la danse, cette 6e édition met à l’épreuve les conceptions binaires du monde avec une programmation queer, où artistes, danseur·ses et performeur·ses interprètent le thème d’« un ici plein d’ailleurs ». Plus d’infos.
Du 27 mars au 2 avril, Les Journées Européennes des Métiers d’Arts : Cette 17e édition, coordonnée par l’Institut National des Métiers d’Art, s’empare du thème « sublimer le quotidien », avec un parcours d’événements et de rencontres pour découvrir le patrimoine vivant de France et du Sud. Pour faire le tour des ateliers et ne rien manquer, toutes les infos en ligne.
Du 7 au 9 avril, au Corum de Montpellier, le Salon Ob’Art nous donne l’occasion de découvrir des objets d’art et des créations artisanales qui rendent hommage aux plus précieux savoir-faire et témoignent de la vitalité des métiers d’art en France et dans le Sud. Pour aiguiser votre curiosité et vous donner le goût de faire le voyage, nous vous livrons ici et en avant-première quelques repérages talentueux et non exhaustifs.
Suivez le fil d’argent
Artisane bijoutière marseillaise, Mathilde Marteau a été initiée à la technique minutieuse du filigrane d’argent en Colombie, avant de poursuivre son voyage initiatique à travers l’Amérique du Sud, à la rencontre d’artisans-bijoutiers pour s’imprégner de leurs savoir-faire. De ces rencontres est née la pratique caractéristique de Mathilde, qui se distingue par ces pièces au tamis poétique et délicat, inspirées de formes antiques et d’éléments naturels. Tous ses bijoux sont minutieusement réalisés à la main, en série limitée et peuvent faire l’objet d’une création sur mesure. Si Mathilde aime travailler l’argent, c’est pour le bel aspect patiné qu’il gagne au fil du temps. Membre fondatrice de l’atelier Materia à Marseille, la créatrice transmet son savoir et un peu de sa sensibilité lors d’ateliers de confection de bijoux. Ses pièces sont disponibles sur son e-shop.
Crédit photo: © Mathilde Marteau
Cuir de tout bois
Même si son nom l’évoque d’emblée, Ekors introduit le bois de façon inattendue dans ses solides pièces de haute maroquinerie en cuir. C’est au pied de Notre-Dame de la Garde à Marseille que la fondatrice de la marque, Marina Sanchez, a installé son atelier, où elle imagine chacune de ses pièces uniques à partir de fragments de bois biosourcés, qui proviennent d’anciens meubles récupérés chez des particuliers. Pensiez-vous que le vieux buffet de grand-mère stocké au grenier pourrait un jour se réincarner en une élégante série de sacs originaux, pratiques et robustes ? Pour respecter un mode de production éthique et témoigner de l’unicité de chaque modèle, les créations Ekors sont disponibles uniquement sur commande. Enfin, toutes les collections sont mixtes puisqu’à la fin, nous sommes tou·tes du même bois. De beaux objets, hybrides de nature, à découvrir sur le site Ekors.
Crédit photo: © Ekors
Du sens de la fibre
Formée à l’école Boulle et à l’Académie Charpentier, Sophie Carrasco-Grimard a débuté sa carrière comme architecte d’intérieur avant que sa sensibilité à l’environnement ne la fasse prendre le chemin du bois. Passionnée par ce matériau brut et vivant, les mille nuances de ses multiples essences, les traces de son histoire, elle a appris le noble art du tournage du bois pour réaliser des objets de décoration qui ont des choses à raconter. Chacun de ces récits à travers la fibre débute par une posture méditative, où la créatrice scrute la singularité des pièces d’orme, de chêne, tilleul ou érable qu’elle récupère aux alentours comme auprès de fournisseurs de bonne volonté, amis ou voisins, dans une démarche éthique qui vise le moindre impact environnemental. De son dialogue avec la matière naît l’idée de la transformation qui fera naître l’objet, parfois ténue, parfois par le feu ou l’inclusion de plexi, de résine, de métal ou de pierre, dans le doit fil de la philosophie japonaise du wabi sabi qui voit le beauté dans l’imperfection. Un travail sensible à découvrir sur Empreinte, l’impeccable marketplace des métiers d’art.
Crédit photo: © Sophie Carrasco Grimard
In vino céramique
La passion de Stéphane Azémar pour le vin se reflète dans chacune de ses réalisations. Ancien vigneron ayant troqué ses chais pour un four de céramiste, il fonde avec Isabelle Agius le label Oenophore, spécialisé dans la création de jarres et d’amphores – dont on redécouvre depuis peu les vertus pour des vins bien élevés – mais aussi, d’objets de décoration d’exception. Des pièces vivantes, tout en reliefs, contrastes et couleurs, élaborées en terre cuite et réalisées à la main dans l’atelier du binôme à Montayral, dans le Lot-et-Garonne. Le point commun de leurs créations ? Une constante réflexion autour de la diffusion de la lumière, des sons et des parfums. De la forme étudiée à la porosité en passant par neutralité aromatique, leurs pièces uniques et mystérieuses cultivent les caractéristiques techniques nécessaires à l’élevage du vin.
Crédit photo: © Oenophore
Poésie à fleur d’émail
Sophie Léta est une artiste peintre qui a troqué un jour toiles et pinceaux contre sa passion de la céramique d’art. Elle puise ses inspirations dans les contes fantastiques, l’Art nouveau, les estampes japonaises et l’art populaire. Infusé de nature, son projet Blanc Renard Ceramics a vu le jour depuis les Hautes-Alpes, d’où elle cultive douceur et poésie à fleur d’émail. Peints avec délicatesse et à l’instinct à même la porcelaine blanche, loups, renards, oiseaux ou hérissons, bêtes furtives comme surprises au détour de la forêt et saisies sur le vif, jouent en miroir avec leur réplique miniature en relief qui vient orner ici une anse, là un couvercle de boîte à bijoux. Chaque pièce est unique, pensée librement au gré des saisons, entièrement réalisée à la main et rehaussée d’un trait d’or fin. Telle une bonne fée sylvestre, l’artiste réenchante notre vie domestique, répandant un peu de magie sur nos moments d’intimité intérieure. Prenez le temps de faire un tour dans son univers poétique.
Crédit photo: © Sophie Léta
Orfèvre en la nature
Formée en Allemagne par un maître joaillier et installée à Londres, Britta Brand a posé près d’Uzès, en 2019, son atelier tout en sensibilité. Attentive à tout ce qui l’entoure, elle puise son inspiration au gré des saisons pour composer des pièces aux lignes pures et pétries de naturel. Disponibles en séries limitées, ses bijoux rares et délicats sont façonnés à la main grâce à ses trente années de savoir-faire. Retrouvez ses créations toutes en élégance, sobriété et authenticité, sur son e-shop.
Crédit photo: © Britta Brand
Nîmes, haute vallée de l’Aude ou Marseille, 3 autres étapes passionnantes à la rencontre du génie de l’artisanat d’art.
Tisseuse d’assise
Mêlant inspirations scandinaves, japonaises et méditerranéennes, Léna Morelli tisse des assises dignes des plus belles abstractions géométriques. Formée à la tapisserie de sièges à l’école des métiers d’art d’Uzès, elle a un temps œuvré dans l’ingénierie du bâtiment au réemploi de matériaux dans l’architecture ou le design avant de ressentir le besoin de revenir à un métier manuel. Son matériau de prédilection, la corde danoise, faite en papier naturel ciré pour lui donner souplesse, douceur et résistance. À partir de chaises chinées, admirables de patine et d’histoire, Léna dialogue avec la matière et les formes pour tisser des trames narratives inédites qui ouvriront un nouveau chapitre dans la vie de ses objets choisis, numérotés et choyés. Visitez l’atelier Morelli en ligne.
Crédit photo: © L’atelier Morelli
Couvre-chef d’œuvre
Nos amis de la boutique Trésors Publics à Nice ont le chic pour dénicher des pépites telles que MontCapel. Des décennies durant, la vallée de l’Aude a tenu la dragée haute à la région de Monza en Italie pour la fabrication de chapeaux en feutre de laine. En novembre 2018 pourtant, sa dernière manufacture encore en activité venait de s’éteindre lorsque Sonia Mielke, actuelle présidente de la coopérative MontCapel, décide de se mobiliser et avec elle, son entourage et les institutions régionales. Transformant la résignation d’une fermeture en élan d’espoir, elle parvient à relancer la production, valorisant au passage un patrimoine industriel exceptionnel et la dernière manufacture en France capable de transformer la laine en chapeau. Une histoire d’autant plus belle qu’elle sait être actuelle à la faveur de collab’ avec quelques belles marques du moment, dont Manon & Lesquoy. Une belle histoire de renaissance à encourager par ici.
Crédit photo: © MontCapel
Étranges objets de design fantasmé
Tous deux de formation ébénistes, l’un chez les Compagnons du Tour de France, l’autre à l’Ecole Boulle, Romain Carlès et Paul Demarquet se rencontrent à Marseille et décident d’y installer leur atelier d’ébénisterie. Loin d’avoir épouser les canons du genre, ils ont entrepris de tailler dans le bois un univers fantasmatique, quelque part entre Jules Verne et Raymond Roussel, antiquités fossilisées et style grotesque XIXe, dans une série de prouesses techniques qui poussent la matière noble jusqu’à l’ambiguïté la plus fascinante. L’approche de Carlès et Demarquet consiste à flouter les frontières entre les matières, rendant le bois étonnement méconnaissable et pourtant sans artifice, par un savant mélange de leur maîtrise technique et de leur imaginaire artistique. Des créations comme suspendues dans le temps, à part, et pourtant respectueuses des traditions de l’ébénisterie. Un voyage inattendu vers une « civilisation rêvée » à découvrir sans tarder.
Crédit photo: © Atelier Carlès et Demarquet