Édition du 04 novembre 2022
04.11.22, n°132
Cette semaine, fuyant une actualité par trop anxiogène où, malgré la timide lueur d’espoir sortie des urnes brésiliennes, dominent des ombres grandissantes, plus ou moins post- fascistes, bravant la météo désormais capricieuse, où novembre a cessé de se prendre pour juillet et nous gratifie d’épisodes diluviens à tendance cévenole, partons donc prendre le large quelque part en Méditerranée.
Une croisière, donc, au sens originel du terme – popularisé en son temps par un certain Thomas Cook ou la P&O, lointaine ancêtre de la MSC, compagnies plus versées dans l’acronyme que dans le zèle pour l’environnement – qui nous conduit à croiser quelques réalités dont notre monde, pourtant avide de découvertes, semble étonnamment se détourner. Fruit sans doute d’un nouveau marketing touristique particulièrement pervers, sa conception intègre une série de trouvailles qui en font, à en juger par son tragique succès, un filon en apparence inépuisable.
Crédit photo: © Camille Martin Juan – SOS MÉDITERRANÉE
Particularités de ce concept ? D’abord, on voyage non pas sur une mais sur deux embarcations. On partagera la première, le plus souvent pneumatique et parfaitement exposée aux cieux étoilés comme aux coups de grain assassins, avec une foule surnuméraire qui défie Archimède et partage la surprenante particularité de ne pas savoir nager. À noter que le changement d’embarcation s’effectue en pleine mer, au gré de navettes qui, à défaut d’être tellement plus confortables, préfigurent néanmoins le salut potentiel. Parfois, le changement d’embarcation ne s’effectue pas du tout car Archimède a perdu.
Sur le pont du second navire, le fier Ocean Viking dont le pavillon n’a rien de complaisant croyez-le bien, les codes là aussi sont disruptés, pour reprendre une expression chère à notre Président qui, pourtant, n’a jamais pris ce bateau et semble même en ignorer superbement l’existence. En guise de couchettes, de grands dortoirs où la promiscuité stimule la camaraderie. En lieu et place de carte signée d’un chef étoilé, le restaurant sert de belles plâtrées de riz blanc dont on ne dira jamais assez tous les bienfaits pour un organisme fraîchement repêché en haute mer.
Le dress-code lui-même, loin de l’étiquette des grands transatlantiques de légende, traduit malgré tout un certain relâchement, notamment dans les fibres textiles mises à rude épreuve par les paquets de mer qui transforment tout vêtement en pièce vintage plus efficacement que les procédés en trompe-l’œil de la fast fashion. Que dire des activités ? Ateliers langue, pour apprendre les rudiments de survie en milieu étranger. Soirée psycho, pour relâcher la tension du voyage et plus encore celles, le plus souvent indicibles et sans aucun doute impossibles à retranscrire ici, qui ont conduit à prendre son billet pour cette traversée désespérée.
Crédit photo: © Camille Martin Juan – SOS MÉDITERRANÉE
Et puisqu’on parle de billet, disons-le tout de go : le navire a beau arborer une flamboyante couleur orange sanguine, ce n’est pas une compagnie low cost. Si vous vous plaignez du coût de la vie, sachez que c’est ce que peuvent payer les candidat·es au voyage. Un prix facturé, non par l’équipage de l’Ocean Viking évidemment, au contraire héroïque et tout entier dévoué à économiser des vies au sein de l’admirable ONG SOS MÉDITERRANÉE, mais par un nouvel éco-système touristique baroque constitué pêle-mêle d’agents de voyage freelances, que l’on nommera passeurs pour simplifier, de garde-côtes cyniques et corrompus, et d’autorités euro-méditerranéennes, qu’elles soient portuaires ou gouvernementales, désireuses de retourner à l’envoyeur – c’est-à-dire, la guerre, la dictature, la famine, l’esclavagisme sous toutes ses formes – des êtres humains qui ont eu la malencontreuse idée de naître du mauvais côté de la mer.
Crédit photo: © Camille Martin Juan – SOS MÉDITERRANÉE
PS : Marseille, 3 novembre 2022 – Malgré de multiples demandes d’assignation d’un port sûr envoyées aux centres de coordination de sauvetage de Malte et d’Italie, l’Ocean Viking reste confronté à une impasse. Conformément au droit de la mer, SOS MÉDITERRANÉE demande aux autorités maritimes de la France, de l’Espagne et de la Grèce, qui sont les plus à même d’apporter leur assistance, de faciliter la désignation d’un port sûr pour le débarquement des 234 rescapés bloqués à bord de l’Ocean Viking. Une solution doit être trouvée sans délai.
Crédit photo: © Camille Martin Juan – SOS MÉDITERRANÉE
Depuis 2014, plus de 25 000 hommes, femmes et enfants sont morts en Méditerranée en tentant la traversée sur des embarcations de fortune. SOS MÉDITERRANÉE est une association humanitaire européenne de sauvetage en mer constituée de citoyens mobilisés pour la recherche et le sauvetage des personnes en détresse en mer. Depuis le début de ses opérations en février 2016, SOS MÉDITERRANÉE a secouru plus de 37 000 personnes avec l’Aquarius puis l’Ocean Viking. Le quart d’entre elles étaient mineures. L’association est basée en France, en Allemagne, en Italie et en Suisse. Elle a reçu le Prix Unesco Houphouët-Boigny 2017 pour la Recherche de la Paix. Le 19 octobre 2022, elle a remporté le prestigieux prix de la Fédération Internationale du Sauvetage en Mer (International Maritime Rescue Federation, IMFR) pour la « contribution exceptionnelle d’une équipe aux opérations de recherche et de sauvetage en mer ». Pour soutenir SOS MÉDITERRANÉE, c’est ici.
SOS MÉDITERRANÉE, c’est l’honneur de la France
Ces mots de Daniel Pennac et François Morel à l’antenne de France Inter doivent vous inciter à faire d’urgence l’acquisition de ce recueil composé de 17 nouvelles inédites et arrivé aujourd’hui même en librairies. D’abord, pour la qualité des auteur·trices qui se sont engagé·es par la plume au côté de l’ONG : Abd Al Malik, Jakuta Alikavazovic, Muriel Barbery, Amina Djamerdji, Kamel Daoud, Marie Darrieussecq, Erri de Luca, Jean-Baptiste Del Amo, Anda Devi, Eric Fottorino, Laurent Gaudé, Maylis de Kerangal, Carole Martinez, François Morel, Marie N’Diaye, Wilfried N’Sondé, Leïla Slimani. Ensuite parce que l’intégralité des bénéfices de la vente sera reversée par l’éditeur Folio à SOS MÉDITERRANÉE, pour continuer de sauver des vies et notre dignité.
Préface Jean-Marie Laclavetine, illustration Pénélope Bagieu, 230 pages, 6 €
Médecins sans Frontières a 50 ans mais ce n’est pas une fête
Tout comme l’Ocean Viking de SOS Méditerranée, le Geo Barents appareillé par Médecins sans Frontières est dans l’impasse, sans réponse d’un possible port de débarquement, en l’occurrence à Malte, pour 572 naufragés, bloqués à son bord dans une situation précaire. On peut les soutenir ici ou faire l’acquisition d’un produit sur sa boutique en ligne dont les bénéfices seront, là aussi, reversés à l’ONG cinquantenaire. Nous y avons notamment repéré au rayon beauté les créations de la savonnerie marseillaise du Fer à Cheval, qui s’engage elle aussi pour cette cause humanitaire d’urgence. Au-delà d’être un beau geste solidaire, cette barre de savon de Marseille, cuit au chaudron selon les méthodes traditionnelles et réalisé à base d’huiles végétales, est une belle idée cadeau, idéale pour la maison et respectueuse de l’environnement.
Crédit photo: © MSF x Fer A Cheval
En mode sauvetage
Et puisque nous en sommes à shopper utile, autant retourner voir la boutique des Sauveteurs en mer où de nouvelles pièces sont venues compléter cette collection de mode et d’accessoires aussi indispensables dans notre dressing que cruciale pour financer le sauvetage en mer. Mention spéciale pour ce ciré Anna qui nous donne des envies de Bretagne en Méditerranée et nous mettra à l’abri, espérons-le, des intempéries comme de la vindicte populiste de député·es confortablement installé·es à l’extrême droite de l’hémicycle.
Crédit photo: © Sauveteurs en mer – Ciré Anna
Les rencontres d’Averroès, 29e épisode à Marseille
Ok, le thème des 4 tables rondes, animé par des chercheurs de tout poil, ne va pas détendre l’atmosphère : « Entre guerre et paix » (en Méditerranée). Mais cette année, il sera humanisé par la lecture musicale du roman autobiographique de Camus, Le premier Homme, par Robin Renucci, nouveau directeur de la Criée (18/11, 20 h), et par le One Man Show de Jean-Yves Jouannais, dont la bataille imaginaire, composée de multiples témoignages de guerre, tourne à la performance scénique jouissive (Criée le 19/11 à 18 h). Le même soir à 20 h 30, entrent en scène une flopée de musiciens, comédiens et auteurs comme Laurent Gaudé, Maylis de Kerangal ou Kamel Daoud, engagés aux côtés de l’association SOS Méditerranée (voir plus haut). S’ils sauront ajouter un peu de poésie dans ce monde de brutes, comment prédire l’issue du concert déjanté d’Acid Arab, que les Rencontres d’Averroès ont préféré délocaliser pour épargner les fauteuils rouges du théâtre. C’est donc l’Espace Julien qui reçoit une foule électrisée au son ultra métissé pop, rock, raï, électro, après une première partie assurée par Jawhar, doux Tunisien au folk soul envoûtant.
Du 17 au 20 novembre, tout le programme et la billetterie ici.
Crédit photo: © Rencontres Averroes
Et pour finir, notre bonus musical de la semaine, qui nous rappelle que M. Da Silva, fraîchement réélu, avait onze ans lorsqu’il entendit pour la première fois cet hommage à peine déguisé. Enjoy !