Édition du 28 octobre 2022
28.19.22, n°131
Bien des siècles avant d’escagasser les cucurbitacées, cette période de l’année fut dévolue à la célébration de tous les saints (bien avant aussi l’inclusivité à marche forcée qui nous amènera bientôt peut-être à célébrer la Tou·tes·saint·es). Il est d’usage dans la liturgie judéo-chrétienne de rappeler alors ces versets de l’Évangile, le plus souvent selon Saint Matthieu, parfois selon Luc ou, plus anciens encore, ces extraits des Manuscrits de la Mer Morte, intitulés Béatitudes. Ok. Difficile d’imaginer notion plus éloignée de ce que vous ressentez aujourd’hui, n’est-ce pas ? Pourtant, l’étymologie grecque du mot, qui se place quelque part entre bénédiction et bonheur, devrait se traduire plus précisément par : “qui possède une joie intérieure incapable d’être affectée par les circonstances qui l’entourent“. Résilience donc, si vous préférez, ou que vous cédez aux mèmes langagiers de l’époque. Si vous n’êtes pas (encore ?) candidat·e à la canonisation, une autre voie peut vous conduire à la béatitude : celle des simples. Pas d’esprit ou de plantes mais de cœur bien sûr. Alors, foin d’abondance et de cols roulés, embrassons la sobriété, l’altruisme et la générosité. Pour Kylian (globale star) ou Patrick (Total patron), c’est pas gagné, mais pour nous, réjouissons-nous, ce sera nettement plus facile. Suivons à présent notre sélection de la semaine qui, à défaut de nous conduire au plus haut des cieux, nous fera quand même bien plaisir. C’est déjà ça.
Troquons la côte Devos contre la tête de Nicolas : Il n’y a pas si longtemps, le Festival du Livre de Mouans-Sartoux nous a fait la belle surprise d’inviter François Hollande provoquant, comme à l’accoutumée, de brusques précipitations dont notre terre assoiffée par un été caniculaire avait bien besoin. Et voici qu’à sa suite, le TNN avait invité Nicolas Sarkozy à Nice dans un exercice d’intimité théâtrale sur la scène de la bien nommée Cuisine (rien de moins pour un expert en casseroles). Nous aurions pu nous laisser aller à penser que le Qatar viendrait sans délai mettre ses talents de bâtisseur au service d’un futur grand théâtre, digne de la 5e ville de France. Las, la soirée est annulée. Pour nous consoler, suivons Daniel Benoin à Anthéa, théâtre d’Antibes, dans son hommage à Raymond Devos qui promet (s’il reste des places) d’être plus drôle et talentueux.
ESS Sud à Marseille, le salon de l’économie d’avenir : .Co-organisée par la Chambre Régionale des Entreprises de l’Économie Sociale et Solidaire et la Région Sud, cette 5e édition marque, selon ses organisateurs, un tournant. Et ils ont raison. Plus que jamais, l’entreprise doit être source d’idées, d’initiatives et d’actions en faveur de l’humain et de la planète. Gageons que le défi que représente le basculement du paradigme capitaliste vers des modèles aussi vertueux que rentables sera au cœur des réflexions. Accès gratuit mais inscription obligatoire ici.
Design Parade Toulon, derniers jours : Courez, courez, courez voir les expos de la Design Parade Toulon, dédiée à l’architecture d’intérieur si vous ne l’avez pas encore fait, ce sont les derniers jours. À l’Ancien Evêché, aux Halles de Toulon, à l’école Camondo Méditerranée ou encore à l’Hôtel des Arts TPM. Tout le programme ici. Et si vous ne courez pas assez vite, n’oubliez pas que les expos du tout récent Festival International de Mode, de Photographie et d’Accessoires de Mode sont à voir, elles, jusqu’au 23 novembre. Toutes les infos là. Et pour vous récompenser d’avoir couru, un petit bonus.
C’est la Foire à L’Isle-sur-la-Sorgue : Ce week-end, c’est la 113e édition de ce traditionnel rassemblement de chineurs néophytes ou avisés, rebaptisé Antiques Art and You pour montrer à quel point la brocante d’hier s’est métamorphosée en un véritable phénomène de société nommé vintage. Au programme pour les diggers de bonne aventure, 500 exposants dans tous les styles, un festival upcycling, de l’art et des métiers, de la micromécanique horlogère, de l’expertise de haut vol, des expos, coaching déco, food truck et bonnes tables partout autour. Dès aujourd’hui et jusqu’à lundi 1er novembre. Pour creuser et en savoir plus, c’est ici.
Clic, un arbre !
Exemple de modèle économique vertueux, Ecosia, si vous ne le connaissez pas, est ce moteur de recherche d’origine germanique qui plante des arbres (en gros, 160 916 417 à l’heure où nous bouclons) plutôt que d’engloutir des milliards dans des projets transhumanistes effarants ou de Web 3.0 pour publicitaires flappis (Jacques, si tu nous entends). Pour sa première action en France, il s’est associé au collectif Replantons notre forêt Provençale qui, au côté des sapeurs-pompiers des Bouches-du-Rhône, se sont attelés à replanter 200 sujets d’espèces pyro-résistantes à Fos-sur-Mer et Port-de-Bouc. Cela peut paraître peu au regard de ce que l’association a déjà accompli, avec notamment la plantation de 2 500 arbres à Sausset-les-Pins, suite aux incendies de 2016, mais cette mini-reforestation revêt un caractère pédagogique qui invite à mieux comprendre la forêt pour mieux la protéger. Mettons des sous dans le tronc, la nature nous dira merci.
Crédit photo: © Ron Lach / Pexels
Le pied léger
Dès sa création en 2017 et le lancement de sa paire de sneakers tricotés à partir d’une fibre issue de bouteilles recyclées, nous avions applaudi Ector, maison de chaussures 100% made in France. Mais nous ignorions alors que sa création, que nous imaginions totalement éco-responsable, avait un talon d’Achille, bien qu’elle ne soit pas troyenne mais drômoise. Bref, le plastique recyclé, c’est pas bien. D’abord, parce que c’est encore du plastique, non biodégradable ad vitam. Mais surtout parce que le recyclage du plastique produit des microparticules qui s’empressent d’aller se baigner illico en Méditerranée. Mais, pour nous donner raison de les applaudir encore plus fort, les entrepreneurs d’Ector, désormais intégrés au groupe Chamatex et soutenus dans leurs efforts par 1083, success story éthique made in Romans too, ont opté pour le procédé de fabrication ultime qui met tout le monde d’accord : le Tencel. Un fil produit à partir de cellulose de bois, biodégradable et compostable, considéré non seulement comme l’une des fibres les plus résistantes qui soient mais aussi deux fois plus absorbante que le coton. Résultat, ce nouveau modèle Zéphyr offre style, confort et légèreté en prouvant que, chez Ector, le respect de l’environnement, c’est pas du vent.
Mon chapeau pour une école
Derrière chaque grand homme il y a toujours une femme. Pour Liva Ramanandraibe, nulle autre que sa propre mère, Tiana Rahirison, esprit libre et entreprenant qui lui a inculqué, entre autres valeurs, l’art ancestral de tresser le raphia naturel. Fort de cette inspiration qui lui a donné des ailes (et l’a sans doute convaincu qu’il pouvait voler très haut), il a imaginé Ibeliv, une marque éthique dont la tête est à Avignon et le cœur, à Madagascar, île natale où elle perpétue ce savoir-faire traditionnel et s’applique à donner des chances d’emploi et d’épanouissement à bon nombre d’ouvrières malgaches (on en compte déjà un millier). Un projet qui associe artisanat d’art et empowerment, vannerie et cuir de zébu surcyclé ou pleine fleur italien pour produire depuis 2013 une collection de sacs et chapeaux de belle facture. Plus que le profit, Liva poursuit un rêve qui se matérialisera sous une autre forme, le mercredi 8 mars 2023. Ce jour-là, date symbolique du jour de la femme, Ibeliv Garden ouvrira ses portes. Centre d’éveil versé dans les pédagogies alternatives, il accueillera une centaine d’enfants malgaches de 3 à 7 ans qui viendront suivre un cursus où les apprentissages fondamentaux s’enrichiront d’activités sportives, culturelles et artistiques, et d’une sensibilisation à la richesse et à la préservation de la biodiversité de Madagascar. Pour financer cette réalisation, la marque compte en partie sur les bénéfices générés par la vente d’un modèle spécial de chapeau et d’une marraine exceptionnelle en la personne de Véronika Loubry. Jamais expression n’aura semblé plus appropriée : chapeau Liva.
Care & Make-Up
Depuis l’Antiquité, le maquillage est utilisé tout à la fois pour affirmer une stature sociale, se donner en spectacle, user de séduction ou céder aux diktats du male gaze (c’est selon), parfois aussi pour dissimuler les imperfections du visage comme l’on masquait autrefois une piètre hygiène sous des effluves parfumés. À mesure que la cosmétique s’est aventurée dans la pétrochimie et a rempli ses packagings rutilants de perturbateurs endocriniens, l’exercice s’est avéré franchement contreproductif, engendrant plus de problèmes qu’elle ne pouvait en corriger en apparence. Pour Chiara Drymon Fontani, qui s’inscrit d’emblée dans un courant vertueux de clean beauty, il était temps d’en finir. Jeune maman elle-même sujette à des problèmes de peau, elle a lancé la start-up aixoise Kassi dont l’ambition est de concilier cosmétique et soin. Première formule gagnante, le gloss nourrissant et régénérant aux huiles végétales bio de Provence nous arrive comme la plus brillante des réponses. Huile à lèvres incolore glossy, non collante, la cosmétique comme on l’aime.
Plus qu’une étiquette, un programme
Mathilde Jacob aime la mode, elle en est d’ailleurs diplômée. Autant comme acte de création que comme geste d’attention envers la société des humains. Ses premières pièces, produites en quantité artisanale, s’attachaient à rendre leur noblesse à des bleus de travail dont sa génération découvre le potentiel de style alors qu’elle-même se remémore avec respect leur place dans le vestiaire ouvrier. Des vêtements dotés d’une histoire, auxquels une simple trace d’usage apporte, aux yeux de la créatrice, un supplément d’âme. Les histoires, Mathilde s’en inspire aussi. Des anecdotes du quotidien, à l’image de cette passagère aperçue dans un tram niçois, vêtue d’un T-shirt trop grand constellé de taches de peinture. Un flash d’inspiration pour sa nouvelle collection de polos oversized unisexes baptisée Racine future. Un programme. Comme celui que véhicule son label FiertéPortée. Ou celui que se fixe la jeune femme : partager et transmettre, ennoblir et rendre visible l’invisible. Le fil d’une belle ambition à suivre et partager.
On ne joue pas avec la nourriture
Ces derniers jours, une nouvelle forme d’éco-activisme s’est manifestée dans les musées à travers l’Europe où de petits commandos ont commis le geste réparable et irrévérencieux de projeter diverses compositions alimentaires à la surface des surfaces vitrées destinées à protéger des chefs-d’œuvre de l’histoire de l’art. Si vous nous lisez avec attention, vous aurez remarqué que l’actualité nous a rattrapé·es puisque nous pointions, pas plus tard qu’il y a pas longtemps (en reprenant les mots d’Aldo Leopold, cités par l’artiste Brandon Ballengée à l’occasion de son expo au CAIRN de Digne), le paradoxe suivant : les œuvres d’artistes, fussent-ils historiques, sont mieux protégées que celles du Créateur lui-même. Que faut-il alors penser de ces gestes ? Actes désespérés destinés à faire sortir les médias de leur incurie sur le sujet environnemental ? Remake sans panache d’entartrages anthologiques ? Performances artistiques que n’aurait pas reniées feu Pierre Pinoncelli ? Difficile de trancher. Nous nous retrancherons donc derrière cet aphorisme zen qui ne mange pas de pain (et ne le jette pas plus sur des toiles à 8 chiffres) : quand le sage montre les étoiles, le sot regarde le doigt. Et surtout, plus sérieusement, nous veillerons à trouver un meilleur emploi à ces produits de la terre.
Voici donc l’occasion d’invoquer Vivre Vert, mouvement participatif prosélyte d’une transition alimentaire et écologique réussie. Fondé en 2021 sur le principe de One Health, le projet repose sur une petite équipe à l’esprit d’entreprise dont le business model est d’ouvrir avec, notamment, ses gammes gourmandes 100% végétales disponibles en grandes surfaces, de nouveaux champs de plaisirs alimentaires respectueux de l’environnement. Plutôt que de longs discours, publions donc l’une de leurs recettes simplissimes qui prouvent qu’on réfléchit mieux autour d’une table que dans une salle de musée bondée, surtout si on se régale.
Hachis de Patates Douces et échalotes caramélisées
Ingrédients (4 personnes)
100 g de Râpé Fruité Vivre Vert
400 g de patates douces
300 g d’échalotes
300 g de poireaux
400 g de champignons de Paris
1 oignon
150 g de quinoa
30 g de margarine
3 cuillères à soupe d’huile d’olive
1 cuillère à soupe de sucre semoule
Préparation (45 mn) + cuisson (45 mn)
Préchauffez votre four à 180°C. Dans une casserole d’eau bouillante salée, faites cuire les
patates douces épluchées et coupées en morceaux pendant 30 minutes. Pendant ce temps,
émincez les échalotes et faites-les revenir dans la margarine à feu doux. Lorsqu’elles deviennent translucides, ajoutez le sucre et poursuivez la cuisson pendant 5 à 10 minutes. Réservez.
Égouttez les patates douces et écrasez-les à l’aide d’un presse-purée ou d’une fourchette.
Hachez finement les poireaux et les champignons lavés ainsi que l’oignon. Faites-les revenir à l’huile pendant 15 minutes à feu moyen. Faites cuire le quinoa pendant 8 minutes, égouttez-le et incorporez-le aux légumes dans un saladier. Salez et poivrez.
Étalez le mélange de légumes et quinoa au fond d’un plat préalablement huilé. Recouvrez avec les échalotes caramélisées, ajoutez une couche de purée de patate douce et terminez en recouvrant le tout de Râpé Fruité Vivre Vert. Mettez le hachis au four à 180°C pendant 30 à 45 minutes ou jusqu’à ce que le râpé soit bien gratiné. Servez-le chaud ou tiède avec une salade verte.
Gageons que, désormais, on y regardera à deux fois avant d’envoyer la purée (même si le courroux est légitime).
Histoires d’art et d’amitié au Mucem
À l’heure où les collectifs d’artistes se multiplient et inventent une nouvelle façon de produire et de penser la notion de création, le Mucem propose une histoire de la collaboration artistique, source d’expérimentation mais aussi de remise en cause des schémas classiques de l’art. Certaines sont restées célèbres, telles L’œil cacodylate de Picabia et ses proches ou Le Grand Tableau antifasciste collectif de 1960 auquel prit part le commissaire de cette exposition, Jean-Jacques Lebel. Depuis les fameux cadavres exquis surréalistes jusqu’aux duos d’artistes contemporains, l’exposition Amitiés, créativité collective du Mucem expose une sélection choisie qui illustre une multitude de pratiques artistiques collaboratives. Témoignant du dialogue fécond entre des artistes tels que Picasso et Picabia, Gabrielle Buffet et Jean Arp, Hains et Villeglé, Brecht et Filliou, Beuys et Paik, Spoerri et Kaprow, McCarthy et Rhoades, Burroughs et Gysin, les œuvres exposées, en tout 117 issues de collections publiques et privées, éclairent le passage de l’égo au collectif. Démultiplication de l’énergie créatrice, défi aux valeurs marchandes de l’art, potentialisation des pratiques individuelles pour atteindre un nouveau stade de création, les processus coopératifs que l’on découvre au Mucem révèlent, au-delà d’affinités personnelles parfois inattendues, un phénomène dont l’importance méritait d’être réévaluée. Amitiés, créativité collective, Mucem, esplanade du J4, Marseille jusqu’au 13 février 2023.
En écho à l’exposition Amitiés, créativité collective, l’artiste Mathieu Mercier a conçu, à l’invitation de la Fondation Ricard, avec l’expo L’ami·e modèle un dispositif qui tient autant du Who’s Who que du cabinet de curiosités, où s’exposent des portraits d’artistes réalisés par d’autres artistes et que l’on arpente comme l’intérieur d’une maison chargée de souvenirs ou la généalogie possible d’une scène artistique française. Jusqu’au 12 décembre 2022.
Crédit photo: © Ian Sommerville, double portrait Burroughs-Gysin © photo Col.l Soizic Audouard
Pierre Soulages, 1919/2022
Le plus coté et respecté des artistes français a tiré sa révérence. L’homme, connu pour son inlassable dialogue avec l‘abstraction la plus radicale et intime, a montré que de l’outrenoir peut jaillir puissamment la lumière. Il rejoint Fernand Léger, avec qui il partage pour quelques jours encore les cimaises de son musée rodézien, au firmament de l’histoire de l’art.
Crédit photo: © Vue d’exposition Musée Soulages, Rodez
Et pour finir, notre bonus musical, une bouleversante pièce de Gavin Bryars, signée en 1974 par Brian Eno sur son mythique label Obscure Records et qui mérite une écoute intime tant elle pourrait constituer une autre voix de la béatitude, notre thème de la semaine.