Enfant de l’exil, Ivan Rakotomalala revient à Madagascar, sa terre natale, avec un rêve : mettre son talent d’entrepreneur au service d’un projet d’accès à la santé et à l’éducation pour la jeunesse de son île. Son instrument ? Le Zanatany, plus qu’une marque textile éco-responsable, un nouvel espoir de développement pour l’île rouge.
La voiture cahote sur cette RN1 bis poussiéreuse qui relie Antananarivo à Ankadinondry Sakay, à quelque 125 très longs kilomètres de là. Les plus anciens, Réunionnais sans doute, se souviennent qu’autrefois, trois quarts de siècle plus tôt, ce village éloigné de tout, au beau milieu de Madagascar, portait le nom d’une utopie née au crépuscule du colonialisme. Babetville, ainsi nommée en l’honneur du député réunionnais Raphaël Babet à l’origine d’un ultime mouvement migratoire vers la Grande Île. À l’époque – les années 1950 – tandis que Mada est encore colonie française, La Réunion connaît une phase économique critique accentuée par l’explosion démographique de l’après-guerre.

Cette enclave malgache, sur la rive droite de la rivière Sakay (piment en malgache), fait alors figure de terre promise pour une poignée de familles françaises qui s’y installent. En réalité, elles découvrent des terres rouges arides et désertiques, un paysage peuplé d’herbes sèches et de rares arbres arcboutés aux flancs de vallées encaissées. Établie à 900 m d’altitude pour retrouver les conditions qu’elle connaissait à La Réunion, la communauté se met alors à la tâche. Soutenue par les subsides de l’État et d’organismes français, elle développe des exploitations agricoles, culture, élevage et, singulièrement, un centre de formation professionnelle destiné à former de jeunes stagiaires réunionnais, notamment au travail du bâtiment et des métaux, avant le grand voyage pour la métropole, souvent vers Marseille. Cette bulle de prospérité relative, le rêve d’un grenier de l’Océan Indien, éclate au lendemain de l’indépendance malgache en 1960 et sera secouée de soubresauts, parfois violents, jusqu’à sa fin en 1977.

Ivan Rakotomalala se souvient de la maison de son grand-père, bâtie non loin de Sakay, tout comme des impressions malgaches de son île natale que, du haut de ses 4 ans, il quitte pour la France dans les bagages de ses parents. La soif d’apprendre et de s’élever lui offre de réussir son cursus scolaire, de décrocher un diplôme d’ingénieur et de gravir les échelons dans l’industrie pour conduire une carrière à succès. En redécouvrant son pays, l’un des plus pauvres de la planète, Ivan mesure sa chance et ressent une responsabilité. Comment être utile à Madagascar en offrant aux enfants malgaches la chance que lui-même a connue ? Il pense alors à créer une activité textile et fait le tour de l’île en quête de partenaires pour y lancer sa production. Las, il constate que rien n’est possible pour l’heure sur l’île. Les matières qu’il trouve sur place ne correspondent pas à son niveau d’exigence. Et les importer suppose de commander des quantités qu’il ne peut assumer, de même qu’un impact carbone qu’il refuse. Il persiste néanmoins et, lui qui ne connaît rien à la mode, décide de faire naître entre Trévoux, dans l’Ain, et l’Asie, où il fabrique, sa propre marque dédiée à Madagascar.

Ses fondamentaux ? Des cotons certifiés, une palette de couleurs qui tour à tour évoquent le litchi rose, le Coua bleu, oiseau endémique, les eaux de Nocibé qui alternent les verts et turquoise, et un emblème, son lémurien fétiche à queue rayée, fièrement brodé. Sa marque, Zanatany, qualificatif qui désigne toute personne native de Madagascar, et qui malgré l’exil lui reste attachée, affirme sa volonté réelle d’agir pour son île. Une volonté qui se traduit par un engagement que peu d’entreprises peuvent soutenir. 50% des bénéfices générés par la vente de chaque pièce de son vestiaire essentiel sont ainsi consacrés à permettre l’accès à des programmes de santé et d’éducation pour tous. La première école soutenue se trouve à Sakay. Souvenir familial vivace, sans doute. Renaissance d’une utopie, celle du grenier de l’océan Indien et d’une nouvelle bulle de prospérité ? Seul un enfant de la terre, un zanatany, saurait l’atteindre. Souhaitons au lémurien de grimper très haut.
