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La laine fraîche (made in France)

Qu’elle vienne des environs de Castres dans le sud-ouest, des plateaux des Cévennes ou de la plaine de la Crau en Provence, la laine donne à cet hiver qui vient matière à se réchauffer (le cœur). Naturelle, durable, sensuelle, voici que l’on redécouvre la fibre française, vertueuse et inspirant une nouvelle génération de créateurs.

Par une aberrante équation dont seul homo economicus a le secret, le prix de la laine – qui se négocie sur le marché autour de 30 centimes le kilo en moyenne – s’avère largement inférieur au coût de la tonte elle-même – 1,50 euro par tête pour un potentiel de 2 à 3 kg de laine collectée. Une façon de mesurer le peu d’intérêt accordé au cours des décennies passées par l’industrie de la mode ou de l’ameublement et décoration à cette matière pourtant reconnue et utilisée par l’homme depuis des millénaires. Mais la quête pour une mode plus éthique et une production plus respectueuse de la planète remet en lumière cette fibre naturelle dont les innombrables vertus se rappellent à notre bon souvenir à l’approche des premiers frimas.

Si la France figure loin derrière l’Australie et la Nouvelle Zélande, la Chine ou les États-Unis, principaux producteurs mondiaux de laine, elle reste fidèle au modèle européen, attaché à une production de qualité, issue de troupeaux à faible dimension, élevés dans des conditions éco-responsables, loin des exploitations intensives que connaissent les trois continents leaders. On rassurera donc les adeptes du spécisme et autre veganisme sur le fait que la laine mohair, le plus couramment utilisée pour les produits haut de gamme, est une fibre non seulement naturelle mais aussi éthique. Les races de moutons concernées, tel le mérinos d’Arles Antique dont la maison Brun de Vian Tiran a permis la réimplantation dans la plaine provençale de La Crau, n’ont pas subi de manipulation génétique pour produire une toison plus dense et devenir ainsi dépendante d’une tonte contre-nature. Au contraire, ce processus remonte à l’origine même des espèces qui, en se frottant à l’écorce des arbres, devaient se débarrasser régulièrement de leur masse de poils, un soin qui revient désormais à l’homme une fois par an en moyenne. La laine ainsi recueillie, de quelques kilos sur des moutons à quelques centaines de grammes sur les brebis de race Lacaune – élevées depuis le moyen-âge dans le Tarn, l’un des haut-lieux français de la production de qualité – est nettoyée de ses impuretés et sélectionnée pour la finesse de sa fibre. C’est elle en effet qui détermine la qualité du fil de laine. Plus le diamètre de la fibre est faible – en général, autour de 20 micros, soit bien plus fin encore qu’un cheveu – plus le toucher final sera doux.

Si la laine de nos souvenirs d’enfant nous gratte encore, c’est à cause des minuscules écailles qui recouvrent la fibre d’origine, d’un diamètre grossier. Qu’on se le dise donc, la laine fine ne gratte pas et, au-delà, est l’une des matières les moins allergènes qui soient. On se souvient même des vertus thérapeutiques que lui prêtaient les anciens, soulageant douleurs et rhumatismes à l’aide d’une peau de mouton ou d’une belle couverture en pure laine. La baisse des températures nous rappelle à propos que la laine possède probablement les meilleurs propriétés thermiques. Capable d’emprisonner des micro-bulles d’air, elle sait être chaude quand il faut mais aussi fraîche, même en plein désert, comme en témoigne le burnous ancestral des bédouins. Derrière l’efficacité de cette barrière thermique naturelle se cache une autre de ses vertus majeures : la laine respire et s’avère ainsi très saine. Hydrophile car capable d’absorber jusqu’à 30% d’humidité sans que l’on n’éprouve la sensation d’être mouillé.e, elle est aussi hydrofuge, capable de protéger de la pluie, à l’image des indispensables cabans et manteaux de laine. Si on l’imagine volontiers à sa place dans une promenade au grand air, en montagne ou au bord de la mer, on la retrouve en exclusivité dans les avions, les trains ou les boîtes de nuit car elle est difficilement inflammable et ne dégage pas de fumée toxique. Au contraire, on lui prête la capacité de neutraliser les mauvaises odeurs et d’absorber certaines substances polluantes présentes dans l’air. Ajoutons que la laine se lave très bien et facile à entretenir, qu’elle est solide et durable, et qu’elle est totalement biodégradable. Pour boucler ce panégyrique, notons que la laine se recycle très bien, ce qui permet également de relativiser sur la durée l’impact négatif que l’élevage peut avoir sur l’environnement.

Place donc à la laine française, trop longtemps massivement exportée à vil prix en Asie, afin de produire en France, en circuit court et qualitatif, en la substituant à des laines importées souvent de très loin. Exemplaire de ce virage salutaire, le programme Tricolor, lancé par Première Vision, l’organisateur du salon professionnel de référence pour les tissus en France, s’organise pour aider les producteurs français de laine à trouver de nouveaux débouchés, incitant les fabricants et marques françaises à sourcer au plus près de chez elles. Le mouvement est lancé, rejoignant les initiatives déjà prises par la nouvelle génération de créateurs. Ainsi, la belle maison parisienne au vestiaire masculin De Bonne Facture, créée par Déborah Neuberg ou le nouvel éditeur de mobilier Noma Éditions, qui mixe acier recyclé et laine non teintée, mais aussi des entreprises historiques comme Atelier Tuffery, le plus ancien fabricant de jean français installé depuis 1892 dans les Cévennes, qui, sous l’impulsion de Myriam et Julien Tuffery, la nouvelle génération aux commandes, a été le premier à proposer dès 2018 une très belle collection de jean en serge mêlant laine et coton, et dont une partie du chiffre d’affaires est reversé pour soutenir une association d’éleveurs du causse Méjean. Parmi les autres signes avant-coureurs d’un grand retour en noblesse de la laine, la Woolmark, prestigieux organisme international, vient de décider de baisser de 50% les frais de licence de son programme de certification. L’objectif ? Aider un plus grand nombre de fournisseurs à y accéder afin d’offrir l’opportunité aux producteurs et fabricants proposant une laine de haute qualité de bénéficier du précieux label, assurant une plus grande intégrité de la chaîne d’approvisionnement et la possibilité de gagner la confiance des consommateurs.