Ce qui fascine chez Olga Adorno, ce sont ses yeux. D’un bleu lumineux, profond, intemporel. Un regard empreint de douceur, où se reflète une existence vécue au gré de son ressenti et de ses émotions. Née en 1937 à Manhattan, cette enfant d’émigrés portoricains, troisième d’une famille de cinq filles, s’intéresse au dessin et à l’art, et révèle très tôt son caractère bohème. A 18 ans, elle s’enfuit pour se marier avec un athlétique irlando-américain, qui la quitte quelques mois plus tard. “J’étais une épouse ennuyeuse .”, assure-t-elle, sans rancune. Qu’importe. Elle devient modèle pour de jeunes peintres et photographes émergents. Dans ce New York effervescent des années 50, la jeune femme se lie très vite d’amitié avec des figures montantes du milieu de l’art. Jasper Johns, Claes Oldenburg – qui la peint -–, ou Robert Rauschenberg, alors quasi-inconnus. Jamais la modeste Olga n’ose leur avouer qu’elle aussi croque avec talent. Mais elle accepte d’être leur muse et participe à leurs côtés à des happening mémorables. Performeuse née, elle n’hésite pas pour l’art à se jeter contre un mur à la demande de Bob Whitman, à se faire plâtrer une jambe pour Jasper Johns, à se mettre en bikini pour Rauschenberg. Andy Warhol aussi la remarque. Et la choisit comme sujet pour son film expérimental Les 13 plus belles femmes. “Il m’intimidait, je n’arrivais pas à lui parler.”, dit-elle. En 1963, le pape du pop art organise même pour elle et son nouveau mari une gigantesque fête à la Factory.
Jean Dupuy, le magicien
Mais la rencontre de sa vie, Olga, désormais maman de deux enfants, la fait un soir de 1973. Au 405 East 13th Street, dans un vaste loft, l’artiste français Jean Dupuy organise ses fameux group shows, performances collectives qui réunissent à chaque fois une trentaine d’artistes en vue. Ce magicien, comme elle le décrit, la subjugue. Très vite, les amants ne se quittent plus et bâtissent une histoire hors norme, où art et amour sont inextricablement liés. Dans la bonne humeur, le couple improvise des performances artistiques osées. Comme ce jour où ils décident d’échanger leurs habits en pleine rue. Pour Jean, qui aspire à rentrer en France, Olga quitte New York sans hésiter. Avec leur fils Augustin, le couple finit par poser ses valises en 1984 à… Pierrefeu, petit bourg perché au fin fond du pays niçois. La transition est rude. Mais avec ce talent unique de voir la beauté en toute chose, Olga s’adapte vite à son nouvel environnement. Installée aujourd’hui à Nice avec son époux, cette éternelle enthousiaste continue de créer. A 70 ans passés, on l’a vue ramper sur scène lors d’une performance mémorable à l’occasion du festival High Zero à Baltimore. Son beau regard peine à voir et gêne la réalisation de dessins figuratifs qu’elle affectionne. Qu’à cela ne tienne : elle se consacrera désormais à l’abstraction.