Foisonnante et subversive, la quête de Jean Dubuffet reste l’une des aventures intellectuelles et esthétiques les plus marquantes de la deuxième moitié du XXe siècle.
Auteur d’une œuvre considérable, peinte et/ou sculptée, poétique, musicale…, Dubuffet a bouleversé le champ esthétique en théorisant l’Art brut, l’ensemble des ouvrages réalisés par des personnes indemnes de culture artistique. Une révolution dont l’art contemporain n’a pas fini d’explorer les prolongements. Conçue par Isabelle Marquette et Baptiste Brun, conservatrice du patrimoine et historien de l’art, l’exposition Dubuffet, un Barbare en Europe fait le pari d’affronter la complexité et dresse un portrait de l’artiste en ethnographe. Témoin, Le Déchiffreur, grand collage sur toile de 1977, inaugure l’accrochage. Au centre, un personnage à l’œil grand ouvert, semble déchiffrer – et défricher – les fragments de paysages abstraits qui l’entourent. C’est l’autoportrait d’un artiste de 75 ans, qui n’a jamais cessé d’interroger le sens et le sensible.
Divisée en trois temps, l’exposition s’attache d’abord au thème de l’homme du commun : posture et sujet de l’artiste, puis évoque le caractère ethnographique de sa démarche de prospecteur-collectionneur, avant de conclure sur son regard critique et sa condamnation des valeurs de la culture occidentale. En guise d’épilogue, les commissaires ont choisi de présenter, sur un mur, Oriflammes, le dernier texte de Dubuffet, publié en 1984 : le manifeste du nihilisme du peintre, au crépuscule de sa vie, précise Baptiste Brun.
Près de 300 œuvres et pièces, issues d’une quinzaine de musées prestigieux, s’articulent pour donner à voir l’extrême curiosité et créativité de Dubuffet, en tant que créateur et/ou regardeur. Un demi-siècle plus tard, on mesure d’autant mieux la justesse et la dimension prophétique de ses intuitions. Oui, l’art a tout à gagner à se confronter à l’altérité, sous toutes ses formes. Non, l’art primitif n’existe pas, de même qu’il n’y a pas plus d’art des fous que d’art des dyspeptiques ou des malades du genou, comme il l’écrivait en 1949. Outre le legs considérable de l’artiste à ses successeurs, l’exposition révèle aussi à chaque spectateur combien il est redevable à Dubuffet de pouvoir aujourd’hui regarder le monde et l’art d’un autre œil, se réjouir qu’il existe dans le monde bien plus de choses que n’en dénombrait le vieux caduque répertoire.