Art de vivre

Les Calissons du Roy René, gourmandise historique

Quand la légende est plus belle que la réalité, il faut publier la légende et, au passage, croquer ces délicieux calissons qui nous valent – outre une bien belle histoire – une manufacture exemplaire de respect des traditions provençales, d’exigence de qualité, de savoir-faire et d’imagination. Les Calissons du Roy René ont 100 ans. Mais leur histoire commence bien avant. Oyez donc cette légende gourmande.

Nous sommes en 1454. René 1er d’Anjou a quelque peu perdu de sa superbe. Lui qui, slasheur avant l’heure, accumula les titres nobiliaires dont celui de Roi de Naples, qui ferrailla au côté de son beau-frère le roi Charles VII durant la Guerre de Cent Ans, où il côtoya Jeanne d’Arc (ce qui n’était certes pas une sinécure), qui redonna dynamisme et prospérité à son Anjou natal, cherche alors à refaire sa vie avec la belle mais farouche Jeanne (décidément) de Laval. La légende veut que le Bon Roi René, pour gagner les faveurs de sa future épouse, ait fait appel au talent de son confiseur personnel (car il avait un confiseur personnel). Lequel imagina une recette maison à partir d’ingrédients locaux dont il était loin d’imaginer la sustainabilité. Une bouchée de quelques grammes seulement qui plut tant à Jeanne (quand elle l’avale, vous me suivez ?) qu’elle s’enquit sur le champ du nom de cette sucrerie. Di calin soun (ce sont des câlins), improvisa le bon Roi René qui, bien qu’angevin, avait le sens de la répartie et la fibre provençale puisque résident à Aix-en-Provence. Le calisson gagna instantanément ses lettres de noblesse et le bon Roi, une nouvelle femme qu’il épousera tout sourire à Anger (sourire dont la légende, encore elle, dit qu’il inspira la forme de ces délicieuses friandises). Rien d’étonnant donc, me direz-vous, à ce que le Roi René, mécène des arts, poète à ses heures, amoureux de Provence (on lui doit d’ambitieux schémas d’irrigation pour le Luberon) ait inspiré cette tradition dont la plus illustre représentante porte aujourd’hui son patronyme en guise (car René fut aussi Comte de Guise et Roi de Jérusalem, qu’on se le dise), en guise donc d’hommage au fondateur de l’Ordre du Croissant (bien que ce croissant-là n’ait rien de pâtissier). Mais nous y reviendrons.

Nous sommes en 1630. La rencontre fortuite d’un pangolin et d’une chauve-souris sur un marché chinois n’ayant pas encore produit le SARS_Cov 2, c’est à la peste que revient le rôle de semer depuis près d’un an terreur et désolation dans la bonne ville d’Aix-en- Provence. Pour permettre aux Aixois confinés de prier pour le salut de leur âme depuis leur fenêtre, des statuettes de la Vierge sont disposées à tous les coins de rue. Las, rien n’y fait et les édiles fuient la ville. Seuls restent le Prévôt du Chapitre, le consul et son assesseur Martelly. Ce dernier, assistant à l’office en ce jour mémorable du 20 janvier, fait alors vœu de célébrer chaque année une action de grâce en hommage à la Vierge de Seds, sainte patronne de la ville si, d’aventure, elle daignait les libérer de ce fléau. Pour faire bon poids, des calissons, la friandise même du Bon Roi René, sont distribués au cours de l’office comme du pain béni. Plus sûrement que l’hydroxychloroquine, ce mélange d’amandes, de melon et d’orange est alors associé (du moins dans la légende qui a bon dos) à la fin miraculeuse de l’épidémie. Les mauvaises langues murmurent d’ailleurs que notre calisson doit moins au câlin royal qu’au calice sacerdotal, son nom dérivant de l’injonction du prêtre latiniste venite ad calicem, qui signifie littéralement venez au calice (et fermez la porte derrière vous) et sa forme, directement inspirée de l’ovale dudit calice (j’espère qu’il n’a pas de Québécois.e en ligne). Bref, tout cela vaut bien une messe et la bénédiction du calisson perdure depuis chaque premier dimanche de septembre.

Nous sommes en 1920. Le temps passe vite et figurez-vous que dans l’intervalle, Aix-en-Provence en a profité pour devenir la capitale incontestée de l’amande, en contravention flagrante, pourrait-on dire si l’on aimait les jeux de mots faciles, avec sa vocation antique de ville d’eau. Ernest Guillet aime les amandes puisqu’il est artisan nougatier. Son savoir-faire étonne les Aixois, qui auraient bien pu inventer à son propos l’expression « c’est pas du nougat » pour saluer le talent du jeune homme mais aussi le fait qu’il excelle tout autant dans l’art du calisson (tiens, revoilà le Roi René). Justement, on peut être talentueux et respecter la tradition, ce qu’Ernest s’employa derechef à démontrer en baptisant sa start-up sucrée « la Nougaterie du Roy René ». Et dans nougaterie, il y a gâterie, ce qui prouve bien que le souverain était un coquin. La maison ayant belle réputation, elle crû et fructifia si bien qu’en 1947, ce fut au tour du fils d’Ernest, le bien nommé René, de reprendre les rennes (peu avant Noël) et, dans un élan de reconnaissance pour l’œuvre de son illustre homonyme, de rebaptiser l’entreprise « Calissons du Roy René ». Je te confie la confiserie. Ces mots paternels, René ne les oubliera pas et assumera vaillamment cet héritage jusqu’à l’orée des années 80 où sa fille Anne, qui l’avait vu venir, démarra le règne de la troisième génération. Sa ligne de vie croisa alors celle d’un homme qui allait démontrer toutes les qualités pour accompagner l’essor de la maison familiale. Un certain sens de l’avenir, entre tradition et modernité comme on l’écrit en préférant les marronniers aux amandiers, un flair pour diversifier les gammes ou pour accueillir un public chaque jour plus nombreux, sans oublier un patronyme qui le prédestinait bien plus naturellement à la pâtisserie confiserie qu’à la micro-électronique alors émergente. Maurice Farine.

En Provence, les grands esprits finissent toujours par se rencontrer, rassemblés par un amour commun de sa culture et de son terroir, une verve méridionale inextinguible et, accessoirement, le mistral quand il souffle dans le bon sens. Voici donc qu’entre en scène Olivier Baussan. Lui aussi eut l’heur d’être fidèle à son nom en fondant Oliviers & Co quelques années plus tôt, non sans avoir au préalable fait naître dans la garrigue ensoleillée de Haute Provence une maison qui désormais exporte sa nature exemplaire de par le vaste monde, L’Occitane. Après avoir magnifié la lavande et l’olive, et rejoint les épiceries fines Maison Brémond 1830 (histoire, quand tu nous tiens), ce bon génie provençal a pris fait et cause pour l’amande, le calisson, le nougat et le doux patrimoine de la maison qu’Edgar construisit. De conserve, comme on le dit de fiers navires cinglant vers l’aventure, Olivier Baussan et Laure Pierrisnard, la directrice générale – dont le sourire n’a rien à envier à celui de Jeanne de Laval quand elle goûta, etc, etc – s’emploie à magnifier ce patrimoine unique qui a traversé le temps avec autant de mérite que vous pour avoir lu jusqu’ici.

Nous sommes en 2020 (ouf). Les Calissons du Roy René sont centenaires. Du moins, cette Maison l’est-elle, les calissons eux continuent d’être fabriqués frais tous les jours (la Maison, titulaire du prestigieux label EPV* produisant à elle seule plus de la moitié des calissons labellisés AGP**, suis-je clair ?) selon la même recette un peu secrète que voici : des amandes de Méditerranée (depuis 2014, la maison s’emploie à relancer la culture de l’amande de Provence), d’authentiques melons (de Cavaillon bien sûr) confits, si possible à Apt (Capitale mondiale du fruit confit depuis le 14e siècle, qu’on se le dise également) et une pincée d’écorces d’orange confites, le tout étant à broyer finement, additionné d’un sirop de sucre chaud et d’huile essentielle d’amande amère, histoire de corser l’affaire. Laisser reposer et revenir 3 jours plus tard (entre temps, faites ce que vous voulez ou lisez Marie Claire) pour préparer le glaçage dit royal, émulsion de blanc d’œufs et d’eau qui viendra revêtir de sa blanche majesté le calisson, précédemment mis en forme dans son petit moule oblong et déposé sur une fine feuille d’ostie ou d’azyme (selon les convictions de chacun.e qu’il convient de respecter). On peut aussi aimer les couleurs et opter pour une version fraise-basilic, cédrat-chocolat ou cassis noir de Bourgogne et poivre de Timut. Mais pour ce centenaire, pas de fantaisie olé olé, privilégiez la tradition et faites l’acquisition de l’une de ces merveilleuses boîtes collector, richement décorées en hommage encore, sans doute, au toujours Bon Roy René, grand collectionneur d’ouvrages remarquables et de somptueuses enluminures médiévales. En ces temps où les consciences alimentaires s’éveillent et les papilles réclament du beau, du bon, du fait maison locavore, il est bon de se souvenir des Calissons du Roy René et de croquer avec fierté dans ce savoureux patrimoine régional que l’on ne regardera désormais plus tout à fait du même œil. Vive les calissons et longue vie au Roy.

*EPV : Entreprise du Patrimoine Vivant
** AGP : Appellation Géographique Protégée

calisson.com

Légendes Portrait du roi René par Nicolas Froment, détail du Diptyque des Matheron (1474), Paris, musée du Louvre. Les ateliers historiques des Calissons du Roy René.